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Reza Deghati, l’éducation par la photographie

  • Publiéavril 28, 2018

Des Townships de l’Afrique du Sud de l’apartheid jusqu’au Rwanda des années 1990, des camps de réfugiés du Soudan à ceux du Mali, l’association Les Ateliers Reza permet aux jeunes de projeter leur propre regard sur le monde grâce à la photographie.

Par Christine Holzbauer

De son nom complet Reza Deghati, ce photoreporter et philanthrope de renommée internationale aime se décrire comme « un photographe de paix en zone de guerre ». Pour National Geographic et d’autres publications prestigieuses, il a sillonné plus d’une centaine de pays, pho­tographiant sans relâche conflits et catas­trophes humanitaires, notamment sur le continent africain qui occupe une place centrale dans son oeuvre.

Grâce aux images diffusées dans les médias, cet humaniste dans l’âme continue de lever les fonds nécessaires au financement de ses projets éducatifs. Il espère susciter de nombreuses vocations

Car, parallèlement à son métier de photoreporter, Reza est un passionné d’éducation. Depuis 1984, il travaille en étroite collaboration avec la Croix Rouge internationale, l’Unicef et d’autres agences des Nations unies. En Afrique, il a notam­ment contribué à permettre la réunion des familles dispersées après le génocide rwandais, à documenter les campagnes de vaccination au Soudan ou encore à négo­cier les routes d’approvisionnement en nourriture en Afghanistan.

Le Mali comme laboratoire

Iranien d’origine, l’Afghanistan est un pays que ce natif de Tabriz connaît bien ; son portrait d’une petite fille afghane aux yeux verts l’a fait connaître mondialement. Il a aussi fondé, en 2001 une ONG de nouvelle génération, Ainaworld, qui forme les populations aux métiers de l’information et de la com­munication à travers le développement d’outils éducatifs et de médias adaptés.

Cet architecte de formation mais photo­graphe de vocation a réussi la prouesse de former des dizaines de femmes afghanes, devenues camera women, leur offrant les moyens de raconter leur propre histoire. Et de desserrer ainsi le carcan de la burqa imposé par les talibans, sans pour autant se mettre en danger physiquement…

Fort de cette expérience, il a ensuite entrepris la même démarche en Afrique. Sa priorité a toujours été l’éducation visuelle informelle parce que « l’on enseigne bien, ce que l’on connaît bien. Et que c’est un extraordinaire outil pour appréhender le monde », argue-t-il dans son atelier du 20e arrondissement de Paris, où trône sur des étagères la tren­taine de livres qu’il a écrits.

Des Town­ships de l’Afrique du Sud de l’apartheid jusqu’aux camps de réfugiés des pays en guerre et aux jeunesses défavorisées d’Europe, partout il a réussi à engager « sur fonds propres » des programmes de formation à la photographie destinés aux jeunes vivant dans ce qu’il décrit comme des « sociétés civiles endommagées », tels les camps de réfugiés, les banlieues des grandes villes ou les milieux précaires…

À Bamako, son association a entamé, en décembre 2016 et jan­vier 2017, l’édition pilote d’un projet appelé « Équations Nomades ». Pour l’instant, ce projet a permis à Reza de former à la photographie une vingtaine de jeunes orphelins et déplacés à l’inté­rieur du pays à cause du conflit dans le nord du Mali. Après quinze jours de for­mation intensive, ces adolescents ont pu exposer le fruit de leur travail, dénotant à travers des images pleines d’insouciance une grande résilience.

Les ateliers Reza

Ils continueront à témoigner de leur quotidien grâce aux appareils photos offerts par Reza. « Ces jeunes vivaient en suspens parce qu’ils sont les premières victimes d’une autre forme d’errance dans laquelle rien n’est ancré, commente le photoreporter. Dans la reconnaissance affichée pour leur travail, chacun d’entre eux a renoué avec un sentiment oublié et pourtant nécessaire à la construction de leur personnalité : l’estime de soi. »

Fondée en 2009, l’association « Les Ateliers Reza » regroupe aujourd’hui ses différents programmes de formation à la photographie inspirés de ses expériences humanitaires. Au Rwanda en 1995, Reza avait participé à une opération lancée par la Croix Rouge et l’Unicef de recon­naissance par l’image. Pendant l’exode qui avait suivi le génocide, il avait pho­tographié 12 000 enfants et exposé leurs portraits dans les camps.

« Cette initiative avait permis de réunir 3 000 enfants avec leurs parents », se souvient-il. En 2012, il a sillonné le globe pour un reportage sur les formes d’éducations innovantes. Ce reportage l’a mené dans quatorze pays en quatre mois, dont le Burkina Faso où il a longuement travaillé à l’université 2iE. Le livre de photos qu’il en a ramené, cosigné par les écrivains Valérie Han­non, Sarah Gillinson et Leonie Shanks a été publié à l’occasion du World Inno­vation Summit for Education (WISE).

En Afrique du Nord, Reza a réa­lisé un travail exclusif « au long cours » sur l’Algérie pour la publication d’un ouvrage aux côtés de l’écrivain Yasmina Khadra. Et, en septembre 2014, dans les montagnes du Haut Atlas marocain, il a aidé à organiser les « Rencontres photogra­phiques berbères ».

Une dizaine de jeunes adolescents, filles et garçons, tous internes dans le pensionnat de Tabent, vivaient dans des villages beaucoup trop isolés pour rentrer chez eux quotidiennement. Après trois jours de formation au langage de l’image, ils sont devenus des témoins de leur environnement immédiat grâce à l’outil photographique. « Ces jeunes ont ainsi pu devenir des conteurs visuels de leur rêve, de leur vie », se réjouit Reza.

Photographe soufi

Jeunes réfugiés, jeunes isolés, jeunes des banlieues, les ateliers Reza ont permis en six ans de former un total de 369 filles et garçons et 24 adultes encadrants ; de délivrer 399 appareils photos dont 210 ont été offerts ainsi que 27 ordinateurs et d’autres matériels informatiques tels que disques durs, cartes mémoires, batteries et chargeurs ; d’organiser quatre concours de photos et 17 expositions de jeunes ; de publier 130 livres avec les photos de ces jeunes et 80 DVD.

Grâce aux images diffusées dans les médias internationaux et sous la forme de livres, d’expositions et de documentaires, cet humaniste dans l’âme continue de lever les fonds néces­saires au financement de ses projets édu­catifs, il espère susciter de nombreuses vocations. « L’Afrique, en particulier, a un besoin immense de se raconter au reste du monde. Je suis heureux de contribuer à cet éveil à mon modeste niveau », confie-t-il.

De Bamako en passant par Kabarto, Dijon, Metz, Kawergosk, Chatellerault, Nantes, Arbat, Bondy, Saint Ouen, Librino, Paris, Toulouse, Kaboul, Tabant et Whangarei, cet infatigable voyageur a déjà réussi grâce à l’alphabet universel de la photographie à tisser des liens indéfectibles entre les jeunes de tous les continents. Anisi, il a choisi pour célé­brer 2018 une photo de l’un des élèves maliens, Tiémoko Koné, 20 ans, repré­sentant un jeune couple le jour de son mariage à côté d’un vieux coucou prêt à prendre son envol.

Écrit par
ade

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