L’économie du sport, un cercle vertueux à enclencher

Un volumineux ouvrage, sorti trop confidentiellement lors de la récente Coupe d’Afrique des Nations au Cameroun, dresse un portrait impressionnant des possibilités du sport africain, en tant que créateur de valeurs sur l’ensemble du continent.
Par Laurent Soucaille
« Ce livre, exceptionnel par la richesse de ses analyses et de ses témoignages, apporte un éclairage inédit sur le rôle que pourrait jouer le sport en Afrique. » Ce commentaire en préface de Makhtar Diop, directeur général de la Société financière internationale, résume la richesse de l’ouvrage. Édité aux prestigieuses éditions Economica, Économie du sport en Afrique, avec l’appui de l’African Sport & Creative Institute, constitue une somme impressionnante d’informations. L’ouvrage aurait mobilisé plus de 600 personnes, des économistes, des professionnels des médias, des analystes, des institutionnels et, bien sûr, des sportifs. Le livre est conduit par Michel Desbordes, professeur de marketing du sport à l’université Paris-Saclay.
L’industrie du sport représente environ 3% du PIB mondial, pour un taux de croissance de 4% par an. Bien que fournissant des talents sportifs en abondance au reste du monde, le sport ne contribue qu’à 0,5% du PIB africain, pour un taux de croissance inférieur à 2%. Pourtant, des business models innovants existent déjà et peuvent être répliqués.
La première partie se veut descriptive et analytique. En 2050, un jeune sur trois, donc un sportif sur trois, sera Africain, fait observer Rémy Rioux (Agence française de développement) en avant-propos. Comment, dès lors, ne pas comprendre que le sport est aussi une source de richesse économique ? La littérature sur l’économie du sport ne manque pas – le premier article à ce sujet date de 1956 –, mais l’ouvrage est le premier à être si complet concernant l’Afrique.
Le sport est, dans beaucoup de pays, un vecteur d’ascension sociale et de sensibilisation, rappelle Ousmane Diagana (Banque mondiale). Les sportifs, qu’ils s’appellent Lilian Thuram ou Didier Drogba, représentent des exemples pour la jeunesse. Il est loin le temps, rappelé dans l’un des chapitres, où le sport en Afrique était un marqueur de la politique coloniale ; un marqueur complexe, fait de dominations mais aussi d’échanges. Le sport constitue un moyen d’émancipation, notamment pour les femmes.
L’ouvrage inclut les résultats d’une vaste enquête auprès de 2 000 personnes venues de 47 pays africains. D’où il ressort, d’après les réponses, que les dirigeants sont peu au fait des enjeux du sport. Les données manquent et si les politiques ou responsables de fédération ont la culture des résultats sportifs, ils sont mal formés aux enjeux économiques et ne sont pas en capacité de proposer des modèles innovants et générateurs de valeur. On retrouve les problématiques d’autres secteurs : une gouvernance du sport parfois défaillante et un manque de vision panafricaine sur ces questions.
Placer le fan au cœur du dispositif
Quelques réussites, toutefois, doivent servir d’exemple, comme l’académie de football Génération Foot au Sénégal : un programme de formation rentable ayant produit une trentaine de professionnels, dont Sadio Mane. Sans conteste, les gouvernements doivent prendre conscience du potentiel du sport et favoriser, là aussi, un environnement propice aux affaires. Le sport doit devenir, un peu partout, un axe de développement, attirer les ressources financières. À cet égard, considère l’ouvrage, le modèle des PPP (Partenariats public-privé) constitue une piste intéressante pour financer des infrastructures. Il est suivi par le Maroc, où l’action publique est soumise au contrôle d’une autorité spécifique, la Sonarges. Ainsi qu’au Rwanda, où la Kigali Arena a été construite via un PPP. L’Afrique du Sud fait figure de pionnier en la matière. L’outil des PPP est également évoqué dans le chapitre consacré à la gouvernance du sport.
L’ouvrage explique combien il est essentiel de placer le fan au cœur de l’économie du sport. Par exemple, les clubs les plus rentables sont ceux dont les interactions avec les supporters sont préservées avant et après un match, par le biais des réseaux sociaux. Là aussi, les professionnels regrettent le manque de compétences, en Afrique, tandis que les acteurs du continent ont tendance à privilégier les prestataires étrangers. Certains clubs actualisent leurs pages Facebook, voire lancent leur propre application mobile, comme le Raja de Casablanca. Voilà tout un écosystème à développer, tandis que l’Afrique regorge de très petites entreprises du numérique susceptibles de répondre à une éventuelle offre. À ce propos, le e-sport devient, y compris sur le continent, une source de revenus à ne pas négliger. Encore embryonnaire, il est appelé à une forte croissance à laquelle l’Afrique ne saurait échapper.
L’exemple de la Mauritanie
L’ouvrage consacre une large place au rôle des médias. Dans ce jeu gagnant-gagnant entre sportifs et diffuseurs, un cercle vertueux peut s’enclencher, on le voit au moment de la Coupe d’Afrique de football. Néanmoins, le préalable, quel que soit le sport, réside dans la qualité du spectacle, donc de l’amélioration des infrastructures, des épreuves sportives, etc. Autant d’atouts pour attirer les spectateurs payants (en droits d’entrées et en consommations diverses) et les téléspectateurs, donc les sponsors. De ce point de vue, l’Afrique dispose d’une originalité, la forte pénétration des terminaux mobiles, comme les tablettes : cet outil permet la diffusion d’épreuves sportives payantes, sous le modèle de la vidéo à la demande.
En matière de gouvernance, on s’intéressera à un pays rarement montré en exemple en la matière : la Mauritanie. Pays où la Fédération est passée, en dix ans, « du statut d’antiquité à celui de membre incontournable du football africain », sous l’impulsion du charismatique Ahmed Yahya. Refonte administrative, organisationnelle, etc., ont relancé l’attrait pour le sport et sa rentabilité.
« Ce marché de 1,4 milliard de personnes, dont la moyenne d’âge est de 19 ans, qui aiment le sport et le divertissement, dont la croissance de la classe moyenne se poursuit, et dont le talent athlétique n’est plus à prouver, ne peut plus être occulté. Les différents acteurs cités dans le livre doivent être mobilisés afin que certaines réussites économiques puissent être des modèles de développement pour le continent », conclut l’ouvrage.
« Malgré les défis, l’avenir reste prometteur, les annonceurs portent un intérêt grandissant au sport africain. Ils chercheront toujours des axes authentiques, d’engagement avec le consommateur », conclut la partie analytique du livre. Lequel se poursuit avec des études de cas de réussites africaines et des entretiens avec de grandes personnalités, de Fatma Samoura (FIFA) à Frannie Leautier (SouthBridge) en passant par Tidjane Thiam, membre du CIO.
Dans ce livre qui fait la part belle au football, Ibrahima Fall, de l’Institut du Sport de l’Université Cheih-Anta-Diop, analyse la réussite de la lutte sénégalaise. Un sport national « authentique », pratiqué par toutes les couches de la population. Et qui mobilise tous les médias et attire les partenaires économiques ; en l’occurrence, les sociétés commerciales qui y trouvent une formidable opportunité de communication. La lutte incarne le « sport business » au Sénégal ; hier montrés dans les salles de cinéma, les combats se déroulent désormais dans les stades de foot…
Schéma du modèle contractuel du business de la lutte.
D’autres articles aussi passionnants qu’instructifs sont consacrés aux réussites du Rwanda, à ceux du Gabon dans les événements sportifs, ainsi qu’à l’autonomisation des femmes par le sport en Tunisie.
@NA