Régis Immongault : « Le Gabon doit préparer la phase post-Covid »

L’ancien ministre Régis Immongault revient sur les capacités de résilience du Gabon face au choc économique actuel. Il souhaite la poursuite de la diversification et l’engagement dans de nouvelles pistes. Il s’étonne de l’attitude des agences de notation devant les dettes des pays africains.
Propos recueillis par Omar Ben Yedder
Le Gabon, qui avait été un peu surpris lors de la baisse des cours du pétrole en 2015, semble mieux affronter la crise sanitaire. Jugez-vous que le pays va mieux s’en sortir, compte tenu des leçons du passé ?
Le Gabon, comme tous les pays de la Cemac, est engagé dans des réformes destinées à relancer la machine, en renforçant la diversification de l’économie. Cette politique, en effet, a permis de sortir progressivement d’une situation difficile, ces dernières années. Aujourd’hui, nous devons affronter un nouveau choc. Celui-ci est brutal, à la fois sur la demande et l’offre, et l’Afrique se prépare à une croissance négative en 2020.
La crise sanitaire a démontré l’importance du secteur tertiaire, à travers les nouvelles technologies de l’information qui sont devenues un outil indispensable. Les efforts déployés en faveur de la fibre optique doivent être renforcés pour que le tertiaire puisse jouer le rôle qui est le sien dans l’économie.
Les mesures prises par le gouvernement du Gabon ont permis tout de même d’atténuer ce choc, grâce à son expérience des chocs précédents. Nous faisons le maximum pour parvenir à gérer cette crise de manière efficiente et à en sortir le mieux possible. Nous devons, avant tout, nous préparer à la période post Covid-19. Le gouvernement prépare des actions à ce niveau.
Quels sont les axes de réflexion ?
Notamment, la crise sanitaire a révélé la nécessité d’une certaine autonomie alimentaire. Dans le futur, le volet agricole devra toujours constituer un élément considérable de nos stratégies économiques. La crise sanitaire a également démontré l’importance du secteur tertiaire, à travers les nouvelles technologies de l’information qui sont devenues un outil indispensable. Nous l’avons vu pour ce qui concerne l’enseignement et l’éducation par l’Internet. Le travail de l’administration, le télétravail, etc., étaient déjà une réalité au Gabon, grâce aux efforts déployés en faveur de la fibre optique. Ils doivent être renforcés pour que le secteur tertiaire puisse jouer le rôle qui est le sien dans l’économie.
Il faut reconnaître que la situation est difficile, nous en sommes conscients. Dans ce type de période particulière, il faut savoir comment ajuster les stratégies : d’un côté, nous subissons une diminution des ressources ce qui, logiquement, devrait nous inciter à réduire les dépenses. Mais d’un autre côté, réagir ainsi, dans le contexte actuel, reviendrait à casser l’économie. Comme les marges de manœuvre ne sont pas aussi considérables, nous devons faire le choix d’un équilibre, entre relancer des programmes ciblés et financés par le budget de l’État ou porter l’accent sur le soutien au secteur privé à travers des mesures d’accompagnement.
Vous considérez que le Gabon a besoin de dépenser aujourd’hui pour atténuer cette crise. Pourtant, les agences de notation comme Fitch et Moodys semblent réservées. Fitch a ainsi abaissé la note souveraine du Gabon. Que vous inspire la méthodologie de ces agences ?
Effectivement, les agences de notation devraient revoir profondément leur manière d’appréhender le risque des pays africains. Si l’on ne tenait compte que des éléments de ratio par rapport au PIB, il est clair que la France, dont la dette approche les 120% du PIB, devrait voir sa note baisser très fortement !
Je sais bien que la règle mise en exergue est la capacité future à pouvoir supporter et rembourser ces dettes. Mais il faut aussi être capable, selon les contextes, de voir les choses différemment, sans pour autant remettre en cause les fondamentaux. Il faut considérer que nos pays africains ont subi une déviation particulière, qui n’est pas due à une mauvaise gestion mais à un évènement particulier contre lequel ils tentent d’appliquer certaines mesures pour pouvoir s’en sortir. Ces mesures passent obligatoirement par une certaine déviation par rapport aux exigences économiques.
Avec la Covid-19, la théorie du cygne noir est en œuvre. L’évènement était inattendu, les États n’y étaient pas préparés, et les dégâts ont été considérables ; les agences de notation doivent tenir compte de tout cela. Parce que les pays africains font des efforts.
Le Gabon poursuit ses efforts dans le remboursement de sa dette, malgré la baisse des ressources. Aussi, cette dette mériterait-elle un traitement conventionnel. L’analyse des agences de notation est biaisée, parce que, si l’on note seulement en fonction de la dégradation des ratios, il devrait en aller de même pour les pays occidentaux qui ont, eux aussi, subi une dégradation très forte de leur risque souverain.
Leur défiance est donc injuste ?
Oui, je le pense. C’est fondamentalement injuste. Naturellement, au vu du montant des sommes injectées dans ces pays, certains s’interrogent sur les moyens de remboursement à court et moyen termes. Quand même, il fallait un débat à ce niveau avec les États, les experts et les agences multilatérales, pour voir quelle serait la meilleure méthode pour prendre en considération le risque pays lié à ce choc brutal sur l’offre et la demande dans les pays d’Afrique subsaharienne.
Fitch ne vous a pas consulté ?
Non, mais Moody’s a récemment relevé la perspective du Gabon, passée de « stable » à « positive ». Les méthodes de travail doivent être revues. Il ne s’agit pas de demander une notation « tropicale » pour les pays d’Afrique subsaharienne. Nous demandons au contraire à ce que ce risque soit pris en considération de la même manière que cela a été fait pour les pays occidentaux qui se sont endettés massivement pendant cette période.
Pays à revenus intermédiaires, le Gabon est pénalisé dans le débat sur la dette, dans la mesure où cette qualité l’empêche d’être éligible au moratoire sur les dettes. Où en est le pays sur cette question ?
Le service de la dette extérieure que nous continuons à assurer est un service difficile. Mais il est clair que nous sommes demandeurs : il faudra absolument revoir cette situation. Il n’est pas possible de demeurer dans une position figée qui se refuse à envisager un traitement non conventionnel pour ces pays qui subissent ce choc de façon brutale.
Ce ne serait pas récompenser les efforts qui ont été réalisés. C’est un débat qu’il faut porter au niveau des institutions multilatérales, du G20, ainsi qu’au niveau bilatéral entre les différents pays concernés. Nous devons poursuivre en ce sens tout en montrant les efforts qui ont été faits pour renforcer la bonne gouvernance et mettre en œuvre les réformes économiques indispensables. Les gains qui surviendront permettront de renforcer l’inclusion sociale. C’est un travail qui prend du temps. Il faut à la fois une approche bilatérale et une approche multilatérale.
En tant que ministre, vous avez mené une politique industrielle assez radicale, orientée vers la transformation des matières premières au Gabon. Commence-t-elle à porter ses fruits ?
Cette politique est, fondamentalement, celle du chef de l’État Ali Bongo Ondimba, et elle prend la forme d’un processus qui devrait entraîner un effet multiplicateur sur le plan économique. À commencer par la remontée dans les chaînes de valeurs internationales. Il est clair que nous devons continuer en ce sens. Nous commençons à en voir les effets, dans l’agriculture, et le secteur agro-industriel, par exemple.
Dans le secteur minier, le processus s’est arrêté en ce qui concerne le manganèse en raison de difficultés au niveau international, même si la production de silicone-manganèse et de manganèse-métal continue d’augmenter de manière progressive.
Nous devons continuer dans tous ces secteurs, minier, agricole, pêche, pour favoriser un effet levier en matière de créations d’emplois et de croissance inclusive. L’axe de la politique est maintenu. Nous commençons d’en ressentir les effets, mais il est clair que nous d’autres points indispensables doivent être réglés, notamment les infrastructures, aussi bien chemin de fer que routes, les ports, l’énergie, etc. pour permettre l’amplification de notre politique industrielle.