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Prudence Sebahizi (Union africaine)* : « La Zlecaf permet de saisir les opportunités de l’Afrique »

Prudence Sebahizi (Union africaine)* : « La Zlecaf permet de saisir les opportunités de l’Afrique »
  • Publiémars 11, 2020

La Zone de libre-échange continentale continue d’avancer, en dépit des écueils. Prudence Sebahizi, conseiller technique en chef de ce programme, explique combien la Zlecaf représente une opportunité pour les Africains.

Propos recueillis par SD, envoyé spécial en Ethiopie

Quel était le but recherché quand vous, acteur du secteur privé, vous avez décidé de piloter la Zone de libre-échange ?

La Zlecaf (Zone de libre-échange continentale africaine) a été conçue pour créer un marché commun pour l’Afrique. Ce marché unit 55 États membres de l’Union africaine en termes de PIB, de réformes et de lois qui régissent le commerce. Elle va permettre la libre circulation des produits et services.

Jusqu’à présent, chaque pays définissait sa propre taxe sur l’importation des marchandises. La Zlecaf est donc un processus de libéralisation qui entend réduire, voire annuler cette taxe. Le marché a déjà accepté que 90 % des produits soient complètement libéralisés, c’est-à-dire commercialisés sans taxes douanières.

La racine même de l’insécurité en Afrique est liée à la pauvreté. Nous veillons justement à éliminer ce problème avec le programme de développement pour enfin, garantir la paix en Afrique. La plupart des jeunes sont au chômage, c’est la raison pour laquelle ils rejoignent des groupes terroristes. Nous créons donc l’opportunité pour la jeunesse africaine, dixit Prudence Sebahizi.

Au moins 7 % des produits commercialisés, considérés comme sensibles, verront leurs taxes douanières être libéralisées, mais de manière progressive. Une période de 5 à 15 ans a été annoncée. Les 3% restants seront considérés comme produits à exclure. À l’issue de ces 15 années de processus, nous serons à une libéralisation de 97% des produits sur le continent africain.

L’OMC (Organisation mondiale du commerce) effectue un classement de 5000 à 6000 produits en fonction de leur norme internationale, c’est ce qu’on appelle les lignes tarifaires. Lorsque le processus de libéralisation des 97% de produits sera finalisé, le marché unique concernera autant les productions locales que les produits transformés exportés.

La Zlecaf doit permettre de libéraliser également le secteur du service. Cinq secteurs ont été priorisés : Les services de télécommunication, le transport, les services financiers, le tourisme et le service aux entreprises.

Dans cette dynamique, les pays membres ont adopté une méthode dénommée « la liste de libéralisation positive ». Elle aura pour objectif d’éliminer certaines restrictions.

Prenons l’exemple d’un médecin ivoirien souhaitant exercer au Kenya. Actuellement, les réglementations en vigueur sont tellement restrictives qu’il est impossible pour ce médecin de pratiquer. La libéralisation va en tenir compte. Elle va donc permettre à n’importe lequel des Africains, expert dans les domaines spécifiés, de pratiquer sans entraves dans un autre pays du continent.

Le transfert d’argent est aussi un élément à prendre en compte. Il est actuellement difficile, dans certains pays, à cause des règles, de transférer ou de recevoir de l’argent depuis un autre pays africain. Avec la ZLECAF, ces règles seront révisées pour faciliter les transferts et les systèmes des paiements intra-africains.

Vous n’expliquez pas pourquoi il faut mettre davantage l’accent sur les services privés afin qu’ils s’associent et s’approprient la Zlecaf ?

La Zlecaf qui se crée sera bénéfique au secteur privé ! Le gouvernement peut négocier les règles, mais il ne fait pas le commerce…

N’aurait-il pas fallu, en amont, avoir des discussions avec les acteurs du privé ?

Dès le départ, des consultations et des engagements ont été pris à tous les niveaux. Les discussions qui interviennent au plan national sont menées par les États souverains représentés par les chefs d’État ; mais le processus a impliqué tout le monde, le secteur privé et la société civile.

Certes la Zone de libre-échange permettra de faire entrer des marchandises sans toutefois payer la taxe douanière et, de ce fait, pénalise le gouvernement en termes de recettes, mais le bien-être de la population sera plus conséquent, car les produits seront moins chers sur le marché et donc le pouvoir d’achat sera plus élevé.

Le secteur privé travaillait dans un cadre juridique et réglementaire établit par le gouvernement. Aussi, la Zlecaf introduit-elle de nouvelles réglementations nettement favorables pour les commerçants. Nous tenons à les sensibiliser sur le fait que ce processus qui s’offre à eux constitue une réelle opportunité.

Ceux qui estiment que les États sont en train de se désengager du processus de la Zone de libre-échange font-ils une mauvaise lecture de la situation ?

L’État ne se désengage pas. Pour imager la situation, disons que les entreprises du secteur privé sont considérées comme les joueurs. Nous avons le rôle de « mentor ». Nous avons préparé le terrain et nous avons expliqué les règles aux joueurs. L’État a le rôle d’arbitre. Il interviendra en cas de problèmes, mais cela n’empêchera pas les joueurs de continuer à jouer.

Si 54 pays sur 55 ont signé l’accord de libre-échange continental, 28 seulement l’ont formellement ratifié, le processus est très lent ! Ne craignez-vous pas que la Zlecaf connaisse le même destin qu’Air Afrique, un autre grand projet panafricain ?

Le processus n’est pas lent, bien au contraire. Un total de 54 signatures en une année, c’est un record dans l’histoire de l’Union africaine ! Aucun processus n’a été si rapide.

Après les 28 premières signatures, les autres arriveront très prochainement. Actuellement, nous sommes à plus de 50% de l’objectif alors que juridiquement l’accord demandait 22 ratifications pour que le processus de formalisation de la Zlecaf se déclenche.

Vous évoquez compagnie aérienne Air Afrique. Certes, beaucoup d’initiatives sont nées, sur le continent, et malheureusement elles n’aboutissent pas toutes à un succès ! Pour autant, la Zlecaf constitue une opportunité nouvelle, qui je l’espère, permettra de créer de nouvelles initiatives.

Les services aériens ont déjà fait l’objet d’un accord, c’est-à-dire que les règles qui régissent les compagnies aériennes vont être harmonisées pour permettre aux opérateurs d’opérer sur tout le continent.

Nous avons fait face à un grand défi, dans le transport aérien, car ce secteur souffre d’un problème de connectivité entre les pays. Il est parfois nécessaire de passer par l’Europe pour se rendre de l’Afrique de l’Est vers un pays de l’Afrique de l’Ouest !

Ce n’est pas une question d’argent, car nous en avons assez pour investir ; ce sont plutôt les règles qu’il faut revoir. Ces nouvelles réglementations permettront de générer plus d’investissements. Nous pouvons même espérer voir la compagnie « Air Afrique » ressusciter…

Vous connaissez bien l’Afrique, qui brille par ses lourdeurs, qu’elles soient traditionnelles, sociétales ou politiques. Comment faire en sorte que la Zone de libre-échange soit un outil reconnu par tous comme indispensable ? Avez-vous anticipé le fait que sa mise en application se heurtera, fatalement, à ces lourdeurs ?

Oui bien sûr. Des réformes sont engagées. Le succès de la Zlecaf passe d’abord par la volonté politique, celle-ci est déjà là. Le reste se résumera à changer les mentalités en Afrique. Nous élaborons des stratégies de sensibilisation. Celles-ci consistent à tenir informée la population du processus et ainsi de lui faire comprendre la nécessité de poursuivre programme, pour le développement de l’Afrique.

Le commerce intra-africain représente 18%. Celui entre l’Afrique et le reste du monde représente 82%. Nous importons plus que nous n’exportons. Cela signifie que nous avons besoin de l’importation pour survivre. Nos balances commerciales sont toujours négatives et nous déplorons un gros manque à gagner.

Il faut absolument que les Africains apprennent à produire ce qu’ils consomment. Nous bénéficions de moyens de production, de mains-d’œuvre, du capital et bien sûr des matières premières. Pourtant, nous dépendons de l’extérieur.

Notre structure commerciale avec l’extérieur est à notre désavantage, parce que nous exportons que nos matières premières, or nous importons des produits transformés dont la valeur d’achat et bien plus élevée. En clair, nous payons le reste du monde par notre consommation.

La Zlecaf doit permettre de libéraliser également le secteur du service. Cinq secteurs ont été priorisés : Les services de télécommunication, le transport, les services financiers, le tourisme et le service aux entreprises. Dans cette dynamique, les pays membres ont adopté une méthode dénommée « la liste de libéralisation positive ». Elle aura pour objectif d’éliminer certaines restrictions, assure Prudence Sebahizi. 

La Zone de libre-échange voit une approche différente. Nous voulons valoriser nos matières premières, nos ressources et surtout de développer nos chaînes de valeurs en nous engageants dans la production, sur toute l’étendue du continent.

Les pays africains font face à une cruelle réalité. Certaines régions sont aux mains de groupes djihadistes et terroristes. Comment peut-on parler de Zone de libre-échange sans que ces phénomènes ne soient éradiqués ?

La racine même de l’insécurité en Afrique est liée à la pauvreté. Nous veillons justement à éliminer ce problème avec le programme de développement pour enfin, garantir la paix en Afrique.

La plupart des jeunes sont au chômage, c’est la raison pour laquelle ils rejoignent des groupes terroristes. Nous créons donc l’opportunité pour la jeunesse africaine qui, nous l’espérons, permettra d’éradiquer cette insécurité.

Les gouvernements africains, jusqu’à aujourd’hui, ont échoué sur le plan de la prise en charge de leur population. Si nous n’utilisons pas cette opportunité qu’est la Zone de libre-échange pour résoudre ces problèmes, les soucis d’insécurité ne seront jamais résolus.

Les gens ont tendance à quitter l’Afrique vers les pays développés, l’Europe ou l’Amérique, parce qu’ils pensent trouver davantage d’opportunités. Pourtant, en Afrique, nous avons plus d’opportunités ici qu’ailleurs, c’est la raison pour laquelle nous attirons beaucoup d’investisseurs étrangers sur le continent !

Ainsi, il faut voir la résolution du problème de l’insécurité dans une perspective de développement économique et de croissance.

Quelle est la part financière et l’influence idéologique de l’Occident dans la mise en place de la Zone de libre-échange ?

Nous avons des partenaires au développement partout dans le monde. Ils apportent une contribution à ce programme. Mais il est de notre devoir, à nous Africains, de valoriser cette assistance que nous recevons. Si on nous donne une opportunité de nous développer, il faut la saisir. Il s’agit d’un appui louable et sans cet appui, il serait très difficile de lier les 55 États membres.

De ce fait, n’avez-vous pas les mains liées ? L’Occident finance, ne va-t-elle pas vous donner des directives ?

Nous n’avons reçu aucune directive de nos partenaires jusqu’à présent. Les médias extérieurs peuvent influencer les mentalités par des articles ou reportages, mais le fait est que les accords sont conclus durant les négociations entre Africains.

« L’Afrique est synonyme de guerre et de famine », disent-ils. Est-ce que, Prudence Sebahizi, vous êtes aujourd’hui en capacité de répondre : « Ces faits appartiennent au passé, avec la Zone de libre-échange, l’Afrique est désormais dans la cour des grands », pour qu’enfin les Africains vous entendent et cessent d’aller mourir dans les mers ?

Oui, l’Afrique nous appartient, les changements doivent s’opérer au sein de notre communauté. Si nous en sommes convaincus, l’Afrique peut voler de ses propres ailes. Si nous sommes unis, nous trouverons des solutions à tous nos problèmes. Bien évidemment, certaines personnes auront intérêt à nous voir en désaccord, c’est la raison pour laquelle il nous faut un engagement solide.

*Prudence Sebahizi est conseiller technique en chef de la Zone de libre-échange continentale africaine

ENCADRE

Phrase forte de Prudence Sebahizi

« L’Afrique nous appartient, nous sommes l’Afrique »

« Il y a un adage qui dit ‘Quand vous ne facilitez pas les mouvements des marchandises, que celles-ci ne traversent pas les frontières, les armes elles traverseront », cela signifie que quand les gens sont affamés et qu’ils savent que de l’autre côté de la frontière il y a de quoi manger, ils vont tout faire pour traverser’. »

Écrit par
Par SD

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