Profession notaire
Profession. Amadou Moustapha Ndiaye, président honoraire de la Chambre des notaires du Sénégal.
Comment devient-on notaire au Sénégal ?
La profession de notaire n’est pas unifiée en Afrique. Au Sénégal, il faut être titulaire d’une maîtrise en Droit privé, avoir réussi un concours d’accès au stage de trois ans, à l’issue duquel est délivré un diplôme d’aptitude aux fonctions de notaire.
Mais être apte à la profession de notaire ne signifie pas être titulaire d’une charge, qui s’acquiert soit en étant associé à une charge déjà existante, soit après avoir réussi un concours. Cette option permet d’avoir un jeu plus démocratique à l’intérieur de la profession. De nombreux cabinets s’agrandissent, prennent la forme sociétaire et développent le statut d’associé. Une troisième voie est ouverte pour les notaires salariés qui ne sont pas titulaires d’une charge.
Comment est organisée la profession ?
La Chambre des notaires, dont le siège est à Dakar, est présidée par Maître Papa Sambare Diop. J’ai exercé cette charge durant dix ans (2002-2012).
Elle accompagne les notaires, représente et défend les intérêts de la profession. Le Sénégal compte 42 offices notariaux et 53 notaires.
La profession est encore très mal connue. Et mon successeur aime reprendre une phrase célèbre d’un confrère français : « Profession méconnue, profession mal aimée. » C’est la raison pour laquelle la Chambre des notaires essaie d’améliorer son image en demandant aux notaires d’être plus disponibles, en organisant des journées portes ouvertes et en incitant les notaires à sortir de leur cabinet pour communiquer sur le rôle et l’utilité sociale de la profession.
Il nous faut démontrer notre valeur ajoutée. Il faut aller vers les gens, améliorer notre image, mieux faire connaître un métier encadré par un décret qui fixe le statut des notaires. Un code de déontologie encadre également les rapports entre le notaire et son client dans l’objectif de respecter les règles d’éthique et de déontologie.
Quels sont les enjeux de la profession ?
Le domaine de compétence particulier du notaire, à savoir les transactions immobilières, porte au Sénégal sur moins de 20 % du territoire et les 80 % restants sont considérés comme des terrains non immatriculés qui dépendent du domaine de l’État. Ces transactions ne sont pas passées devant notaire, mais sous seing privé et sont à l’origine de nombreux contentieux qui encombrent les tribunaux. Car ces transactions sont caractérisées par l’absence d’un tiers arbitre, conseiller des parties, chargé de veiller à l’équilibre du contrat et de vérifier préalablement à la transaction que tout est en règle. Ces transactions se nouent en général avec deux témoins qui constatent l’opération, mais elles n’ont pas la valeur juridique d’un acte authentique.
D’où les contestations, car, très souvent, l’acte est mal préparé, souffre d’irrégularité, notamment par le risque d’empiétement ou la notion de capacité des parties qui ne sont pas vérifiées.
La question de la réforme foncière est aujourd’hui incontournable en Afrique. De nombreux litiges existent dans ce domaine, comme celui de la cité Tobago bâtie près du mur de l’aéroport et dont la destruction avait été ordonnée par les autorités. Quel est votre regard sur la réforme foncière en cours ?
Nous sommes associés à la réflexion et je suis moi-même membre du comité d’experts de la commission des réformes foncières en tant que représentant de la Chambre des notaires. Des ateliers départementaux et régionaux sont en cours pour une collecte des informations à la base, car la réforme se veut consensuelle et participative. Il ne faut pas que la réforme soit imposée aux populations. La volonté du chef de l’État est d’écouter les populations et de prendre en compte leurs besoins.
Dans le cas de la cité Tobago, je n’ai pas vu la nature des actes passés, mais je peux affirmer qu’aucun acte établi sur cette zone n’a transité par un notaire ! La rareté des terres et la spéculation à outrance conduisent forcément à ce type de situation. Or, le conseil d’un notaire, gratuit, permettrait d’éviter ce type de situation. Cet événement a une telle importance qu’il devrait avoir valeur d’électrochoc. L’adage qui dit « on ne supplée jamais sans risque à l’intervention du notaire » reste d’actualité.
L’État a-t-il une responsabilité ?
Sans nul doute ! L’État devrait doter ses services de moyens, notamment la Direction de la surveillance et du contrôle de l’occupation des sols (Descos) afin qu’elle puisse accomplir sa mission. Autrefois, les équipes de la Direction de l’urbanisme en charge de cette compétence de contrôle sillonnaient la ville. Il s’agit aujourd’hui de faire la lumière sur cette question de construction, notamment savoir si les propriétaires des maisons démolies détenaient des titres de propriétés réguliers et valables, s’ils avaient les autorisations de construire.
Aux confins du secteur public et du privé, comment intervenez-vous dans le développement économique et l’accompagnement de l’investissement privé ?
L’investissement privé est un enjeu prioritaire et la Chambre des notaires est membre des organisations patronales du Sénégal : le Conseil national du patronat (CNP) et la Confédération nationale des employeurs du Sénégal (CNES). De plus, certains membres de la Chambre des notaires font partie des bureaux des deux syndicats patronaux. Nous sommes au coeur du monde des affaires de par notre maîtrise du droit des affaires. Nous sommes les conseils privilégiés des entreprises, non pas uniquement en accompagnant la naissance d’une société, mais en la suivant tout au long de sa vie. Nous apportons une assistance juridique et quelquefois fiscale, pour établir conformément à la loi les procès-verbaux des réunions et la bonne tenue des registres.
Quel est votre regard sur le climat des affaires ?
De nombreuses réformes ont été menées pour l’améliorer. Mais en tant que notaire et citoyen sénégalais, je ne peux que déplorer le manque de communication du gouvernement relativement aux innovations et à l’arsenal juridique en vigueur au Sénégal. Il faut engager une vulgarisation. Des agences ont été constituées pour le développement des investissements, dont le rôle est de veiller à ce que les mesures prises respectent les règles du droit des affaires. Mais il faudrait passer à une étape supérieure et mener des campagnes de vulgarisation à l’attention des usagers.
À quels types de problèmes les notaires sont-ils confrontés en Afrique ?
Essentiellement à des problèmes d’image. Il faut qu’ils améliorent leur communication vis-à-vis du public. Il faut que l’utilité de leur profession soit démontrée en matière de valeur ajoutée des actes que nous rédigeons, de qualité du conseil apporté, du niveau de prévention et de l’impact sur la réduction des contestations. On ne mesure pas la nature du contentieux qui résulte du manque d’actes notariaux ou de l’absence de concours du notaire.
Le notaire apporte la sécurité qui implique du temps pour mener les vérifications préalables, élaborer des actes sécurisés juridiquement. En règle générale, on confond célérité et sécurité.
Comment le notariat peut-il accompagner les mutations économiques et sociales de l’Afrique ?
Notre quotidien est bercé de la relation avec les clients. Nous sommes attentifs à ce que les projets ne se retrouvent pas devant les tribunaux, veillant à ce que les contrats soient bien établis et que les conseils dispensés correspondent à une forme juridique adaptée à l’investissement, soucieux que le schéma retenu soit optimal pour réaliser leurs opérations.