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Dr. Ebrima Sall : « L’appel aux forces étrangères n’est pas une solution »

Dr. Ebrima Sall : « L’appel aux forces étrangères n’est pas une solution »
  • Publiéfévrier 22, 2018

Le professeur et chercheur, Dr. Ebrima Sall, appelle de ses voeux une organisation militaire et politique renforcée en Afrique, afin que les Africains prennent en charge eux-mêmes leur sécurité et fassent appel le moins souvent possible aux aides extérieures.

Entretien avec J.O

On vous retrouve à Bamako au Mali, dans un pays en quasi-situation de post-guerre, pourquoi ?

Nous sommes à Bamako, où effectivement comme vous le dites, il se passe beaucoup de choses. Nous avons devant nous de grands défis liés à la sécurité et à la paix. On ne pouvait pas trouver mieux que ce pays pour abriter un colloque qui réfléchit sur ces questions-là.

Nous sommes venus aussi avec d’autres chercheurs originaires des autres parties du continent pour partager leurs expériences et leurs expertises à partir des recherches qu’ils ont menées. Avec les chercheurs, il y a des décideurs, des personnalités qui viennent du secteur de la sécurité, les représentants des organisations internationales comme l’Union africaine, ou les Nations unies… et des autorités du Mali, pour échanger les points de vue et voir s’il y a un moyen de dépassement par rapport à toutes ces crises.

Avez-vous quelques esquisses à dessiner en ce qui pourrait être un système de défense à la hauteur de l’Afrique ?

Il faut remettre les populations au premier plan. Le fondement de tout arrangement doit être le respect de la dignité de l’être humain, sa liberté, ses droits exclusifs… Tout ce qu’on peut négocier en termes d’accord, s’il n’est pas axé sur cette considération principale, posera des problèmes. Car si on ne fait pas attention, les rapports de pouvoir détermineront, en fait, l’issue de tous ces conflits. C’est connu, les conflits sont les fruits des rapports de pouvoir, des groupes qui excluent d’autres groupes, ou des gouvernants qui monopolisent les ressources de pouvoir, ou qui n’en font pas bénéficier d’autres.

(La présence des troupes française en Afrique). Ce n’est pas normal du tout ! Leur présence est la suite d’une logique coloniale où il faudra maintenir les troupes pour pouvoir surveiller, contrôler les populations et le pays là où elles sont installées et de la manière la plus rapide possible.

Pour remédier à cela, il faut revenir à l’idée de base qui est la nécessité de construire des sociétés dans lesquelles tout le monde se sent à l’aise, tout le monde à une place ; et quelles que soient leurs origines ethniques, régionales, leurs orientations idéologiques, religieuses ou politiques, les gens pourraient trouver une place et être ainsi respectés.

Question de bonne gouvernance donc…

Je n’aime pas tellement la notion de « bonne gouvernance », parce que pour moi la seule gouvernance qui vaille est la gouvernance démocratique ! Il faut des systèmes de gouvernance démocratique en Afrique. Elle nous a fait défaut pendant très longtemps, mais, chaque fois, on revient à ça. Avec des systèmes de gouvernance démocratique, ceux qui gouvernent vont pouvoir être à l’écoute des populations qu’ils sont censés servir. Ils vont mettre en avant l’intérêt de ces populations et pas des intérêts étrangers ou les intérêts particuliers, encore moins leurs propres intérêts.

La manière dont on gouverne, la manière dont on gère les ressources et les institutions des pays, est l’élément déterminant qui permet de savoir ce qui fait le bonheur ou le malheur d’un pays. Des pays ont beaucoup de ressources mais sont mal gouvernés et ne s’en sortent pas du tout, ils passent d’une crise à l’autre. D’autres n’ont pas beaucoup de ressources naturelles, minérales, mais disposent de ressources humaines et ont l’intelligence de gouverner avec la population de sorte à assurer son bien-être et son mieux-être.

Des intellectuels appellent les États à se désengager d’un pan de la sécurité en le confiant aux sociétés privées de sécurité, ou de gardiennage et surtout aux groupes d’autodéfense ethnico-autochtones. N’y a-t-il pas un risque de dérapage ?

Absolument. Je crois que cet appel au privé est une foutaise ! Bien sûr, on constate une prolifération des services privés de sécurité et des sociétés de gardiennage, des milices, des groupes de défense établis par les communautés. Tout cela est le résultat de la défaillance de l’État. On ne peut pas en déduire que l’État est inutile et qu’on n’en a pas besoin ! Au contraire, on a attendu l’État sur ce terrain-là ; soit ses interventions ont été défaillantes, soit il a été totalement absent et les populations se sont retrouvées livrées à elles-mêmes, donc elles prennent de pareilles mesures.

On ne peut pas construire le continent africain sur une hypothèse par défaut. On ne peut prendre des mesures de survie comme des modes normaux de fonctionnement. Au contraire, il faut créer des mécanismes qui permettent de réguler toutes ces fonctions. Même si l’État ne doit pas avoir le monopole du contrôle de cet aspect de la sécurité, il devrait savoir travailler avec des acteurs privés, des acteurs internationaux, avec d’autres acteurs, il faudrait que l’État soit là et qu’il crée le cadre institutionnel.

Car dans ce secteur, il y a beaucoup d’abus, même au niveau des communautés. Je prendrai l’exemple du Nigeria. Des groupes de vigilance, créés pour sécuriser la population, se transforment en des occasions de crises en milices meurtrières ! L’État ne devrait donc pas laisser cette activité à l’abandon et permettre que n’importe quoi puisse se faire ! On aimerait bien des institutions démocratiques, légitimes, fonctionnelles et très fortes dans notre continent. Et à tous les niveaux, local comme continental.

La solution ultime à beaucoup de ces problèmes, n’est pas au niveau d’un pays, mais au niveau continental. Il va falloir que l’Afrique sache dépasser les petits blocages factices pour réfléchir sur les grandes questions d’aujourd’hui. D’énormes défis se posent à nous qu’il ne faut pas penser résoudre individuellement, de manière dispersée ou dans la confrontation. Il va falloir mettre nos intelligences ensemble pour commencer à parler d’autre chose que des questions de survie.

Intervention militaire étrangère, entre autres, en Libye, en Côte d’Ivoire, au Mali. À chaque crise, l’Afrique en appelle à l’étranger, plus de 50 ans après les indépendances…

Je ne pense absolument pas que ce soit la solution de faire appel à des forces étrangères. Nous avons l’intelligence, nous avons les ressources, nous avons l’expérience même, au niveau de l’Afrique, d’organiser nos propres affaires. De gérer nos affaires d’une manière qui n’est pas abusive et qui permet de tenir compte des différentes composantes de nos pays. Agir dans le plus grand intérêt de nos peuples et de notre continent. Cette intelligence existe. Il faut partir de ce postulat pour dire que si nous savons bien gérer et éviter les crises, si celles-ci surviennent quand même, on peut se concerter pour pouvoir trouver des réponses à apporter aux difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Aucun pays ne peut vivre dans une paix éternelle, sans crises, sans catastrophes (il y a des catastrophes naturelles, des catastrophes fabriquées par des interventions humaines…). Gouverner, c’est justement être capable de faire face aux situations inattendues de crises. Et nous en sommes capables.

L’Afrique y est peu parvenue…

En Libye, l’intervention étrangère a été une intervention de l’OTAN qui a ignoré totalement les initiatives prises par l’Union africaine par rapport à la situation dans ce pays. C’est un cas typique d’ingérence étrangère dans les affaires d’un État souverain. L’OTAN est venue, parce que des gens avaient des contentieux avec le président Mouammar Kadhafi, ils ont voulu régler le problème d’une certaine façon, sans faire attention aux conséquences de leurs actions et ils ont créé plus de catastrophes et de désordres dans cette région qu’avant leur intervention.

En Côte d’Ivoire, on est partis sur des considérations de citoyenneté avec le néologisme de l’ivoirité. Qui est natif de tel pays, qui ne l’est pas ! On trouve toujours des origines étrangères aux personnes avec qui on a des problèmes politiques et ça c’est regrettable. Si on suit cette logique, il n’y aurait jamais un Barack Obama en Afrique ! Le président Obama n’est pas un immigré de plusieurs générations, c’est son père qui est venu du Kenya.

Barack Obama n’est pas moins Américain que n’importe quel Américain et pas plus Américain que n’importe lequel des Américains. La négation de la citoyenneté est une maladie dont il faut se départir dans notre continent. Plutôt que de trouver des origines aux adversaires, le plus important est trouver comment vivre ensemble et créer les conditions d’une vie commune qui nous permettrait de répondre justement aux grands défis du développement et du monde.

En Côte d’Ivoire, ce problème a empoisonné l’atmosphère sociopolitique notamment quand on a tenté d’écarter des personnes qui ont occupé des fonctions politiques à un haut niveau. Au terme d’un scrutin électoral, il y a eu une crise post-électorale, donc s’il y a une intervention étrangère, elle a lieu à un moment très ponctuel et très précis et on ne peut pas attribuer la responsabilité de la crise ivoirienne à cette intervention. Je fais la différence entre ce qui s’est passé à ce niveau-là et ce qui s’est passé en Libye.

En ce qui concerne le Mali, la présence des militaires partout est le symptôme le plus illustratif de la gravité de la crise dans ce pays. L’hôtel dans lequel nous nous trouvons, est plein de militaires alors qu’il a été construit pour recevoir des clients et des visiteurs pour des vacances, pour des affaires ! Il faut juste espérer que les hôtels dans ce pays servent aux clients au lieu d’abriter des troupes étrangères. En regardant le Mali, nous avons la preuve qu’on doit impérativement mutualiser nos efforts et nous intégrer en Afrique. Les guerres ne se font plus comme elles se faisaient dans le temps, elles ont changé de visage. Il a fallu deux semaines aux troupes de la Cedeao pour venir de Lagos (Nigeria) à Dakar (Sénégal) pour arriver aux zones de conflits (Mali) ; les jets français sont arrivés en quelques heures ! Quel est le pays africain qui est capable de faire intervenir des jets aussi rapidement dans un cas comme celui-là. Par conséquent, aujourd’hui, même pour la technique de la guerre, l’intégration est un impératif.

De plus, pendant un temps, on n’était pas vraiment sûr d’une volonté de faire en sorte que la région intervienne plus au Mali et les gens avaient tendance à privilégier certaines interventions étrangères ! C’était triste de regarder le sommet de l’Union africaine qui s’est tenu après, où tout commence par des remerciements à la France pour avoir sauvé le Mali. Ils ont dû avoir honte que nous n’ayons pas été capables de trouver nos solutions à nos problèmes, et qu’il faille compter sur d’autres.

L’Afrique ne doit compter que sur elle-même ?

Je ne dis pas qu’il n’y a pas une responsabilité partagée au niveau international par rapport à ce qui se passe au niveau de l’Afrique. Si on est une communauté internationale, cela signifie que l’on a des responsabilités partagées, il se forme une solidarité et mieux une obligation de solidarité, mais les responsables premiers par rapport à la recherche de solutions aux crises en Afrique, ce sont les Africains eux-mêmes. Comme les responsables premiers par rapport au développement de notre continent, cela doit être les Africains d’abord. Si on pense qu’on va gérer l’Union africaine, les institutions internationales, les institutions de recherches, en gros tout faire avec l’appui étranger, c’est une manière de dire qu’on ne se sortira jamais d’affaire ! Ce n’est pas ce que nous souhaitons comme avenir pour l’Afrique et ce n’est pas non plus la vision de l’Agenda 2063. Ce n’est pas non plus ce que souhaitaient les Kwame Nkrumah, Cheickh Anta Diop, Patrice Lumumba, et ce pourquoi ils se sont battus.

Plus de 50 ans après les indépendances, des troupes de l’Armée française sont stationnées dans certains pays africains…

Ce n’est pas normal du tout ! Leur présence est la suite d’une logique coloniale où il faudra maintenir les troupes pour pouvoir surveiller, contrôler les populations et le pays là où elles sont installées et de la manière la plus rapide possible. Les fondateurs des organisations régionales africaines (Kwame Nkrumah et autres) avaient une idée de la manière non seulement d’éviter ces cas-là, mais de régler les crises qui pouvaient survenir : c’était de faire en sorte d’avoir une mutualisation des forces de défense et de sécurité au niveau de l’Afrique ; qu’elles soient réunies à des endroits précis ou qu’elles soient préparées et dispersées sur le continent. On a l’obligation de le faire si on veut préserver notre indépendance. Car, en fait, au fond, c’est de cela qu’il s’agit… On ne peut pas dire que nous sommes indépendants, autonomes, si notre sécurité est assurée par d’autres !

Dans le cadre des systèmes de défense en Afrique, doit-on pouvoir envoyer des femmes sur des champs de batailles extrêmement violents ?

Ce que les femmes veulent, c’est qu’on ne les infantilise pas. Il faudrait laisser cette question aux femmes. Si elles disent qu’elles ne sont pas prêtes, ou qu’elles n’osent pas, ou qu’elles n’ont pas envie, nous verrons bien. Ce n’est pas aux hommes de tracer les lignes aux femmes. Qu’elles aient le choix de décider, mais qu’on ne les oblige pas non plus à aller sur des champs de bataille. [Réédition]

Écrit par
ade

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