Philippe Bohn, directeur général d’Air Sénégal
Malgré son réseau et son expertise, Philippe Bohn, à qui le président Macky Sall vient de confier la direction de la nouvelle compagnie aérienne Air Sénégal, reconnaît qu’une tâche difficile l’attend.
Dakar, Christine Holzbauer
Dès sa prise de fonction, le 6 septembre, à la tête de la nouvelle compagnie aérienne sénégalaise, Philippe Bohn, 55 ans, est entré dans une zone de turbulences. Traité de « sorcier blanc » par ses prédécesseurs qui ne lui épargnent aucune critique, par presse locale interposée, ce baroudeur dans l’âme, qui a débuté comme reporter photo avant de devenir le « Monsieur Afrique » d’Airbus, s’est fixé une ligne d’horizon à laquelle il ne dérogera pas. « Je suis là à la demande du président Macky Sall pour faire décoller Air Sénégal et je vais faire le job », martèle ce maître yogi qui a combattu dans les maquis de l’Unita en Angola et à qui le risque ne fait pas peur. « Plus le terrain est miné, plus cela me plaît ! », ajoute-t-il, un petit sourire en coin.
Cet ancien conseiller d’Elf-Aquitaine, Oberthur, Vivendi et enfin Airbus, est avant tout un homme de réseau rompu aux négociations commerciales et internationales ; il admet toutefois que redonner des ailes à Air Sénégal n’est pas une mince affaire. Depuis la disparition d’Air Afrique en 2002, la compagnie est la troisième tentative pour faire voler des avions sous pavillon sénégalais.
Les deux précédentes, Air Sénégal International (2001-2009) et Sénégal Airlines (2011-2016), ont dû déclarer forfait laissant, à chaque fois, une ardoise considérable. Un nouvel échec pèserait lourd sur le bilan de Macky Sall dans la perspective de la présidentielle de 2019 et risquerait, de surcroît, d’entamer sérieusement la stratégie de hub du PSE (Plan Sénégal émergent). D’où la course contre la montre pour que tout soit fin prêt pour le 7 décembre, date arrêtée pour l’inauguration en grande pompe du nouvel aéroport Blaise-Diagne (AIBD).
Longs-courriers
En venant me chercher, le « patron » comme il aime appeler Macky Sall – un ami de longue date qu’il a connu lorsqu’il était à Petrosen dans la mouvance du président Abdoulaye Wade –, avait besoin d’un « homme de confiance bien introduit dans les milieux aéronautiques pour l’aider à tout remettre à plat », poursuit-il. Chez lui, petit, ce fils d’éditeur (Berger Levrault) dont le premier essai de géopolitique va sortir en février 2018, croisait Léopold Sédar Senghor. Cette proximité avec le Sénégal et sa connaissance de l’Afrique font qu’il n’a pas hésité, même s’il avait des propositions par ailleurs ; le challenge industriel l’a attiré : « Je ne m’engage jamais dans une bataille que je ne suis pas sûr de gagner », confie ce Breton dont l’ami d’enfance était Vincent Bolloré, avec qui il n’a jamais travaillé.
Voyant Dakar comme un hub géographique « naturel » à équidistance de la plupart des grandes destinations à l’international, que ce soit l’Europe, les États-Unis mais aussi l’Amérique latine et l’Asie sans parler du Moyen-Orient, Philippe Bohn entend faire d’Air Sénégal une nouvelle success story commerciale dans le ciel africain à l’instar des « pépites » que sont Air Côte d’Ivoire, Asky Airlines ou bien Rwandair, en privilégiant les vols long-courriers.
Après avoir réceptionné à Toulouse les deux ATR 72 destinés aux lignes intérieures sénégalaises, il va s’employer «dans le premier trimestre de 2018» à doter la compagnie d’au moins trois Airbus pour lui permettre de se déployer à l’international. Les deux ATR 72, dont l’acquisition a été négociée au dernier salon du Bourget par l’ex-président du conseil d’administration d’Air Sénégal, Thierno Niane, devraient décoller le 7 décembre, au moment de l’inauguration de l’AIBD. « Il n’y a pas d’inquiétude. Nous sommes prêts pour un vol inaugural, affirme le directeur général d’Air Sénégal, mais ce n’est pas avec ces avions-là que nous gagnerons de l’argent et développerons la compagnie».
Black List
Car, pour lui, il n’est pas utile d’être pilote pour savoir gérer une compagnie aérienne. Ses détracteurs lui reprochent son « immobilisme » et l’accusent de transformer ce vol inaugural en un simple vol de présentation sans qu’il soit suivi de commercialisation. Ce à quoi il rétorque qu’il suffit de regarder les chiffres pour se rendre compte que la ligne Paris Nice, à elle seule, génère un trafic de 5 millions de passagers alors que le Sénégal, tout vol confondu, atteint péniblement les deux millions. « Le marché des lignes aériennes est appelé à fusionner. C’est vrai en Europe comme en Afrique. Aussi, dans cinq ou six ans, il faudra qu’Air Sénégal puisse rivaliser avec les plus grandes compagnies actuelles sur le continent pour ne pas être balayée. Autant s’y préparer tout de suite », explique-t-il.