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« Nous progressons dans un marché bridé », dixit Hassen Khelifati*

« Nous progressons dans un marché bridé », dixit Hassen Khelifati*
  • Publiéjuin 13, 2019

Fondateur et PDG de Alliance Assurances, la deuxième compagnie privée algérienne, Hassen Khelifati s’engage sur le terrain politique. Il ambitionne de devenir président du Forum des chefs d’entreprise et de réformer le climat des affaires dans son pays.

Alger, propos recueillis par Ali Boukhlef 

Depuis quelques années, vous êtes à la tête de la deuxième compagnie d’assurance privée d’Algérie. Est-il facile de travailler dans ce marché ? 

Cela reste compliqué, parce que sa structure est dominée par les entreprises publiques, dont la part de marché est de 76 %. Depuis dix ans, la part du secteur privé n’a pas progressé.

Elle tourne toujours autour de 24 % à 25 % en raison des pratiques, des verrouillages dans le marché qui ne laissent pas les entreprises privées évoluer sainement.

En Algérie, nous n’avons pas de régulation indépendante. Aujourd’hui, le régulateur est logé au ministère des Finances ; à travers la commission de supervision du marché des assurances, cela ne garantit pas une stricte neutralité pour des jugements impartiaux même avec toute la bonne volonté du monde.

La commission est présidée par le directeur général du Trésor qui est lui-même président des assemblées générales des entreprises publiques d’assurances. Nous voyons donc le conflit d’intérêts… 

D’autre part, persistent la pratique du dumping, celle du sous-provisionnement, toutes ces tares qui ne doivent pas exister dans un marché financier. Nous avons tout le temps essayé de demander des réformes profondes. Sans succès. 

Malgré ce climat, Alliance Assurances parvient à se frayer un chemin. Dans quelle situation se trouve-t-elle ? 

Aujourd’hui, par rapport aux chiffres des entreprises privées algériennes, elle arrive en deuxième position. En 2018, nous avons dépassé, pour la première fois, la barre des 5 milliards de dinars de chiffres d’affaires (37,4 millions d’euros).

Globalement, nous sommes satisfaits, car nous continuons notre progression Nous représentons 4,5 % du marché. Nous avons progressé de 4,3 % par rapport à l’année d’avant. La partie « dommage » du marché n’a progressé que de 2 %. . 

Nous avons notre politique de produits, de digitalisation et de qualité de services qui permettent de fidéliser notre clientèle et nous font gagner des clients.

Malheureusement, sur le marché, ce n’est pas toujours la qualité de service qui prime ! Dans beaucoup de cas, c’est le dumping qui fonctionne. Nous avons toujours refusé de suivre cette voie, parce que cette pratique affaiblit à terme les compagnies et les mène dans une impasse. 

L’absence de la diversification de l’offre, à cause notamment de l’absence d’assurance-vie, ne vous freine-t-elle ? 

L’assurance aux personnes ne peut se développer dans un marché comme celui de l’Algérie sans avoir un marché financier dynamique qui peut permettre les placements des produits alternatifs. Nous essayons, par contre, de diversifier par le biais d’autres produits comme l’immobilier ou l’industrie. 

Le problème est dans le choix des modèles. Aujourd’hui, l’Algérie n’est ni dans une économie franche de marché avec la part du privé nécessaire, ni dans une économie étatisée où le secteur public est dominant. La forte présence des entreprises publiques handicape le développement du marché. 

L’absence du marché financier et des réformes structurelles de celui-ci…

Notre politique de produits, de digitalisation et de qualité de services permettent de fidéliser notre clientèle et nous fait gagner des clients. Malheureusement, sur le marché algérien, ce n’est pas toujours la qualité de service qui prime ! 

…dans sa globalité, c’est-à-dire le système bancaire, le système boursier, le système fiscal, ne plaide pas pour un développement plus sain et plus rapide du marché algérien des finances, et particulièrement celui des assurances. 

Vu la situation particulière dans laquelle vit le pays depuis quelques mois, est-il possible d’être un entrepreneur sans être taxé d’allégeance au pouvoir, un reproche qu’on a souvent fait à de nombreux entrepreneurs algériens ? 

Le nombre d’entrepreneurs en Algérie avoisine les 600 000 et le pays compte presque deux millions de commerçants ! Bien sûr, certains d’entre entre eux étaient proches du pouvoir politique, on a pu les taxer d’«oligarques», mais la quasi-majorité des entrepreneurs algériens rencontrent énormément de problèmes sur le terrain.

Ils rencontrent des difficultés administratives, entre autres, pour mener leur business. Ils font face à la bureaucratie et à des blocages, mais arrivent à construire de la croissance et de belles entreprises florissantes. 

Il ne faut pas que l’image d’une minorité déteigne sur la majorité qui est loin de cette démarche d’oligarques ou de gens qui profitent des avantages du système. Certes, l’absence de réformes et de vision économique stable rend notre marché plus difficile, mais il est plus rémunérateur et a un grand potentiel. 

Vous faites partie, vous-même, du FCE (Forum des chefs d’entreprise) qui accompagnait l’ancien pouvoir dans sa politique. Cette appartenance ne risque-t-elle pas de vous poursuivre ? 

Non, pas du tout. Cela ne risque pas de m’impacter, au même titre que la majorité des membres du FCE. Il y a effectivement une période où la direction de l’organisation était collée au pouvoir politique de manière ostentatoire.

C’était l’oeuvre de l’ancienne présidence. Sur le fond, l’élection de l’ancien président, Ali Haddad, était vue comme une solution pour les entreprises de régler leurs problèmes grâce notamment à sa proximité avec le pouvoir.

Mais nous avons vite déchanté. La situation n’a pas changé. Les réformes n’ont pas été exécutées et n’ont donc pas eu d’impact tangible sur notre économie. 

Les chefs d’entreprise sont une élite qui fait partie de ce pays. C’est une catégorie qui crée de la richesse et de l’emploi. Le secteur privé algérien est aujourd’hui celui qui crée le plus de valeur ajoutée, hors-hydrocarbures. En revanche, il a besoin qu’on lui facilite la tâche pour construire notre économie. 

Justement, vous briguez la présidence de l’organisation patronale. Quel est votre projet pour dynamiser des secteurs considérés à la traîne, notamment les finances et la banque ? 

Je brigue la présidence du FCE après une demande de certains membres qui considèrent que je peux être leur représentant. Nous sommes en train d’élaborer un programme de rupture et de refondation avec plusieurs axes, notamment l’éloignement de cette organisation de la politique. 

Nous envisageons même de changer le nom de l’organisation. Nous allons réunir des collèges d’experts et de groupes de concertation, effectuer des sondages pour avoir les avis des membres sur des questions économiques.

Le FCE doit revenir à sa vocation d’origine qui est celle d’une force de proposition face au gouvernement pour l’amélioration du climat des affaires. Il doit aussi inciter ses membres à respecter les lois et l’éthique.

*PDG de Alliance Assurances

Écrit par
Ali Boukhlef

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