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Nicolas Normand (ancien diplomate) : Un regard d’érudit sur l’Afrique

Nicolas Normand (ancien diplomate) : Un regard d’érudit sur l’Afrique
  • Publiéfévrier 22, 2019

La diplomatie a trop négligé la compréhension anthropologique et sociologique, pensant implicitement que les sociétés d’Afrique fonctionnent comme celles d’Europe. 

Depuis l’élection d’Emmanuel Macron, on sent une volonté de rupture dans la politique africaine de la France. Pensez-vous que cette volonté sera suivie d’effet ? 

Cette volonté de rupture est plutôt une constante, tant Sarkozy ou Hollande le disaient aussi. On se focalise à tort sur la « Françafrique ». Or, il a toujours existé des réseaux troubles, mais pas seulement avec l’Afrique. On « diabolise » les relations franco-africaines, ce qui implique la volonté de rupture. Laquelle, concrètement, se déroule de deux manières : on peut s’intéresser à l’Afrique anglophone en négligeant un peu les francophones, et c’est ce qui s’est produit. Ou on considère qu’il faut s’intéresser davantage à d’autres régions plus émergentes, et c’est aussi ce qui s’est produit. 

Que le président Macron peut-il apporter dans cette volonté de faire bouger les lignes ? 

Il apporte un regard neuf. Son discours de Ouagadougou était excellent mais la réalité demeure autre. Il y a eu récemment des efforts pour s’occuper un peu plus des pays africains en difficulté – des annonces ont été faites –, mais, globalement, l’aide française n’est pas pilotée politiquement. Elle cède encore à la facilité en s’occupant des « grands émergents ». Je ne vois pas de réponse articulée et vraiment prioritaire vis-à-vis de notre Sud immédiat, qui est en crise. L’AFD (Agence française de développement) reste un organisme technique largement autonome. Un seul exemple, l’AFD ne consacre que 2 % de ses crédits à l’éducation, zéro à la natalité et n’est pas non plus un intervenant sur les fonctions régaliennes. 

En matière économique, malgré l’inventivité extraordinaire de certains Africains, le continent, aujourd’hui, fait du sur-place… 

Je nuancerais : je vois une hétérogénéité très forte, mais aussi une Afrique pré-émergente, qui se porte plutôt bien. Ce sont des petits pays comme le Cap-Vert, les Seychelles, Maurice, le Rwanda, le Botswana ou la Namibie, petits par la taille ou la population, ou d’autres tels que le Kenya, la Tanzanie, le Ghana, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Éthiopie qui ont aussi une forte croissance. 

Mais malgré la croissance, les indicateurs de ces pays sont mauvais… 

On aurait pu dire la même chose de la Chine à la fin de l’ère Mao… Les indicateurs étaient catastrophiques, proches de zéro ! La Chine sortait d’un siècle et demi d’État failli. Il a fallu attendre Deng Xiaoping pour que la Chine décolle, et formidablement ! Il est vrai que des pays comme l’Éthiopie ont des indicateurs faibles, mais les taux de croissance y sont tout de même impressionnants sur la durée et des réformes structurelles sont engagées. Au regard de la croissance, 6 sur 10 des pays les plus performants du monde sont subsahariens. À l’autre extrême, demeure cette Afrique en difficulté : la zone du Sahel et aussi l’Afrique centrale, avec la Centrafrique et la RD Congo, le Burundi, le Soudan du Sud. Et la troisième zone est celle de ces pays qui se trouvent à la croisée des chemins comme le Nigeria ou encore l’Angola. Ce dernier est encore classé parmi les pays les moins avancés, malgré l’abondance de ses ressources. Ce sont des pays qui peuvent émerger. Tout dépendra de leur gestion. 

Quelles sont les priorités ? 

Il y en a trois : la consolidation et l’impartialité des États, l’éducation et la régulation des naissances. Bien sûr, cela ne suffit pas. Il faut aussi traiter le déficit d’infrastructures, notamment de l’électricité. L’agriculture a besoin aussi de réformes. Mais je vois trois priorités et l’exemple des réussites en Asie. 

Si vous regardez les chiffres, le Mali ne compte que 16 000 soldats là où l’Algérie en détient 520 000 ! Le budget de la Défense du Niger est inférieur à 200 millions de dollars alors qu’il est de 10 milliards en Algérie ! Nous sommes encore très loin du nécessaire. De même pour l’éducation et la démographie. 

Quelles sont, aujourd’hui, les raisons d’être optimiste ? 

J’en vois deux : les exemples de réussites et le fort potentiel en ressources. Certaines zones ont réglé leurs principaux problèmes. Le Ghana, le Kenya, le Cap-Vert, le Rwanda, l’Afrique du Sud, etc. ont, dans les grandes lignes, réglé la question de l’éducation. Ce sont des pays qui, certes, ne sont pas enclavés et qui ont donc moins de difficulté pour leurs infrastructures. Les matières premières ne sont pas forcément une « malédiction » : le Botswana, qui vit de la production de diamants, jouit d’une bonne gestion sur la durée. 

Peut-on comparer l’Afrique avec la Chine, qui a connu une forme de cohérence ? 

Je ne crois pas vraiment à un obstacle né de la diversité culturelle ou ethnique. La Somalie est le pays le plus déstabilisé d’Afrique, depuis 1991, alors qu’elle est la seule nation mono-ethnique du continent. De très nombreux autres pays sont pluriethniques, mais par rapport au reste du monde, la diversité culturelle est doublement supérieure en Afrique subsaharienne. On y trouve près de deux mille langues pour 48 pays qui ne représentent que 17 % de la population mondiale. On peut parler de sur-diversité culturelle. Cela n’est pas un problème si un civisme et une culture nationale sont encouragés. Dans les zones où des tensions apparaissent néanmoins, le rôle des fonctions d’arbitrage, de justice et de police est primordial. 

Pourtant la question mérite d’être posée : partout dans le monde, la démocratie est en crise. Peut-on, dès lors, l’imposer aux Africains comme un modèle ? D’ailleurs, elle ne prend pas du tout… 

Je ne partage pas cet avis. Le continent africain est aujourd’hui la partie du monde où la démocratie se développe le plus. Ce n’est pas un modèle imposé mais une demande sociale qui est forte. C’est le seul continent qui donnerait raison à la thèse de Fukuyama sur « la fin de l’histoire » ! Personne n’impose d’ailleurs un modèle et les néo-despotismes peuvent réussir lorsqu’ils sont éclairés. 

On y observe peut-être les règles de la démocratie, mais on l’a vidée de sa substance… 

On assiste à un déferlement des démocraties, commencé par les conférences nationales. Cette tendance est plus marquée en Afrique que partout ailleurs dans le monde, où l’on constate même plutôt une évolution inverse. Certes, il est permis de se demander si certaines « démocraties » ne sont pas en trompe-l’oeil. Il y a différents cas de figure, de la « démocrature» à la démocratie hybride incorporant des comportements hérités de cultures traditionnelles. Mon livre évoque des démocraties « en peau de léopard ». En dépit des obstacles, la démocratie répond à une aspiration majoritaire des populations africaines. Elle n’est pas purement importée, mais trouve aussi des racines africaines. 

Pourtant, le modèle n’est plus attrayant pour les populations. 

Pour l’instant, nous sommes dans une phase d’extension de la démocratie. Effectivement, dans certains pays, les populations sont déçues. Non sans doute de la démocratie elle-même, mais de l’État, dont ils voient les dysfonctionnements.

Lorsque les réactions de déception et de rejet sont fortes, le fondamentalisme ou encore le ressentiment populiste peuvent apparaître comme des alternatives. Là où l’État est absent, des djihadistes peuvent imposer un ordre obscurantiste et rétrograde, mais parfois préférable à l’anarchie. C’est un danger.

Écrit par
Hichem Ben Yaïche et Guillaume Weill-Raynal

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