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Nicolas Normand (ancien diplomate) : Un regard d’érudit sur l’Afrique

Nicolas Normand (ancien diplomate) : Un regard d’érudit sur l’Afrique
  • Publiéfévrier 22, 2019

Ancien diplomate, grand connaisseur du continent, passionné de culture, Nicolas Normand a décidé de raconter l’histoire de l’Afrique à sa manière. Un récit captivant où l’anthropologie se mêle à l’histoire et à la géographie. L’un des meilleurs livres de l’année écoulée. 

Entretien avec Hichem Ben Yaïche et Guillaume Weill-Raynal 

Comment est née l’idée de ce livre ? 

De la nécessité constante de décrypter les sociétés africaines au-delà des apparences. D’où le recours aux anthropologues et aux experts qui m’ont aidé à dépasser l’analyse diplomatique ou économique classique. 

Mais comment se différencier de tout ce qui a déjà été écrit ? 

Je n’ai pas cherché, a priori, à me différencier. Il n’existait pas, pour l’Afrique subsaharienne, de synthèse explicative claire des transformations sécuritaires, politiques, culturelles et économiques s’appuyant sur les sciences sociales, y compris l’ethnopsychiatrie par exemple. 

Et qu’est-ce que votre approche originale nous apprend ? 

Beaucoup de choses ! Notamment pourquoi l’Afrique a connu la pauvreté et des difficultés à se développer. Ou pourquoi le djihadisme se développe ou bien encore quelles sont les conséquences de la globalisation sur les cultures africaines, un sujet que Georges Balandier avait étudié.

Ainsi certains discours actuels, même celui d’un économiste comme Felwine Sarr, semblent rejeter l’idée de développement, comme si c’était la manifestation d’une idéologie occidentale. C’est un discours que l’on n’entend guère dans d’autres parties du monde ! 

C’est un discours qui cache des blessures, à travers la diplomatie de l’humiliation et de la souffrance… 

Oui, on retrouve des blessures narcissiques profondes, la marque d’une histoire traumatisante. Axelle Kabou dans Et si l’Afrique refusait le développement ? avait analysé l’idée que le développement était une nouvelle injonction des Blancs, une parole des dominants, rejetée à ce titre. Cette pensée radicale peut mener à une impasse, mais cela ne veut pas dire, bien sûr, qu’il faille négliger les racines et les valeurs africaines. À cet égard, je rejoins l’approche de Célestin Monga ou d’Achille Mbembe, selon lesquels il est excessif de se focaliser sur le principe d’« indigénéité », le repli qui rejette le bébé de la modernité avec l’eau du bain de l’impérialisme. 

Cette démarche n’est pas accessible à tous, elle est très complexe. La pensée de ces deux auteurs n’arrive pas à déborder un petit cercle d’initiés. 

Oui, il persiste en Afrique une hétérogénéité culturelle plus forte qu’ailleurs dans le monde, ce qui est dû à une contre-acculturation plus complexe : les cultures ont été confrontées à toutes les influences contradictoires du monde. Pour simplifier, d’un côté, il y a ceux qui soutiennent l’idée d’un développement par l’économie de marché et l’exemple des réussites étrangères. À l’opposé, le marxisme pur et dur ayant disparu, d’autres soutiennent un fétichisme des valeurs africaines mêlé d’altermondialisme. Et entre les deux, on trouve tout un éventail d’opinions, avec un regain ou une réinvention du religieux et une forte diversité. Mais, au total, les Africains devraient construire un socle commun et une vision partagée de l’avenir. 

Qu’y a-t-il d’intrinsèque, dans cette Afrique moderne, qui regarde vers l’avenir ? 

Le choc des civilisations évoqué par Samuel Huntington traverse les populations d’Afrique. De nombreux pays d’Asie trouvent un consensus sur ce qu’il faut faire : consommer, se loger, éduquer ses enfants, grimper socialement etc. L’Afrique se heurte à plus de résistances d’ordre intellectuel, culturel ou religieux et à des inégalités plus fortes entre les élites et les populations. 

Comment en sortir, et sortir par là même de l’afro-pessimisme ? 

Je n’exprime pas une vision pessimiste. Le décollage est même à l’ordre du jour, en dépit de ces décalages entre dirigeants et populations qui vivent souvent dans un autre monde, comme cetains intellectuels marginalisés, sans oublier les injonctions extérieures déresponsabilisantes des bailleurs de fonds. 

Quelles en sont les causes ? Le découpage des frontières au cordeau, hérité de l’époque coloniale ? 

Non, je ne le pense pas, même s’il est vrai que certains pays ont des frontières très artificielles, qui réunissent des peuples dépourvus d’histoire commune, ce qui rend la création d’un État-nation assez difficile. Une nation suppose une vision commune.

Les démocraties sont un peu les taches noires de la peau du léopard. En dépit des obstacles, elles répondent à une aspiration profonde des populations. La démocratie n’est pas importée, elle correspond à une tradition africaine.

Au minimum, il est toujours possible de créer une forme de civisme constitutionnel, comme l’a théorisé Jürgen Habermas. La difficulté à construire une citoyenneté et une nation fait partie des handicaps qui expliquent largement la pauvreté de l’Afrique aujourd’hui. Si on les compare avec l’Asie, les structures africaines ont été beaucoup plus meurtries par l’intrusion occidentale. L’Asie n’a pas été non plus touchée par l’esclavage. Le problème principal des États postcoloniaux africains est que leur histoire est encore trop brève pour avoir permis l’élaboration d’institutions efficaces et inclusives favorables à la confiance et au développement. 

La faute aux élites ? 

Cette explication est insuffisante. Les États qui ne rencontrent pas de problèmes et qui ont de bonnes institutions ne se sont pas faits en général du jour au lendemain. Cela a pris des siècles, avec des ruptures et la montée de nouvelles élites. 

Si l’on ne veut pas rester dans l’incantation, quel est le chemin qui pourrait permettre aujourd’hui à l’Afrique d’entrer dans un cercle vertueux ? 

Certains pays y figurent déjà. Ce qui n’est malheureusement pas le cas de toute une partie du continent. Pour quelles raisons ? Je l’ai dit : l’héritage d’une histoire à la fois heurtée et courte, ne donnant pas le temps de construire des États et des pouvoirs régaliens solides. Ils manquent, bien souvent, de justice qui fonctionne, d’armée ou de police capable de s’opposer aux groupes armés ; le territoire n’est pas sous contrôle, notamment au Sahel. 

Écrit par
Hichem Ben Yaïche et Guillaume Weill-Raynal

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