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Mali, quel avenir après les sanctions ?

Mali, quel avenir après les sanctions ?
  • Publiéjanvier 29, 2022

Les sanctions sévères imposées par la Cedeao au Mali à la suite du refus de la junte à un retour rapide à un régime civil risquent d’étouffer l’économie. Elles risquent aussi de galvaniser le soutien au régime militaire.

Par Shoshana Kedem et Charles Dietz

Le Mali est mis à rude épreuve par les sanctions imposées par la Cedeao (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest). Elles laissent le pays isolé et luttant pour importer des marchandises. Pendant ce temps, la France et les pays partenaires s’interrogent sur leur présence dans le pays, contestée et dangereuse pour leurs représentants.

Dans une déclaration commune du 9 janvier, le bloc des quinze membres avait déclaré que le non-respect par les autorités de transition du Mali d’un accord prévoyant un retour à un régime civil ne laissait d’autre choix que d’imposer des sanctions.

La ministre française des Armées constate, dans une déclaration du 29 janvier, « que les conditions de ‘intervention française au Mali, qu’elle soit militaire, économique, politique, sont rendues de plus en plus difficiles ». Florence Parly considère aussi que la junte militaire « cherche manifestement à rester au pouvoir le plus longtemps possible ».

Les sanctions sont les plus sévères imposées par le groupement depuis que le défunt président Ibrahim Boubacar Keita a été renversé par un coup d’État en août 2020. Elles comprennent le rappel des ambassadeurs de la Cedeao, la fermeture des frontières terrestres et aériennes entre les pays de la Communauté et le Mali, la suspension des transactions financières et commerciales (sauf essentielles) et le gel des avoirs du Mali dans les banques publiques et commerciales de la Cedeao. Celle-ci met en œuvre les sanctions et a appelé les Nations unies, l’Union africaine d’autres partenaires à les soutenir.

Cependant, les frontières avec la Guinée et la Mauritanie voisines restent ouvertes. Le régime militaire au pouvoir en Guinée a indiqué le 15 janvier que la propre suspension de Conakry de la Cedeao en septembre 2021 signifiait qu’il n’approuverait pas les sanctions régionales. La Mauritanie n’est pas membre de l’espace et n’est donc pas liée par les sanctions.

Néanmoins, dans le pays, les sanctions provoquent de l’inflation et des pénuries alimentaires dans la capitale malienne, Bamako, tandis que l’isolement économique du pays risque d’étouffer l’économie et de limiter considérablement la capacité du gouvernement à payer les fonctionnaires et à fournir des services.

Les groupes miniers opérant au Mali doivent se préparer à des perturbations majeures de leurs routes d’exportation et de leurs lignes d’approvisionnement logistique, averti Alexandre Raymakers, analyste senior Afrique chez Verisk Maplecroft. Le Mali possède le troisième plus grand secteur minier aurifère en Afrique, l’exploitation minière représentant environ 10% du PIB du pays. De son côté, Barrick Gold, qui possède le plus grand complexe de mines d’or du Mali, déclare ne pas avoir été touchée par les sanctions, la situation restant « très fluide » et à surveiller de près.

Manifestations de solidarité

Certains commentateurs prédisent aussi que les sanctions auront comme effet indirect de galvaniser le soutien au régime militaire, qui a condamné les sanctions comme « illégales » et « inhumaines ». Les Maliens sont descendus dans la rue en grand nombre le 14 janvier après que la junte a appelé à manifester.

Sur la place centrale de l’Indépendance à Bamako, des milliers de manifestants ont affiché des pancartes arborant des slogans tels que « À bas la Cedeao » et « À bas la France », agitant des drapeaux maliens.

« Nous avons un pays divisé en deux, ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien. Et au lieu de remédier à cela, la CEDEAO nous impose des sanctions. Nous n’avons plus d’usines, plus de trains, nos enfants sont au chômage. Nous en avons marre. Laissez nos autorités tranquilles pour notre propre bien », a déclaré un manifestant à la chaîne panafricaine Africa is Watching.

Des manifestations de solidarité ont eu lieu dans d’autres pays d’Afrique occidentale et centrale, en France et en Allemagne.

Deux coups d’État en deux ans

Les sanctions ont été initialement imposées en août 2020 après qu’un coup d’État dirigé par le colonel Aissimi Goita a renversé le président Keïta (décédé chez lui à Bamako le 16 janvier 2022), après des mois de manifestations de rue et des années d’instabilité.

La Cedeao a assoupli les sanctions en octobre 2020 après l’élaboration d’un plan de transition pour un retour à un régime civil dans les 18 mois. Un nouveau gouvernement de transition a été nommé. Cependant, en mai 2021, Goita a organisé un deuxième coup d’État.

En décembre, la Cedeao avait décidé d’imposer des sanctions limitées (y compris le gel des comptes bancaires et des limites à la liberté de mouvement des putschistes). Mais le 9 janvier, elle a décidé d’imposer des sanctions plus sévères, après que le régime militaire a annoncé que les élections parlementaires et présidentielles prévues en février pourraient ne pas avoir lieu avant 2025.

Pour la Cedeao, le nouveau calendrier reviendrait à « prendre le peuple malien en otage pendant cinq ans ». La junte malienne accuse la Cedeao d’avoir adopté une ligne plus dure parce qu’elle était « exploitée par des puissances extra-régionales avec des arrière-pensées ».

Cette approche reflète la pression que subit l’organisation pour montrer qu’elle peut protéger la démocratie d’un retour en arrière vers un régime militaire après que l’Afrique de l’Ouest et du Centre a connu quatre coups d’État en 18 mois.

Problèmes de sécurité

Le gouvernement militaire a fait valoir avec force que l’établissement de la sécurité dans le pays était absolument nécessaire avant la tenue d’élections. De vastes pans du pays sont restés hors du contrôle du gouvernement pendant des années en raison des insurrections djihadistes et séparatistes.

Les troupes françaises ont aidé à reprendre le contrôle de grandes parties du nord en 2013 et la France a poursuivi sa présence dans le pays dans le cadre de ses activités anti-insurrectionnelles plus larges de l’opération Barkhane au Sahel. Cependant, celle-ci est devenue de plus en plus impopulaire en France et au Mali, et l’ancienne puissance coloniale a commencé à rapatrier des troupes, qui sont partiellement remplacées par une force européenne connue sous le nom de Tabuka.

Les tensions entre le Mali et l’Occident sont montées d’un cran en septembre sur fond de rumeurs selon lesquelles le gouvernement de transition négociait un contrat de sécurité avec Wagner, un groupe militaire russe privé qui aurait des liens étroits avec le gouvernement Poutine. En décembre, quinze pays, dont la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, ont publié une déclaration condamnant l’implication russe au Mali.

Signe supplémentaire de tensions, fin janvier, la junte malienne a insisté sur le retrait d’un contingent de troupes danoises, affirmant que son déploiement dans le cadre de Tabuka n’avait pas été convenu.

Interpellée par la France sur le bien-fondé de la décision, la junte a déclaré que la France devait garder pour elle ses « réflexes coloniaux ». Justement, la ministre française des Armées constate, dans une déclaration du 29 janvier, « que les conditions de l’intervention française au Mali, qu’elle soit militaire, économique, politique, sont rendues de plus en plus difficiles ».

Florence Parly considère néanmoins que la junte militaire « cherche manifestement à rester au pouvoir le plus longtemps possible ». Son allocution suivait de quelques heures le retrait des forces danoises (une centaine d’hommes), du Mali. De leur côté, les dirigeants européens se donnent jusqu’à la mi-février, au plus tard, pour arrêter une position.

Malgré le déni du gouvernement de transition de toute implication russe, les dirigeants de la Cedeao expriment leurs inquiétudes face au « déploiement d’agents de sécurité privés au Mali avec son impact potentiellement déstabilisateur sur la région de l’Afrique de l’Ouest ».

Ils ont également décidé « d’activer immédiatement la Force en attente de la Cedeao, pour renforcer sa préparation, en cas de besoin ». La Force est composée de composantes militaires, policières et civiles pouvant assurer des missions de soutien à la paix et d’intervention.

@SK et CD

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Par Shoshana Kedem et Charles Dietz

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