Madeleine Berre, osez les réformes

Madeleine Berre, la « patronne des patrons » du Gabon insiste sur l’urgence d’accélérer les réformes en vue d’améliorer le climat des affaires et de diversifier l’économie, en dehors du pétrole. Elle confie son souhait d’une remise à plat de la fiscalité.
Comment le secteur privé se porte-t-il ?
Le contexte économique gabonais contraint le secteur privé à s’arrimer à une exigence de mutation. Nous avons une économie qui a toujours été tournée vers le pétrole aujourd’hui frappée de plein fouet par la chute du prix du baril. À ce facteur, s’ajoute une contraction du marché. Cette réalité nous oblige à accélérer fortement la diversification de notre économie. Nous devons donc faire un effort pour créer des cadres qui encouragent les entreprises à investir dans les secteurs agricoles, les services et bien d’autres secteurs stratégiques, et redéfinir notre modèle économique. Les partenariats avec l’État et les acteurs économiques internationaux devraient intégrer la prise en compte de la redéfinition du modèle économique afin qu’il favorise l’émancipation du secteur privé.
Cette crise du pétrole peut être une opportunité pour accélérer la diversification ?
En effet, il s’agit d’une véritable opportunité de remise en question. D’autant que le secteur privé n’avait pas anticipé cette crise, quand bien même elle n’est pas la première ! La chute du baril de pétrole est un événement qui s’impose à l’environnement mondial, et nous en faisons partie. Cette contrainte d’adaptabilité nous impose de revoir nos modes de fonctionnement et nous devons impérativement reprendre la main !
Nous en avons les capacités, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé. C’est une question de volonté partagée. Le dialogue est plus que nécessaire, car l’outil commun d’un pays reste son économie. Nous observons la consolidation d’un tissu entrepreneurial qui améliore sans cesse la qualité de ses services. Nous restons confiants sur cet axe de progression et espérons que les cadres fiscaux seront mis en place pour encourager l’éclosion des secteurs clés.
Nous avons des dispositifs fiscaux très attractifs pour les investisseurs étrangers. Sur le plan national, des mesures plus attractives pourraient être prises pour encourager les entreprises à investir.
Une question au coeur des Assises nationales de la fiscalité de mars 2015…
Le gouvernement s’est engagé à augmenter, au cours des prochaines années, le niveau des recettes fiscales non pas en augmentant les taux existants, mais en diversifiant les niches imposables et en améliorant le maillage fiscal de l’activité économique. Cet exercice implique nécessairement une interpellation massive du secteur privé qui connaît, vit les réalités et les potentialités du marché au quotidien. Notre Confédération a pris une part active aux Assises nationales de la fiscalité que vous évoquez. Notre préoccupation majeure est d’avoir un cadre fiscal encourageant de façon effective l’entrepreneuriat et l’investissement, mais aussi la mobilisation de l’épargne disponible, avec un impact évident sur le financement de l’économie et celui de certains projets d’infrastructures dans le domaine des logements sociaux, de l’éducation ou de la santé. L’idée consiste à créer une attractivité fiscale de l’épargne capable d’avoir un effet de rétention de cette épargne disponible (salariés, employeurs, entreprises, et ménages) sur le territoire. Ceci permettrait de limiter l’évasion de l’épargne vers d’autres économies. Un tel système aurait des avantages indéniables qui permettraient de mobiliser des fonds dédiés au financement des projets. J’insiste sur l’importance d’oser engager ces réformes structurantes.
Ces propositions que vous faites aujourd’hui sont-elles entendues?
Nous nous attelons à ce qu’elles le soient et poursuivons actuellement les discussions avec l’administration fiscale dans ce sens. Mais au-delà de ce cadre d’échanges que représentent les Assises fiscales, notre souhait reste de concrétiser une véritable plateforme de dialogue interactif et constructif. Nous devons être sensibles au fait que le secteur privé et le secteur public sont deux acteurs indissociables au développement d’un pays. Ce cadre permettrait une adaptabilité des contraintes de chacune des parties et l’identification des points de convergences et axes de faisabilité. Nous interpellons régulièrement les acteurs du gouvernement de façon spontanée sur des sujets qui préoccupent le secteur privé et avons également eu l’opportunité de rencontrer le chef de l’État à plusieurs reprises. L’enjeu consiste à formaliser un espace de concertation avec pour feuille de route les axes de développement à prioriser et les principaux problèmes à résoudre : emploi, chômage, adéquation offre pédagogique-emploi, économie, fiscalité, enjeux sociaux, industrie. Nous devons avoir une action commune à travers une adéquation forte entre la politique du pays et les acteurs du secteur privé. L’administration doit demeurer vraiment à l’écoute.
Sur la question du chômage, qui grimpe et qui inquiète alors que des entreprises menacent de licencier, il y a un paradoxe gabonais, en termes de ressources humaines : on compte plus de cadres que de petite main-d’oeuvre…
En effet, la problématique du chômage au Gabon est particulière. Notre analyse de cette situation révèle de façon concrète que les 30 % annoncés résident en réalité de la conjonction de plusieurs facteurs, notamment des formations sans relation avec les besoins de nos entreprises ou même du marché de l’emploi de façon globale (public et privé), des cursus universitaires peu valorisants, ou encore des profils inexistants notamment dans les métiers dits techniques (BTP, conducteurs engins, agro-industrie, planteurs) de base et de niveau opérationnel. C’est pourquoi, il nous apparaît indispensable de réfléchir à des offres pédagogiques capables de favoriser l’adéquation avec le marché de l’emploi ; à des dispositifs d’emplois jeunes ou d’apprentissages pouvant facilement être intégrés dans nos entreprises ; et enfin à la modernisation de notre Code du travail qui doit être flexible, souple, en tenant compte du besoin d’importation de main-d’oeuvre sans perdre de vue la priorité d’emploi des nationaux. Enfin, la CPG est soucieuse d’accompagner la réforme sociale engagée par le gouvernement afin qu’elle puisse allier productivité et plein emploi sans ce formalisme rigide observé aujourd’hui. Nous devons aller plus loin dans cette réforme essentielle.
Vous évoquez là un point sensible : le recours à la main-d’oeuvre étrangère pour répondre à certains emplois non pourvus par les locaux. Ce qui n’est pas toujours bien vu par l’opinion gabonaise…
Il serait prétentieux, voire contre-productif, de nous enfermer derrière nos frontières. Il est faux de considérer que la cause du chômage dans notre pays s’explique par le niveau d’emploi des étrangers. Du fait de la faiblesse de notre démographie, nous rencontrons des difficultés à satisfaire nos besoins en main-d’oeuvre. Il faut juste réguler et mieux prendre en compte les besoins en main-d’oeuvre dans certains secteurs. Et pour cela, il est important de ne pas considérer seulement la main-d’oeuvre disponible sur le marché. La clé reste la formation, en relation avec les besoins de nos entreprises et de nos administrations. Le Gabon a besoin de talents et le marché de l’emploi devient de plus en plus exigeant et concurrentiel dans tous les domaines d’activité.
Certaines entreprises demandent à l’État, quand il lance des appels d’offres, de réserver une partie à la sous-traitance locale. Portez-vous cette revendication ?
C’est une demande légitime qui se comprend. Dans chaque pays, il est normal que l’exécution des marchés soit réservée en priorité aux nationaux. Nous encourageons d’ailleurs cette initiative. Toutefois, cette exception doit répondre à une offre qualitative en termes de technicité et de financement. Notre organisation a pour membres des entreprises de taille moyenne que nous encourageons dans leur volonté de se labéliser pour pouvoir répondre aux attentes qualitatives de la commande publique. Il s’agit d’une responsabilité solidaire et partagée. Nous avons besoin d’une chaîne de valeur durable capable de créer de nouveaux champions nationaux. La PME ou l’entreprise de taille moyenne doit faire cet effort de labellisation.
Le climat des affaires est-il suffisamment attractif ?
J’en reviens au dispositif fiscal. Nous avons effectivement des dispositifs fiscaux très attractifs pour les investisseurs étrangers. À l’exemple des zones économiques spéciales qui proposent des mesures fiscales très avantageuses… la ZES de Nkok, de Mandj. Sur le plan national, des mesures plus attractives pourraient être prises pour encourager les entreprises à investir. Mais l’attractivité fiscale n’est pas le seul axe à explorer pour l’appréciation du climat des affaires, il y a aussi le service public dédié aux investisseurs qui mérite une attention toute particulière, la mise en place du Guichet unique reste une attente forte, pour un environnement social adapté aux enjeux.