Loïk le Floch-Prigent parle de croissance
Sa longue carrière dans les grandes entreprises françaises a fait nouer à Loïk Le Floch-Prigent des liens intimes avec l’Afrique. L’ancien patron d’Elf en garde une vision personnelle, qu’il délivre à travers ses Carnets.
Propos recueillis par Guillaume Weill-Raynal
Êtes-vous de ceux qui considèrent encore aujourd’hui que l’« Afrique est mal partie»?
Je n’ai pas de jugement aussi lapidaire. Le problème aujourd’hui peut se résumer ainsi : il ne faut pas que le développement aille moins vite que la démographie. C’est aussi simple que cela. Lorsque je suis dans une mégalopole africaine, et que je vois les gens venus de la campagne arriver plus vite que la route, je me dis qu’il y a un problème… qui ne peut être résolu que par une politique de développement des infrastructures.
Qu’est-ce qui explique qu’en Afrique, on ait toujours le sentiment d’être à la case départ ?
L’un des problèmes majeurs, antinomique de la démocratie, est de considérer encore, dans certains pays, que les chefs d’État doivent le demeurer à vie. Certains dirigeants craignent des poursuites devant le tribunal de La Haye, ce qui les conduit à vouloir demeurer en place. Cette situation constitue un handicap profond au développement de l’Afrique d’aujourd’hui. On n’a jamais vu une dictature déboucher sur le développement.
Tout cela ne se décrète pas. On oublie trop souvent qu’il faut aussi l’intériorisation d’un processus qui est au coeur de l’alternance et de la démocratie.
Oui, il faut cette intériorisation, mais il y a aussi des mesures simples à prendre qui permettront une intériorisation ultérieure. Et tant que ces mesures ne sont pas prises, rien ne changera. Les régimes de Tanzanie et du Ghana permettent l’alternance parce que leurs Présidents conservent une fonction honorifique après la fin de leur mandat qui les empêche d’être poursuivis. Autrefois les chefs n’étaient jamais mis au pilori, mais respectés comme anciens chefs. La démocratie africaine doit être un mélange des idées des Lumières venues d’Occident et des traditions locales. C’est aux Africains à la définir. Or, poursuivre les dirigeants africains à La Haye implique l’idée que ce sont les Occidentaux qui vont définir la démocratie en Afrique. C’est une erreur.
De quoi souffrent les relations avec la France ? En a-t-on vraiment fini avec la Françafrique ?
C’est une notion évolutive : chacun aime définir la Françafrique comme le mal absolu. Ce que je constate, c’est une empathie entre la France et les pays africains francophones. Mais si la France a été une puissance avec des capacités d’aide financière, elle ne l’est plus aujourd’hui. La Chine, la Russie, les États-Unis, d’autres pays, sont capables à présent de mettre de l’argent sur la table. La sujétion économique que nous avions en tête n’existe plus.
Concrètement, en quoi la France peut-elle être aujourd’hui utile à l’Afrique ?
Continuer à jouer tout seul le rôle le gendarme n’est pas utile. Il serait plus pertinent d’essayer de comprendre comment l’industrie africaine peut se développer. Cela pourrait être notre rôle aujourd’hui.