Les banques affectées
À un rythme moins spectaculaire qu’en Europe, les taux d’intérêt diminuent en Afrique. Cette évolution reflète-t-elle une réduction des risques, s’interroge Alain Le Noir qui pointe la réduction des marges bancaires.
Pendant 50 ans, les Banques centrales, qu’elles soient européennes ou africaines, ont eu pour priorité la lutte contre l’inflation. Véritable « maladie honteuse », une augmentation des prix supérieure à 5 % était considérée comme catastrophique pour les économies et justifiait le retour à une politique monétaire stricte (réserves obligatoires, encadrement du crédit, limites au réescompte, etc.). Laquelle se révélait souvent abusivement restrictive, parce que bloquante pour des économies de besoins, comme le sont celles des pays en développement. Des séquelles de cette politique malthusienne demeurent notamment en Afrique, comme en témoignent les statistiques économiques publiées mensuellement par la BCEAO et la BEAC. Ces deux Banques centrales consacrent une part encore importante de leurs statistiques économiques aux évolutions et aux comparaisons entre « l’inflation dans l’Union » et « l’inflation dans les principaux pays partenaires », tandis que les statistiques sur les marchés de l’emploi sont totalement inexistantes ; les taux de chômage sont pratiquement inconnus en Afrique.
Début septembre 2014, la Banque centrale européenne (BCE), dans le but proclamé de « ranimer les économies » en luttant contre la déflation, nouvelle maladie de nos économies modernes, a abaissé à 0,05 % son taux directeur. Les taux des dépôts bancaires à la Banque centrale ont été fixés à -0,20 % ce qui signifie que les banques doivent payer pour placer à court terme à la BCE. Cette disposition inédite a pour but d’inciter les banques à prêter plus aux agents économiques. Les banques commerciales ne sont évidemment pas tenues de répercuter ces baisses sur les conditions consenties à leurs clients. Elles le font, ne serait-ce que pour une raison de concurrence, tout au moins pour leurs meilleurs clients. Ainsi les crédits immobiliers sont proposés en France à 2,7 % sur 20 ans, taux les plus bas depuis 60 ans !
Les véritables gagnants sont les États qui s’endettent, parfois exagérément, en Afrique, et à des taux de plus en plus bas. Pour le moment, l’effet le plus positif réside dans la baisse de l’euro par rapport au dollar.
Les crédits consentis aux entreprises sont à peine plus élevés. Il est vrai qu’avec une inflation à 0,5 % l’an, les taux réels demeurent positifs. En Afrique, où on continue à prétendre que les taux restent exagérément élevés, il est aujourd’hui fréquent de trouver des taux à moins de deux chiffres. Selon les dernières statistiques publiées par la BCEAO, les crédits consentis aux particuliers affichent un taux moyen de 9,37 % et ceux consentis aux entre- prises du secteur productif ressortent à 7,82 % d’intérêt seulement, et à 7,38 % pour les crédits de trésorerie, qui sont les plus courants. Ces chiffres sont à rapprocher des taux servis aux déposants qui, toujours selon la BCEAO, étaient en moyenne fin juillet de 5,53 %, laissant aux banques une marge moyenne limitée à 2,26 points. Il est certain qu’avec une marge aussi réduite les banques ne peuvent couvrir ni leurs frais généraux (notamment les frais de personnel), ni le coût, encore élevé en Afrique, des risques. Dès lors, on comprend pourquoi les banques privilégient de plus en plus les services à des prix parfois prohibitifs, mais qui, sans présenter le moindre risque, contribuent actuellement pour près du tiers au total de leurs produits. Quels sont les gagnants et les perdants de cette évolution ? Les épargnants sont a priori les plus pénalisés, puisque la rémunération de leur épargne fond comme neige au soleil. On comprend alors les orientations des placements vers d’autres formes que le classique compte sur livret (par exemple les assurances vie et les objets d’art, en France, l’immobilier en Afrique). Les entreprises sont généralement gagnantes tout au moins celles qui bénéficient d’un « bon crédit ». Elles le sont indiscutablement pour leurs crédits de trésorerie (découvert, escompte…). Elles n’en profitent, pour leurs crédits d’investissement, que dans la mesure où la conjoncture les encourage à investir, ce qui est rarement le cas actuellement en France et encore assez peu en Afrique. Les véritables gagnants sont les États qui s’endettent, parfois exagérément, en Afrique, et à des taux de plus en plus bas (1 % sur dix ans en Allemagne, 1,38 % en France, mais encore entre 6 % et 7 % nets pour les émissions obligataires en Afrique zone franc). Pour le moment, l’effet le plus positif réside dans la baisse de l’euro par rapport au dollar. Les entreprises exportatrices en sont les principales bénéficiaires aussi bien en Europe qu’en Afrique zone franc. S’agissant de celles-ci, il est surprenant de trouver peu de commentaires, chez les politiques comme chez les économistes.
Alain Le Noir est vice-président de Finances sans frontières, conseiller du président du Club des dirigeants des banques et établissements de crédit d’Afrique.
ENCADRE
Le forum d’été du Club des dirigeants des banques d’Afrique s’est tenu cet été à Hô-Chi-Minh- Ville (ex-Saïgon). À l’invitation de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) du Vietnam et avec l’appui de l’Organisation internationale de la Francophonie, ce traditionnel rendez-vous faisait suite à la visite rendue par une délégation du club à Hanoï, un an plus tôt. Ouvert par le vice-Premier ministre, Vu Van Ninh, ce forum a réuni près de 150 opérateurs économiques du Vietnam et des autres pays de l’Asean avec les dirigeants bancaires d’Afrique francophone, dans l’intention de promouvoir les échanges entre les deux continents. S’ils enregistrent une croissance régulière, les échanges commerciaux entre le Vietnam et l’Afrique n’en demeurent pas moins très modestes. De l’avis des responsables de la CCI du Vietnam, cette situation provient en bonne partie de l’absence quasi-totale de relations entre les banques des deux continents : « Les opérations de règlements sont l’un des obstacles majeurs au développement des échanges commerciaux entre les deux parties », considère Vu Tien Loc, président de la Chambre de commerce. Pour procéder aux règlements, les banques transitent généralement par leurs correspondants européens, ce qui allonge les délais et surtout renchérit notablement les coûts. Une meilleure coopération entre les banques africaines des pays francophones et leurs consoeurs de l’Asean doit permettre aux entreprises et aux banques de mieux se connaître, ce qui ne pourra que renforcer les échanges. Le forum de Hô-Chi-Minh-Ville aura des suites, grâce aux accords de correspondance qui ont été passés (où qui sont sur le point de l’être) entre les banques des membres du club et leurs homologues du Vietnam et du Laos. Le prochain événement organisé par le club se déroulera à Kinshasa les 5 et 6 février 2015 avec pour thème principal : « L’avenir de la banque de détail en Afrique. »