L’enjeu du halal
Dans un essai aux allures de pamphlet, La Bible du Halal, l’économiste et entrepreneur Lotfi Bel Hadj analyse l’industrie du halal, mal connue, y compris dans les pays musulmans. Pourtant, ce marché représente un enjeu économique considérable.
Le discours de Lotfi Bel Hadj est sans détour. Cet habitué des punchlines aime à dire que Nestlé est le premier « halaliste » au monde ou encore que L’Oréal a vite compris que « les musulmanes le valaient bien ». Derrière les traits d’humour, l’auteur de La Bible du Halal entend attirer l’attention des dirigeants français sur un enjeu colossal : « Le marché mondial du halal est actuellement de 700 milliards $. Plus de 150 milliards $ de viande halal sont importés chaque année dans le monde. » Ajoutée à cela une croissance à deux chiffres et il n’en fallait pas plus pour que Lotfi Bel Hadj y voie l’eldorado qui sauvera l’économie française.
Pendant que la France est empêtrée dans ce qu’il qualifie de « halalgate », en politisant une question qui ne devrait pas l’être, le Maghreb n’est pas mieux loti ; l’Afrique du Nord n’a toujours pas pris la mesure du marché, où l’Asie et de nombreux pays occidentaux non-musulmans se font la part belle. Un marché mondial du halal qui atteindrait, selon les calculs de l’auteur, 2 500 milliards $ dans dix ans. Lotfi Bel Hadj répond sans nuance : « Le problème du halal est qu’il n’est pas géré par les musulmans. Il n’est pas tenu par les religieux mais par les industriels, or il n’y a pas d’outil industriel en Afrique. » Pour lui, l’Afrique subit et n’est pas près de rattraper son retard en matière de halal.
En effet, aucun pays africain n’a de label, à l’exception du Maroc qui, depuis 2012, reconnaît la certification malaisienne, Jakim. « Personne n’a pensé à avoir un label sur le continent, personne n’a compris l’enjeu que cela représente », déplore-t-il. Pourtant, « le halal, ce n’est pas que la viande… Ou, en tout cas, ce n’est plus que la viande. Le marché s’est étendu par cercles concentriques aux produits alimentaires contenant de la viande ou des ingrédients issus de matières animales, aux produits non alimentaires et, enfin aux services. » On vend désormais, dans certaines pharmacies, des remèdes sans porc ni alcool et Unilever propose son dentifrice halal, Regenerate.
« Premier pays musulman d’Europe, la France a tout pour devenir un leader du marché européen et un acteur incontournable du marché mondial », considère Lotfi Bel Hadj qui consacre trois chapitres à expliquer que le pays passe à côté d’une énorme opportunité économique. La perception négative de l’Islam en France empêche le développement du secteur économique qu’est le halal, là où le Royaume-Uni, lui, n’a pas tant de complexes. « On traîne des pieds quand il s’agit de se développer sur le marché halal en refusant d’accompagner les entreprises, en laissant pourrir le débat sur la certification et en tentant maladroitement de réguler les organismes de labellisation. Alors que la Grande-Bretagne, elle, tente de se positionner sur deux marchés à la croissance exponentielle : la finance islamique et l’industrie agroalimentaire halal. » Le marché du halal en France – difficile à évaluer – serait de 7 milliards d’euros par an, tandis que le bio, par exemple, ne pèse que 4 milliards. Avec l’émergence des « beurgeois », favorisée par l’augmentation du pouvoir d’achat de la population musulmane française, le marché français du halal pourrait voir ses bénéfices doubler dans les années à venir.
L’émergence de la certification et la normalisation du halal sont en réalité des concepts occidentaux, étroitement liés au commerce comme à la politique.
Ce qui fait de la France un énorme paradoxe économique : le pays qui recense un tiers de la population musulmane d’Europe ne représente que 10 % à 12 % du chiffre d’affaires du halal sur ce continent. Les causes en sont politiques : « L’État reste timide : face aux détracteurs du halal, qui représentent une partie de l’électorat, les intérêts économiques ne font pas le poids. » Lotfi Bel Hadj invite donc à dé-corréler le religieux de l’économique et à ne voir dans le halal qu’une norme comme les autres.