L’anacarde, objet de tous les soins

La noix de cajou attire les investissements et l’intérêt des États, en Afrique de l’Ouest. Singulièrement chez premier producteur mondial, la Côte d’Ivoire. De nouveaux programmes d’aides viennent appuyer un secteur ponctuellement affecté par la crise sanitaire.
Par Paule Fax
Sans nul doute, le fruit de l’anacardier constitue un facteur de création d’emplois et de revenus d’exportation, à brève échéance. À condition d’en moderniser la filière, encore trop tournée vers l’exportation de produit brut. Ainsi, le programme « She Trades Afrique de l’Ouest » trouve-t-il un nouvel élan, en cette fin d’année 2020, notamment en Côte d’Ivoire.
« Le partenariat entre les agriculteurs et les transformateurs est essentiel pour améliorer la traçabilité, fournir une meilleure qualité et accroître les échanges avec les États-Unis », selon le ministre ivoirien de l’Agriculture et du développement rural.
Ce projet a pour objectif de renforcer les capacités de 24 PME et de coopératives dirigées par des femmes agricoles disposant de peu de revenus, spécialisées dans les filières anacarde, karité et manioc. Il est réalisé par la Chambre de commerce et d’Industrie (CCI-CI), en partenariat avec le Centre du commerce international, l’ITC, et financé avec le soutien de l’Agence coréenne de coopération internationale, Koica).
Les partenaires favoriseront la valorisation des produits agricoles transformés par les entreprises sélectionnées : quatorze PME de la filière anacarde, cinq de la filière karité, et cinq autres de la filière manioc.
Les entreprises vont bénéficier d’une formation de six mois, jusqu’à mai 2021, sur divers domaines comme la comptabilité, le commerce, le droit, la fiscalité, l’accès aux prêts et aux financements, et le développement des entreprises. À terme, elle touchera près de 2 500 ménages agricoles de Côte d’Ivoire.
« Au moment où la Côte d’Ivoire amorce son industrialisation, ce projet vient à point nommé, commente Koné Yah Mariama, conseillère technique du ministère du Commerce et de l’industrie, car il permettra de renforcer la compétitivité et l’inclusion dans ces secteurs mais aussi d’accroître les opportunités pour les entreprises sélectionnées. »
À terme, le programme « She Trades Afrique de l’Ouest » a l’ambition d’améliorer les conditions de vie de 10 000 femmes de Côte d’Ivoire, de Guinée (qui exploitera la filière du karité), du Liberia (manioc) et de la Sierra Leone (anacarde et manioc). L’initiative, qui se déploie un peu partout en Afrique, apporte également des solutions pour autonomiser les femmes sur le plan économique. L’objectif est de connecter 3 millions de femmes au marché international, dans les prochains mois.
Chute des prix en 2020
Depuis 2015, la Côte d’Ivoire est le premier producteur mondial du fruit de l’anacardier. Le pays ambitionne de produire 1 million de tonnes à l’horizon 2023 et d’en pousser la transformation. Selon le Conseil du coton-anarcade, la production nationale dépassera 800 000 tonnes en 2020, en dépit de la crise sanitaire, contre 760 000 tonnes sur la campagne précédente. Bien sûr, la filière n’a pas totalement échappé aux effets de la pandémie de la Covid-19. La demande a été affectée par l’arrêt brutal des commandes chinoises.
« Cette situation a causé un manque à gagner énorme chez les acteurs, notamment les acheteurs et les exportateurs. Les premiers achats étaient stockés et la situation devenait compliquée », a reconnu le directeur général du Conseil, Adama Coulibaly. La filière a également été affectée par la forte baisse des prix.
« Malgré une excellente production 2020, le recul de la demande sur le marché des producteurs, impacte considérablement les prix d’achat », confirme Joël Hounsinou, directeur général de Bolloré Transport & Logistics Côte d’Ivoire. Face cette situation, le gouvernement a décidé de racheter 400 000 tonnes de la noix pour permettre aux producteurs de bénéficier de leur récolte.
Pour l’heure, la Côte d’Ivoire ne transforme que 10% de sa production. S’il est le premier producteur, le pays n’est le quatrième transformateur mondial derrière le Vietnam, l’Inde et le Brésil. Un défi dont le gouvernement ivoirien, ainsi que les pays voisins (pour l’anacardier ou le karité), sont bien décidés à relever. Depuis 2013, et plus particulièrement depuis 2019, la stratégie nationale favorise les subventions aux unités de transformation. En partenariat avec la Banque mondiale, le gouvernement entend y consacrer 200 millions de dollars.
Un centre de promotion de la filière
Le secteur privé n’est pas en reste, comme le groupe Bolloré qui cible des opérations spécifiques d’exportations pour les exportateurs ivoiriens et internationaux. Ainsi, plus de 260 000 tonnes de noix de cajou ont été exportées par le groupe, entre 2018 et 2019, via les ports d’Abidjan et de San Pedro. Bolloré Transport & Logistics assure également des installations d’unités industrielles et la maîtrise de la chaîne logistique de la filière.

L’entreprise propose aux industriels de la filière cajou une offre de services logistiques intégrés, à travers le transport local, l’entreposage et la gestion du processus d’exportation.
De son côté, l’État poursuit la promotion du Centre d’innovations et de technologies de l’anacarde (Cita) à Yamoussoukro, qui a été inauguré, en octobre 2020, par le président Alassane Ouattara.
Cette infrastructure est à la fois une usine destinée à tester les innovations technologiques, et un centre de formation aux métiers de la filière créée dans le but de d’augmenter progressivement la transformation d’anacarde en Côte d’Ivoire.
L’intérêt des États-Unis
Le coût de l’infrastructure et des équipements est estimé à 3,9 milliards de F.CFA (5,95 millions d’euros), pour un financement assuré à 90 % par le Conseil du coton et de l’anacarde et 10 % par la Banque mondiale. L’usine-école dispose d’une capacité de transformation de 15 000 tonnes de noix brutes par an. « Je suis confiant qu’avec la mise en place du Cita, nous allons atteindre 30% à 40 % de transformation dans les années à venir. Ce centre va également créer de nombreux emplois », a déclaré le président Ouattara.
Le gouvernement espère inciter des entrepreneurs à s’engager dans le secteur, par des mesures incitatives, comme des mécanismes de facilitation d’accès aux noix brutes, ainsi que par l’exonération de taxes à l’exportation des amandes.
Enfin, les producteurs ouest-africains ont reçu un soutien de poids, fin novembre, avec le projet américain USDA West Africa Pro-Cashew Project. Financé par le Département américain de l’agriculture, le projet Pro-Cashew sera mis en œuvre par Cultivating New Frontiers in Africa (CNFA) pour un investissement de 23 millions $, d’une durée cinq ans, dans cinq pays de l’Afrique de l’ouest, à savoir la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Burkina Faso, le Ghana et le Nigeria.
Déjà opérationnel en Côte d’Ivoire qui abrite le siège régional du projet, au Ghana et au Nigeria, le projet PRO-Cashew vise à améliorer le secteur de la noix de cajou tout au long de la chaîne de valeur, a indiqué le chef du projet, Jean François Guay. Il s’agira « d’assister à la professionnalisation et la modernisation de la filière anacarde en travaillant avec les producteurs, les pépinières, les distributeurs et les autres parties prenantes », précise l’ambassade des États-Unis.
Pro-Cashew travaillera également en collaboration avec les décideurs politiques nationaux et régionaux, les détaillants d’intrants et les prestataires de services financiers, afin de rendre la filière anacarde plus compétitive. Un avantage mutuel qui sera bénéfique aux paysans, aux transformateurs, aux commerçants ainsi qu’aux consommateurs.
Les Américains s’attendent à ce que les producteurs et transformateurs partenaires du projet exportent aux États-Unis la moitié de leur production d’amande de noix de cajou. Soit un volume estimé entre 5 000 et 8 000 tonnes en 2021, pour une valeur comprise entre 22 et 35 millions de dollars. « Cette valeur augmentera régulièrement entre 2022 et 2024 », considère le ministre de l’Agriculture et du développement rural, Kobenan Kouassi Adjoumani.
Selon qui « le partenariat entre les agriculteurs et les transformateurs est essentiel pour améliorer la traçabilité, fournir une meilleure qualité et accroître les échanges avec les États-Unis ». À son sens, ce projet « soutient activement » le gouvernement de la Côte d’Ivoire dans son objectif de transformer 50 % des noix de cajou brutes en amandes d’ici 2024.
PF