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La NDB heurte la finance mondiale

  • Publiémars 16, 2015

Un jeu coopératif

La nouvelle Banque de développement des BRICS est- elle un simple signe d’exaspération devant l’incapacité des institutions de Bretton Woods à se réformer ? Ou ses membres veulent-ils construire un ensemble institutionnel alternatif au FMI et à la Banque mondiale ?

Selon le représentant du Brésil au FMI, l’initiative des BRICS constitue « un pas vers un monde multipolaire ». On peut cependant douter de cette multipolarité de la gouvernance mondiale. Les forces en présence sont trop disproportionnées. Le FMI a une force de frappe extensible à volonté. Outre son stock d’or, dont il a vendu une fraction en 2008, encaissant 4,4 milliards de DTS (Droits de Tirages Spéciaux), le fonds a opéré la même année un doublement sans précédent de ses quotas (14e révision générale des quotas). Ceux-ci sont passés de 238,5 à 477 milliards de DTS soit 737 milliards $, au taux courant. En 2012, sur fond de crise européenne, 38 pays se sont engagés à accroître les ressources du Fonds sous la forme d’accord de prêts bilatéraux. Là encore le FMI a engrangé pour 461 milliards $ sur 32 pays. Bref, les moyens du FMI sont infiniment plus conséquents que ceux du Fonds de réserve des BRICS, doté d’à peine 50 milliards $ (100 milliards à terme). De plus, alors que la Banque mondiale et le FMI interviennent dans 188 pays en théorie, le champ d’action de la nouvelle Banque de développement se limite aux cinq premières économies émergentes. Les deux blocs institutionnels ne semblent pas jouer dans la même catégorie. Le match est donc aussi improbable que celui d’un poids lourd et d’un poids coq à la boxe ! En fait, la comparaison entre ces deux blocs institutionnels est nécessairement biaisée, pour le motif que les BRICS appartiennent aux deux blocs à la fois. La marche vers un monde multipolaire aurait été plus assurée, plus nette, si les BRICS avaient simultanément quitté le système Bretton Woods. Il importe donc de bien distinguer entre ce qui est empiriquement établi pour l’heure, et ce qui est postulé pour l’avenir.

Pour le moment, il est vrai que le Congrès américain refuse obstinément de ratifier la réforme des droits de vote au FMI et le mode de nomination des directeurs du FMI et de la Banque mondiale. Les BRICS ne totalisent toujours que 10,3 % des droits de vote alors qu’ils contribuent désormais pour 24,5 % au PIB mondial. La Chine est sous-représentée. Toutes les pistes de réforme explorées à l’assemblée générale du FMI à Séoul en novembre 2010 sont restées lettres mortes jusqu’à ce jour.

Il est vrai aussi que la politique unilatérale d’assouplissement monétaire des États-Unis depuis 2008, « le Quantitative Easing » (QE), s’est traduite par des crises de change pour les premiers pays émergents. Au démarrage du QE dans un contexte de baisse brutale des taux d’intérêt (zero interest rate policy), les capitaux flottants américains ont migré vers les cieux plus rémunérateurs des pays émergents. L’appréciation subséquente des monnaies émergentes a fait dire au ministre brésilien de l’Économie qu’il s’agissait d’une véritable « guerre des monnaies ». Les pays émergents ne pouvaient donc qu’anticiper des sorties massives et brutales de capitaux en cas de cessation de la série de QE (on en était déjà à l’épisode trois). Quelle que soit la configuration de la politique monétaire américaine, les pays émergents savaient que leurs économies seraient négativement impactées. C’est ainsi qu’ils ont constitué, bien avant la fin effective des QE, ce fonds commun de réserve. Il ne s’agissait donc pas seulement de faire contrepoids au FMI, mais aussi et surtout de tirer la conséquence d’un fâcheux positionnement international.

Une ambition intacte

Il est vrai enfin que les conditionnalités associées aux financements du FMI comme de la Banque mondiale, sont de plus en plus de nature politique, sinon idéologique. Elles sont plus ou moins rigoureuses selon la distance politique (et culturelle) existant entre le pays concerné et l’aire occidentale. Dans les années 1980, par exemple, le FMI clamait urbi et orbi qu’il était hors de question de créer des DTS pour aider à résoudre la crise de la dette des pays africains. Dans les années 2000, quand il s’est agi de venir au secours de la Grèce, de l’Irlande et d’autres pays européens impactés par la crise des subprimes, le FMI a promptement doublé ce qui constitue de facto son capital social, les quotas définis en DTS. Rappelons ici que les DTS ne sont rien d’autre que des droits d’accès aux principales monnaies de réserve. Augmenter les DTS attribués au FMI n’est rien d’autre que demander aux pays émetteurs des principales monnaies de réserve (dollar, yen, euro, livre sterling…) de faire marcher la planche à billet et de céder ces émissions au FMI. Pire, il a été décidé des « Hair-cut », c’est-à-dire des effacements purs et simples de l’encours des dettes grecques (à hauteur de 104 milliards d’euros !), sans aucun point de décision ou d’achèvement. Ce long chemin de pénitence est imposé aux pays africains très endettés sur trois à six ans.

Certes, la doctrine économique du Fonds a le droit d’évoluer. Il est cependant quelque peu malsain que ces évolutions n’interviennent que lorsqu’il s’agit de pays occidentaux. Au total, la décision des BRICS de se doter d’institutions analogues au FMI et à la Banque mondiale est bien fondée sur les failles du dispositif né à Bretton Woods. L’on ne peut cependant en déduire ipso facto que les BRICS ont érigé un ensemble institutionnel alternatif. Ce serait pour le moins prendre pour argent comptant, ce qui n’est qu’une ambition pour les BRICS.

Une alternative crédible à la Banque mondiale

Les prêts de la nouvelle Banque de développement ne vont commencer qu’en 2016. Ce qui est sûr, c’est qu’ils ne seront pas assortis de conditionnalités contraignantes. Telle est la première ambition des BRICS. La Banque de développement différera de la Banque mondiale « qui exige des réformes structurelles et une ingérence politique intolérable en échange de son aide », a expliqué Anton Silouanov, le ministre russe des Finances. Pour comprendre l’importance de la levée des conditionnalités, il faut se souvenir que les financements de la Banque mondiale viennent en appui des crédits bancaires syndiqués. Or, l’aide de la Banque mondiale incorpore des critères conformes à ce que l’on appelle communément « le fondamentalisme de marché ». Quand l’économie considérée s’écarte de ce fondamentalisme, la Banque mondiale refuse son aide. Ce qui a pour effet de ramener instantanément à zéro les crédits privés. Le volume global des crédits internationaux auquel peut accéder un pays est ainsi fonction en dernier ressort, du quitus de la Banque mondiale. En créant la Banque de développement et le pool de réserve, les BRICS élargissent ainsi les possibilités d’accès aux crédits internationaux pour leurs sociétés. Le verrou Banque mondiale est levé. L’accord instituant la nouvelle banque prévoit d’ouvrir son capital à tous les pays émergents. En effet, une disposition garantit que dans cette hypothèse, le capital détenu par les BRICS ne descendra jamais en dessous de 65 %. Quand la nouvelle Banque de développement présentera sa configuration finale, elle deviendra une alternative crédible à la Banque mondiale.

Concernant le Fonds de réserve des BRICS, il est prévu qu’il devienne opérationnel dès 2015. Il aurait été très instructif de voir ce fonds à l’épreuve des faits avec la chute du rouble, au dernier trimestre 2014. C’est en effet au pied du mur que l’on reconnaît le maçon… Mais ce n’est que partie remise. Les cours internationaux des monnaies évoluent comme les plateaux d’une balance. Quand un plateau baisse, l’autre monte. Et le mouvement ne s’arrête jamais… Ce qui transparaît clairement, c’est la parfaite adéquation de l’initiative des BRICS, à l’ambition ultime du premier des émergents, la Chine. Laquelle veut en effet déplacer le pouvoir politico-financier de l’Occident vers les pays émergents. Outre l’initiative des BRICS, la Chine a créé en parallèle une Banque asiatique d’investissement, également capitalisée à 100 milliards $. Tous ces outils financiers ont pour objectifs, selon Michel Aglietta, de s’affranchir de la conditionnalité politique et de l’espace dollar. À son sens, l’enjeu pour la Chine est bien de contraindre les États-Unis à la négociation. Le jeu coopératif des BRICS aurait ainsi pour visée ultime de construire un nouveau système monétaire international mettant un terme à l’unilatéralisme américain. La liquidité internationale est en effet un bien public global. Les Chinois veulent que son émission ne soit plus le privilège des seuls États-Unis d’Amérique.

Retour sur image

Cette conception chinoise des relations monétaires internationales est peut-être fondée en théorie. Dans les faits, on peut douter d’une évolution pacifiquement négociée du système monétaire international (SMI). L’architecture existante aujourd’hui exprime un rapport de force formé par la Seconde guerre mondiale. Pour en sortir, il faudrait peut-être d’abord structurer au niveau mondial, une suprématie économique et militaire des BRICS. En matière de leadership monétaire mondial, les dimensions économique et militaire se renforcent mutuellement.

En 1945, la reconstruction du SMI a constitué, de facto, le dernier épisode de la Seconde Guerre mondiale. Cet épisode n’était pas militaire. Il n’opposait pas des puissances antagonistes. Il n’en était pas moins décisif pour l’avenir du monde. D’un côté, il y avait le point de vue britannique défendu par John M. Keynes : il fallait en finir avec l’or, cette « relique barbare ». Créer une Banque centrale mondiale qui émettrait une devise clé « le Bancor ». Cet instrument de réserve deviendrait le référent ultime de toutes les monnaies du monde. L’activité économique mondiale ne serait plus bridée par les rigueurs de l’étalon or. Les pays déficitaires n’auraient plus à fermer leurs frontières, pour éviter les sorties nettes d’or ; sorties qui affaiblissaient les monnaies nationales, alors définies en or. Un pays en déficit courant pourrait trouver auprès de la Banque centrale mondiale, sous forme de prêt de bancos, la liquidité internationale qui lui ferait défaut.

De l’autre côté, il y avait la position américaine. Pour les États-Unis, il n’était pas nécessaire de créer une Banque centrale mondiale qui émettrait une nouvelle liquidité internationale de « papier » rattachée à l’or. Cette liquidité internationale rattachée à l’or existait déjà : le dollar « as good as gold ». En clair, le dollar immédiatement convertible en or. L’Angleterre était la puissance déclinante, économiquement et militairement surclassée par les USA. Il est donc normal que le point de vue américain prédomina. Exit la Banque centrale mondiale. La raison du plus fort étant toujours la meilleure. De plus, les compromis diplomatiques tenant souvent à un mot, un adjectif, on enleva « centrale » à la Banque mondiale. Celle-ci fut dédiée au financement de la reconstruction européenne d’abord, du développement par la suite. Sans aucune capacité à créer de la monnaie. Les Anglais avaient leur Banque mondiale, les USA imposaient au monde l’étalon dollar-or. Quant au financement des balances de paiements pour faciliter les ajustements, on leur affecta un fonds de réserve dénommé Fonds monétaire international. Depuis lors, le pouvoir y est strictement occidental. Le FMI est toujours dirigé par un Européen ; la Banque mondiale par un Américain. Les deux institutions sont sous curatelle américaine. Ce qui signifie que pour en modifier une disposition, il faut un blanc-seing préalable du Congrès. Pour mémoire, il n’y avait à Bretton Woods que trois pays africains : le Liberia, l’Éthiopie et l’Égypte. Avec un statut d’observateurs. John M. Keynes avait précisé que la réunion n’était pas « une ménagerie pour les singes ». Un Système monétaire international construit sur de tels fondements, ne peut se réformer par l’effet du seul jeu coopératif des BRICS. Vue d’Afrique, la stratégie des BRICS est encore balbutiante. En l’état, elle ne peut permettre d’atteindre l’ambition ultime qui est de déplacer le pouvoir politico-financier vers les pays émergents. L’histoire est faite de ruses… Attendons donc pour voir.

Écrit par
African Banker

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