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La NDB heurte la finance mondiale

  • Publiémars 16, 2015

L’Afrique ce terrain de chasse

Les BRICS veulent déplacer le centre de gravité du monde vers le Sud et proposer des alternatives au dollar. Leur nouvelle Banque de développement constitue surtout un moyen de trouver un nouveau souffle dans leur conquête du continent africain.

La Chine, mais également les autres pays des BRICS, dont l’Inde et le Brésil, ont renforcé ces dernières années leurs positions en Afrique, en misant notamment sur l’export de leurs technologies et de leur savoir-faire. L’Afrique du Sud accroît son rôle déjà prépondérant. De son côté, la Russie, très présente et active sur le continent africain durant la période de l’Union soviétique, retrouve peu à peu le chemin du continent.

En matière d’échanges commerciaux, et bien que l’Union européenne soit restée le plus grand partenaire commercial de l’Afrique en 2011 (34 % du total des exportations), les pays du groupe BRICS pris ensemble (24 %) ont dépassé les États-Unis (17 %) pour se placer au deuxième rang. Les exportations de l’Afrique vers le Brésil, la Chine, l’Inde et, dans une moindre mesure, de l’Afrique du Sud, sont très majoritairement composées de matières premières, et de biens manufacturés vers la Russie. Dans l’autre sens, les trois quarts des exportations de produit de base des BRICS vers l’Afrique sont des produits manufacturés, principalement en provenance de Chine. Mais le Brésil exporte également des produits alimentaires pour 8 millions $ par an, et l’Inde du carburant pour 3,5 millions $. Pour sa part, la Chine a multiplié par 6 entre 2004 et 2011 le volume des exportations de produits de base vers l’Afrique pour atteindre 60 millions $ en 2011, contre 20 millions pour l’Inde, 12 pour l’Afrique du Sud, 10 pour le Brésil et 8 pour la Russie (5 millions $ chacun en 2000).

Selon le Haut-commissaire de l’Inde au Cameroun, Ajjampur R. Ghanashyam, les échanges entre l’Afrique et les BRIC avoisineraient 500 milliards $ en 2015 : « Les échanges commerciaux entre l’Afrique et les pays membres du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) ont augmenté plus rapidement au cours de ces dernières années, que les échanges entre l’Afrique et toutes les autres régions du monde. » Ces échanges ont doublé entre 2007 et 2012, avant d’atteindre 340 milliards $ en 2014.

Dans China Returns to Africa, Chris Alden, Daniel Large et Ricardo Soares de Oliveira soulignent que la principale motivation du gouvernement chinois est « la recherche stratégique de ressources et sa volonté de faire en sorte que les besoins énergétiques grandissants de la Chine soient satisfaits par les fournisseurs de matières premières ». La deuxième économie mondiale achète actuellement plus du tiers du pétrole africain. En outre, les industries chinoises s’approvisionnent en matières premières telles que le charbon de l’Afrique du Sud, le minerai de fer du Gabon, le bois de la Guinée équatoriale et le cuivre de la Zambie. Les industries chinoises ont aussi besoin de nouveaux marchés pour leurs produits et l’Afrique est perçue comme un marché énorme. Selon l’ONU, les échanges entre l’Afrique et la Chine connaissent une croissance effrénée : ils sont passés de 10,5 milliards $ en 2000 à 100 milliards en 2008 et 199 milliards en 2012. Dépassant les États-Unis en 2009, la Chine est dorénavant actuellement le premier partenaire commercial de l’Afrique. Les relations de réciprocité entre la Chine et l’Afrique se manifestent également sous la forme de contrats très importants décrochés par les entreprises de construction chinoises : en 2012, la China Railway Construction Corp a signé un contrat de 1,5 milliard $ pour moderniser un système ferroviaire dans l’Ouest du Nigeria et la China South Locomotive and Rolling Stock Corporation – le plus grand constructeur de trains de Chine – a signé un contrat de 400 millions $ pour la fourniture de locomotives à la compagnie sud-africaine Transnet.

Des relations parfois tumultueuses

En outre, l’Afrique détient 60 % des terres mondiales non cultivées, et suscite ainsi l’intérêt chinois. Des exemptions de droits de douane ont été accordées à une trentaine de pays africains sur 60 % des produits exportés vers la Chine. Sur l’année 2012, 147,6 millions $ de droits de douane non perçus sur les 1,49 milliard que représentent les exportations africaines vers la Chine. En termes de capitaux, les IDE du groupe des BRICS vers l’Afrique sont principalement le fait de la Chine, sous la forme d’investissements orientés vers la recherche de ressources, d’efficience et de marchés. La Commission économique pour l’Afrique (CEA, qui dépend de l’ONU) estime que 2 000 entreprises chinoises se sont installées en Afrique par le biais de l’IDE chinois ; un petit nombre d’entreprises étatiques représenterait la majorité de l’investissement chinois sur le continent, mais une grande partie des sociétés seraient des PME privées.

Pour autant, les relations ne sont pas au beau fixe, et divers problèmes ont entaché la progression de la Chine en Afrique. La location de milliers d’hectares de terres inutilisées en RD Congo a soulevé un tollé, les produits chinois importés sont jugés de mauvaise qualité et le faible coût de production de ces produits en Chine a eu un impact négatif sur la filière textile en Afrique, au Mali en particulier. Pour The Economist, les Chinois sont les bienvenus en tant qu’investisseurs, mais pas en tant que « commerçants ou cireurs de chaussures ». Un rééquilibrage est demandé par l’Afrique, partenaire devenu incontournable pour la Chine. En juillet 2012, pour le président sud-africain, Jacob Zuma, le « déséquilibre » des échanges commerciaux (exportation des matières premières africaines vers la Chine et importation des produits manufacturés bon marché en grande quantité) n’était plus soutenable.

Aides et coopération économique

Dans le Livre blanc 2013 sur la coopération sino-africaine, la Chine a tenté d’apporter des solutions à ces difficultés. Il s’agit en particulier d’une coopération plus centrée sur les projets d’investissement – notamment d’infrastructures – avec la création du Fonds de développement Chine-Afrique doté de 2,4 milliards $, et un volet éducation et formation professionnelle.

La Russie, attirée par les réserves naturelles d’Afrique, utiles à ses grandes industries fondées sur l’exploitation des ressources, est principalement intéressée par les carburants et l’énergie. En 2010, Lukoil a investi 900 millions $ dans un projet de prospection pétrolière en Côte d’Ivoire et au Ghana. Les investissements sud-africains dans le reste de l’Afrique, soutenus par l’Industrial Development Corporation et la Development Bank of South Africa ne sont pas en reste. Dans le domaine agroalimentaire, Tiger Brands a procédé en 2012 à sa troisième acquisition sur le marché nigérian en achetant 63,5 % des actions de Dangote Flour Mills, après avoir racheté en 2011 le fabricant de biscuits Deli Fodds Nigeria et acquis 49 % de Nigeria Plc.

Les viticulteurs sud-africains ciblent également le marché africain en pleine croissance. AngloGold Ashanti, un important exploitant aurifère sud-africain, a des activités au Ghana, au Mali, en Namibie et en Tanzanie. Même dans les mines qui n’appartiennent pas à des entreprises sud-africaines, le personnel est souvent originaire de ce pays. Dans le secteur des télécommunications, le sud-africain MTN est le plus grand opérateur de téléphonie mobile du continent, mettant en contact 203,8 millions de personnes dans 22 pays d’Afrique et du Moyen-Orient. Dans le domaine financier, les cinq plus grandes banques du continent sont sud-africaines et toutes financent des projets africains, la Standard Bank ayant la plus forte empreinte sur le continent.

La coopération technique est un élément essentiel de l’aide des autres BRICS à l’Afrique. Le Brésil a ainsi fourni en 2008 une assistance technique en orientant 43 % des ressources en formation de l’Agence brésilienne de coopération technique vers cinq pays lusophones du continent (Angola, Cap-Vert, Guinée Bissau, Mozambique, Sao Tomé-et-Principe), recueillant alors 74 % de la coopération technique brésilienne en Afrique. L’Inde a fourni une assistance technique par le biais du programme indien de coopération économique et technique, en axant son travail sur l’amélioration des services de qualité dans les domaines de l’éducation, la santé et les TIC. L’aide russe s’est, quant à elle, concentrée sur la sécurité alimentaire et les programmes de santé, consacrant 98,2 millions $ en 2010 à la formation agricole et à la technologie dans les pays africains. Elle a aussi annulé 20 milliards $ de dette africaine et fait un don de 50 millions $ aux pays les plus pauvres. L’African Renaissance and Inter Cooperation Fund a déboursé la plus grosse part de l’aide sud-africaine, pour 45 à 75 millions de dollars, finançant entre 10 et 20 projets par an, la majorité d’entre eux étant étroitement liés aux initiatives sud-africaines en matière de politique étrangère.

Un enjeu de taille

La CEA note, dans son rapport de 2013 sur la coopération entre les BRICS et l’Afrique que L’aide des pays BRICS (surtout la Chine) « sert la promotion de leurs échanges et de leurs investissements, mais les pays BRICS continuent à appuyer le développement de l’Afrique par le biais de l’aide à des projets d’infrastructure octroyée sous forme de prêts avantageux, de crédits ou de dons ».

Ainsi, la contribution du groupe BRICS à l’aide au développement s’« est accrue au cours des dix dernières années, la Chine en tête, bien que la majorité des flux financiers publics émanant du groupe BRICS représente une petite part des flux financiers publics vers l’Afrique », souligne ce service de l’ONU, qui reconnaît que le manque de données à ce sujet « brouille le paysage ». Si l’aide fournie par les BRICS (en particulier la Chine) permet de promouvoir son commerce et son investissement, ces pays contribuent aussi au développement de l’Afrique par le biais d’aides à différents projets (en particulier l’infrastructure), de prêts à des taux préférentiels ou assortis de conditions de faveur, ainsi que de crédits et de subventions. L’aide accordée aux infrastructures avait pour objectif de compléter l’aide provenant des pays développés, en particulier sur la production d’électricité et les réseaux de transport. La CEA évalue que les flux financiers publics du groupe BRICS vers l’Afrique visent les pays qui ne sont pas visés par les partenaires traditionnels, le prêt concessionnel étant l’outil principal d’aide de la Chine.

Les besoins en financement des pays en développement en général, en Afrique en particulier, sont en effet très importants, et en particulier dans le domaine des infrastructures et pour des formes de développement plus durables ; le déficit en financement a été évalué à 1 000 milliards $ par an, dont entre 5 % et 15 % pour l’Afrique subsaharienne et 5 % à 10 % pour la région MENA. L’électricité compterait pour la moitié au moins des besoins, l’eau et le transport pour un gros tiers et le solde pour les télécommunications. En matière d’infrastructure, les dépenses annuelles ont été évaluées entre 800 et 900 milliards $, dont 500 milliards $ sont fournis par des budgets gouvernementaux, 150 à 250 milliards $ sont des financements privés, 70-100 milliards $ proviennent des banques, 40-60 milliards $ sous forme d’aide et de financement concessionnel, et seulement 50 milliards $ par des institutions financières multilatérales, un montant qui apparaît extrêmement faible.

L’enjeu est de taille pour l’Afrique : le secrétariat du G24 estimait, en mars 2013, les dépenses d’infrastructures à réaliser en Afrique subsaharienne à 75-100 milliards $ par an, soit l’équivalent de plus de 12 % du PIB de la région. L’Afrique du Sud et les pays exportateurs de pétrole pourraient atteindre cet objectif en investissant tous les ans 10 % de leur PIB ; les pays les plus pauvres cependant devront investir annuellement plus de 20 % de leur PIB. Sans ces investissements, les perspectives de croissance et de développement seraient grandement freinées. Pour la CEA, « la coopération entre l’Afrique et les pays BRICS présente de nouvelles possibilités de développement économique à grande échelle car l’interaction – au-delà du commerce, des finances et de l’aide – peut bénéficier aux pays africains à travers les échanges culturels, sociaux, scientifiques et technologiques ». Comment l’Afrique doit-elle s’organiser pour faire face au bloc que composent les BRICS ? L’Afrique globalement, et les pays d’Afrique chacun de leur côté, ont intérêt à « déployer des ressources de haute qualité pour gérer les rapports avec les BRICS, gardant à l’esprit une image bien définie des besoins, qui s’inscrive dans leur cadre général de politiques et de planification – aucun dialogue authentique entre égaux n’est possible sans cela. »

Écrit par
African Banker

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