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Kako Nubukpo et la Francophonie économique

  • Publiéjuillet 11, 2017

Pourquoi tant de retards ? Les chefs d’État ne sont pas d’accord… Certains sont pour la sortie de la Zone franc ou pour une renégociation. D’autres sont pour le maintien…

J’ai pour principe de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain. L’intégration régionale est une très bonne chose, faute de quoi nous risquerions de tomber dans la balkanisation, avec des micromarchés qui, dans tous les cas, ne seraient pas optimaux par rapport aux impératifs de compétitivité.

Mais les Africains se font-ils suffisamment confiance ?

Le processus est positif : les Africains se font suffisamment confiance mais tout le monde n’a pas en tête les alternatives viables possibles ; nous avons toujours « la peur du flottement », que nous avons connue aussi dans les pays émergents. On sait le coût mais aussi les avantages du système dans lequel on est, mais on méconnaît le coût et les avantages d’un système alternatif. C’est quelque chose d’humain, de psychologique.

Si on garde en tête l’idée qu’il y a un phénomène obligatoire d’apprentissage par la pratique, on pourrait accepter de moins dépendre du Trésor français via le mécanisme du compte d’opé­rations et de se faire plus confiance via une gouvernance irrépro­chable, afin d’optimiser la question des réserves de change.

Ma vision suppose un troisième élément, incontournable : la solidarité budgétaire. La politique économique fonctionne sur deux jambes : le budget et la monnaie. Dans l’Uemoa, le budget communautaire représente à peine 0,3 % du PIB. Aux États- Unis, ce budget se situe autour de 30 % ! C’est-à-dire que face à des chocs dissymétriques que connaîtraient certains des pays – et pas l’ensemble des pays – c’est la solidarité budgétaire, le fédéra­lisme budgétaire qui permettrait d’accompagner la monnaie pour répondre à ces chocs.

Tout cela semble un voeu pieux… On voit toute la difficulté des pays à s’organiser, à financer… Comment organiser, et par quelle structure, la prise en charge par les Africains de cette zone-là ?

Le premier élément important consiste à tester la plausibilité de ratios différents de ceux que nous avons à l’heure actuelle. Aujourd’hui, nous avons un taux d’inflation inférieur à 2 %, et comme vous le savez un déficit budgétaire qui doit être inférieur à 3 % du PIB. Or, pour des économies en croissance, avec une démographie qui est très jeune et qui double tous les 25 ans, nous pouvons nous autoriser des marges supérieures à celles qui sont en oeuvre à l’heure actuelle. Celles-ci ressemblent fort à ce que fait l’Allemagne. La première étape consiste donc à tester la faisabilité d’indicateurs qui soient beaucoup plus ambitieux que les critères de convergence actuels. La deuxième étape, qui peut être parallèle à la première, consiste à négocier avec le Trésor français la possibilité de réviser les accords du compte d’opérations – qui sont des accords de nature budgétaire – pour voir s’il n’y a pas moyen de transférer à Francfort, auprès de la Banque centrale européenne, les mécanismes de solidarité. Car nos Banques centrales africaines de la Zone franc ont pris leur indépendance vis-à-vis de nos États, mais s’inféodent au ministère des Finances d’un pays étranger, la France. Du point de vue de la symbolique, cette situation pose problème. La question est de savoir si on ne peut pas – comme le Nigeria ou le Ghana le font – négocier directement de Banque centrale à Banque centrale, et si la BCE pourrait accepter de prendre en charge la solidarité que Paris donne à l’heure actuelle.

Le débat enfle, et ne semble pas être assez mûr pour déboucher sur une vision opérationnelle de cette sortie… Quel est le timing qu’il faut prévoir ?

Le débat enfle parce que, comme disait Marcel Mauss, la monnaie est un fait social total. C’est un fait économique mais aussi un fait politique, historique, sociologique et même, quelque part, un fait religieux. À travers ce débat autour du franc CFA, nous voyons bien que s’exprime une demande d’émancipation de la jeunesse africaine, laquelle d’ailleurs n’utilise pas forcément le franc CFA, mais davantage l’euro !

Le débat va au-delà de l’optimalité de la gestion monétaire et renvoie au symbole d’un franc CFA et d’une Zone franc, laquelle a 78 ans ! Aujourd’hui, le président français a la moitié de cet âge et 40 % de la population africaine a moins de quinze ans. Nous avons l’impression d’une sorte de dissonance cognitive entre un franc CFA qui fait sens pour des gens qui ont eu à piloter les indépendances et les premières années qui ont suivi, et une jeunesse africaine qui a soif de prendre en mains sa destinée, et qui pense que cette monnaie est un instrument de servitude. Évidemment, nous qui sommes aux manettes, nous devons tenir les deux bouts !

À ce propos, l’arrivée d’Emmanuel Macron à l’Élysée va-t-elle permettre de faire bouger les lignes ?

Davantage que son arrivée, ce qui peut faire bouger les lignes, aujourd’hui, c’est le chômage massif des jeunes, et la question des migrations vers l’Europe et notamment vers la France, par rapport à ce que cela pèse en matière de renforcement ou de mise à l’épreuve du tissu républicain.

Nous voyons bien qu’il peut exister un jeu gagnant-gagnant à réformer les systèmes de gestion, en tout cas au niveau des instruments de politique publique – pour la France et pour les pays africains – visant à développer sur place les moyens d’une existence décente pour des millions d’Africains. Je crois que c’est ce sentiment qui consiste à dire que notre développement en Afrique, c’est la sécurité de l’Occident ! Ce constat peut être un levier pour des expériences dynamiques et potentiellement fructueuses.

Écrit par
African Business french

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