Kako Nubukpo et la Francophonie économique
Ancien ministre au Togo, Kako Nubukpo dirige un département clef de la Francophonie. Il développe sa vision – ambitieuse mais ancrée dans le réel -, d’une trajectoire commune pour les pays africains et revient sur le débat autour du franc CFA.
Entretien avec Hichem Ben Yaïche
Depuis que vous êtes à la tête de la Francophonie économique et numérique, avez-vous fait véritablement « le tour du propriétaire» ?
Notre feuille de route est claire. Elle a été donnée par les chefs d’État et de gouvernement au sommet de Dakar en novembre 2014. Elle est résumée par la stratégie économique pour la Francophonie, avec deux principaux volets : le premier, que nous qualifions de « microéconomique », consiste à atteindre les Objectifs du développement durable, et suppose une amélioration du bien-être des populations. Le second axe, plus « méso » ou macroéconomique, est de faire de notre espace francophone un espace d’échanges, de prospérités et de solidarités privilégié.
Par rapport à ces deux principaux objectifs, nous avons une direction qui tourne autour de plusieurs pôles : le premier est celui du numérique. C’est un pôle crucial, parce qu’il représente une véritable révolution, avec trois éléments structurants : tout ce qui concerne le régalien, la gestion des écosystèmes de l’Internet – avec la question importante de la cybersécurité. Nous aidons les pays à être maîtres de leur cyberespace, comme ils peuvent l’être de leur territoire physique.
L’autre axe est relatif aux biens communs numériques : comment mettre la technologie au service du plus grand nombre, ce qui pose la question des coûts en ligne, ouverts et massifs, ainsi que celle des ressources éducatives libres. Et le troisième axe cherche à promouvoir l’entrepreneuriat numérique.
L’élément le plus marquant a été la création, dans le cadre du sommet de la Francophonie à Antananarivo (Madagascar), en novembre 2016, d’une plateforme de financement participatif, Finance ensemble. Ce volet numérique prend tout son sens quand on pense aux autres volets de la direction de la Francophonie économique et numérique, à savoir les entreprises et les territoires. Car, comme vous le savez, la Francophonie démographique est essentiellement africaine et cette démographie africaine est essentiellement rurale, en dépit d’une croissance urbaine non négligeable.
Dans ce cadre, nous avons le projet d’appui au développement local, qui oeuvre en faveur des services de base, dans les collectivités locales. Nous avons également notre programme phare, celui de la promotion de l’emploi par l’entrepreneuriat des femmes et des jeunes. Nous accompagnons le développement d’incubateurs. Nous améliorons aussi l’environnement des affaires, nous y contribuons, et nous essayons de développer le partage d’expérience. Les deux derniers pôles – et non des moindres – de la Francophonie économique et numérique, touchent à la diplomatie économique francophone…
Vous avez certes une vision programmatique, mais encore faut-il avoir des moyens pour agir sur le réel…
La diplomatie économique y concourt par la mise en réseaux des différentes organisations professionnelles. Par exemple, le réseau des associations professionnelles francophones : les notaires, les experts-comptables, les géomètres, les pharmaciens… Je citerai le réseau international des agences de promotion des investissements francophones (RIAFPI) qui oeuvre pour la promotion des investissements dans l’espace francophone. Et vous avez surtout deux réseaux de ministres : ceux du Commerce, et ceux des Finances des pays à faibles revenus…
Quelle est la valeur ajoutée de la Francophonie économique par rapport aux structures existantes ?
Notre principal avantage réside dans la mise en réseau et la mise en synergie. Elle s’inscrit dans une diplomatie d’influence autour des valeurs de l’humanisme intégral. En ces temps troublés, on sent les velléités de retour au protectionnisme – et même au nationalisme. La Francophonie économique a un message d’ouverture, pour une mondialisation équitable et équilibrée. Une mondialisation qui donne tout son sens à la diversité culturelle et linguistique. Comme vous le savez, ne pas parler la même langue signifie payer une taxe de 7 % sur les transactions ! Pour nous, la langue française est un véhicule de commerce, un véhicule de confiance. Nous essayons par tous les moyens – ils ne sont pas énormes ! – d’y contribuer en faisant de la Francophonie économique un levier de transformation structurelle.