Hani Salem : La crise nous pousse à innover pour reconstruire mieux

Prolongeant les conclusions du rapport Exploiter les perturbations pour mieux reconstruire de l’ITFC, le directeur général de la Société internationale islamique de financement du commerce, Hani Salem Sonbol, nous précise les orientations nouvelles de son organisation, à l’aune du bouleversement mondial causé par la pandémie.
Propos recueillis par Laurent Soucaille
Votre rapport témoigne que très tôt, en 2020, l’ITFC a apporté de l’aide immédiate à ses pays membres touchés directement ou indirectement par la crise de la Covid-19. Comment cette aide s’est-elle poursuivie en 2021, et implique-t-elle pour vous de nouvelles priorités ?
Au fur et à mesure que la pandémie a déferlé, l’ITFC a su réagir rapidement pour aider les pays membres à répondre aux urgences immédiates en matière de santé publique et à l’impact socio-économique de la crise. La réponse de l’ITFC à la crise a visé́ à apporter un soutien à nos pays et à nos clients, leur permettant ainsi de répondre à leurs besoins dans l’immédiat pendant la propagation du virus et de renforcer leur résilience aux chocs externes à long terme.
Nous avons décaissé́ près de 495 millions de dollars de financement du commerce pour soutenir nos clients et les aider à alléger le poids de la crise sanitaire, rétablir les chaînes d’approvisionnement du commerce, fournir des produits alimentaires abordables et de qualité, et conserver les emplois dans les petites, moyennes et microentreprises.
La stratégie quinquennale de l’ITFC, qui n’en devient pas moins pertinente, a été affinée pour mieux gérer les perturbations économiques. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons favoriser une reprise solide, inclusive et durable, conformément aux ODD.
L’ITFC a adopté́ une approche mixte, en alliant lignes de financement du commerce, programmes d’assistance technique et de renforcement des capacités, ce qui nous a permis d’optimiser l’impact sur les clients affectés par la crise.
La pandémie de Covid-19 a profondément affecté la réalisation des ODD (Objectifs de développement durable). Ce qui avait commencé́ comme une crise sanitaire a créé́ un choc économique inégalé́, avec une croissance globale en baisse et avec la perte d’environ 255 millions d’emplois à plein temps.
Désormais, nous devons tous nous adapter aux nouvelles réalités. La stratégie quinquennale de l’ITFC, qui n’en devient pas moins pertinente, a été affinée pour mieux gérer les perturbations économiques. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons favoriser une reprise solide, inclusive et durable, conformément aux ODD.
Quelles sont les spécificités, aujourd’hui, de l’ITFC dans le financement du commerce, dans la région MENA (Moyen-Orient Afrique du Nord) ?
Nos interventions dans cette région se positionnent comme une coopération stratégique au vu du rôle important que joue les pays en tant que pont entre l’Europe, l’Asie et l’Afrique.
Depuis sa création en 2008, l’ITFC a approuvé de nombreux financements afin de soutenir tout particulièrement la sécurité énergétique de la région et assurer sa croissance économique. L’ITFC a également financé d’autres secteurs stratégiques tels que les soins de santé (importation de produits pharmaceutiques) ou encore l’industrie afin de soutenir les exportations (acier, phosphate …).
L’ITFC cherche également à accélérer son appui au secteur privé en adoptant des approches innovantes dans lesquelles elle dispose d’un plus grand avantage comparatif, en matière de commerce et d’intégration régionale, notamment. En outre, l’ITFC offre des opérations de financement, qui sont combinées d’une assistance technique et d’un volet développement du commerce.
Parallèlement, l’ITFC soutient le développement des relations entre la région MENA et l’Afrique subsaharienne, à travers des activités visant l’accélération des échanges commerciaux, le financement du secteur privé, notamment les institutions financières. Cela comprend également le partage d’expérience et d’expertise des pays arabes et subsahariens membres de l’Organisation de la coopération islamique (OCI).
Enfin, afin de toucher un plus grand nombre de PME, nous venons de créer une division Secteur privé. Cette dernière sera en charge de fournir des services d’émission et de confirmation de lettres de crédit, en plus des financements Mourabaha en faveur des institutions financières et des banques commerciales, qui à leur tour étendent ces financements aux PME et aux clients du secteur privé. Ces transactions contribuent à soutenir l’inclusion financière tout en assurant la promotion de la finance islamique. En effet, les banques partenaires sont initiées aux instruments de financement charia-compatibles.
Concernant l’Afrique, vous semblez moins alarmistes que d’autres, partant du constat que le continent s’est montré plutôt « résilient ».
Il faut bien admettre que l’année écoulée fut une année sans pareille ! Cependant, elle fut aussi pleine d’opportunités grâce aux nombreux changements ayant affecté́ notre quotidien, nous obligeant ainsi à ressortir le meilleur de nous-même et nous poussant à innover et c’est ce que nous avons principalement observé sur le continent. Cette année fut une année de réflexion sur l’avenir que nous souhaitons et sur le rôle que nous envisageons pour y parvenir.
La 5e édition de notre Rapport annuel sur l’efficacité du développement, intitulé « Exploiter les perturbations pour mieux reconstruire » illustre les solutions et programmes mis en place par l’ITFC en matière de développement du commerce.
Le secteur de la santé n’a pas été la seule priorité de l’ITFC. Compte tenu des conséquences économiques de la crise, l’ITFC a, entre autres, décaissé 484 millions $ pour les importations alimentaires visant à sécuriser l’approvisionnement en produits alimentaires abordables, sûrs et suffisants pour plus de 25 millions de ménages dans les pays membres de l’OCI.
Nous avons ainsi enregistré une augmentation de 15% de nos financements en faveur du secteur de la sécurité alimentaire, l’une des priorités de l’organisation.
La pandémie a également souligné l’importance du partage de données afin d’améliorer nos opérations. Dès le début de la crise, sous le mandat du programme AATB, des solutions en ligne et des webinaires avec la participation de centaines de médecins de plusieurs pays africains ont permis un partage efficient des connaissances, une étude continentale des défis et des solutions à mettre en place pour lutter ensemble contre la pandémie sanitaire et économique.
Sachant que la fracture numérique constitue une grave menace et qu’elle pourrait empêcher un partage équitable des avantages, l’ITFC vise à s’assurer que la digitalisation en cours soit juste et inclusive. Elle redoublera d’efforts pour encourager le commerce inclusif via de nouvelles solutions digitales.
Une réelle mobilisation continentale s’est créée renforçant nos convictions et notre engagement à continuer d’investir dans des programmes tels que le programme des Ponts du commerce arabo africains (AATB) et les initiatives de promotion du commerce intra-africain et intra-OCI.
Qu’entendez-vous par « reconstruire mieux » en Afrique et au Moyen-Orient ?
Vous avez lu dans le rapport l’impact considérable engendré par la pandémie de Covid-19 dans le monde. Les défis mondiaux nécessitent ainsi une coopération multilatérale et un partage des solutions.
La pandémie a provoqué́ de grandes perturbations qui ont affecté́ nos économies et nos sociétés. Elle nous a également amené́ à repenser notre démarche opérationnelle, de sorte à̀ déterminer si la perturbation est positive ou négative. Il n’y aura pas de retour à l’« ancienne normale ». En allant de l’avant, l’ITFC a jeté les bases pour mieux reconstruire dans un monde post-Covid.
Un avenir plus inclusif, durable et résilient dans nos pays membres peut être atteint en se concentrant davantage sur les ODD et en adoptant les nouvelles technologies comme outils clés pour un meilleur impact dans ses pays membres.
Précisément, l’ITFC semble miser sur les nouvelles technologies, notamment le numérique. Comment concilier les nécessaires investissements de long terme et les réponses à l’urgence ?
La digitalisation a créé de nouvelles opportunités pour le commerce international. Certes, cette tendance avait débuté́ avant la pandémie, mais elle a pris de l’élan en 2020 lorsque les technologies numériques et le commerce électronique sont devenus des outils efficaces pour une reprise solide.
Sachant que la fracture numérique constitue une grave menace et qu’elle pourrait empêcher un partage équitable des avantages, l’ITFC vise à s’assurer que la digitalisation en cours soit juste et inclusive. En 2020, l’ITFC a réussi à lancer des solutions électroniques pour le commerce auprès de certains clients et elle redoublera d’efforts pour encourager le commerce inclusif via de nouvelles solutions digitales.
L’ITFC croie beaucoup en la régionalisation. Sur ce point, comment jugez-vous les avancées de la Zone de libre-échange continentale africaine « ZLECAf »?
Je vous renvoie, sur ce point, à l’étude conduite par l’ITFC et son partenaire, le Centre de Recherches statistiques, économiques et sociales et de formation pour les pays islamiques (SESRIC). Nous avons étudié les impacts potentiels de la ZLECAf sur une sélection de pays membres de l’OCI, à savoir la Côte d’Ivoire, l’Égypte, la Guinée, le Mozambique, la Tunisie et l’Ouganda.
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Vous l’avez dit, l’ITFC croit en la nécessité de créer des chaînes de valeurs régionales et au soutien des investissements dans des infrastructures intelligentes afin d’améliorer la connectivité et de permettre une circulation plus fluide des biens et des personnes, ou encore la protection des segments vulnérables des sociétés afin de parvenir à une croissance plus équilibrée.
La ZLECAf est une importante opportunité pour l’Afrique pour s’intégrer davantage et créer une valeur transfrontalière qui se reflétera dans la croissance socio-économique du continent. Les résultats escomptés ne se limitent pas au seul commerce international.
L’accord soutiendra une plus grande intégration économique, favorisant la compétitivité des industries nationales. Elle facilitera une meilleure allocation des ressources et contribuera à attirer davantage d’investissements étrangers.
*Sonbol, directeur général de l’ITFC
@LS
Rapport ITFC Sesric complet sur : https://www.itfc-idb.org/sites/default/files/itfc-sesric_report_on_afcfta_impact_on_african_oic_countries.pdf