Guinée : Le dialogue, espoir du secteur privé
Libéralisme sauvage, manque d’outils, concurrence déloyale… Et si la Guinée sortait enfin de ses maux ? Pour cela, l’État et les acteurs privés misent sur le dialogue public-privé, via une plateforme dédiée.
Conakry, Tokpanan Doré
Pour les acteurs du secteur privé guinéen, le Guinée Business Forum reste un grand espoir. Cette plateforme d’échange entre l’État, le secteur privé et les partenaires institutionnels, dont la Banque mondiale, a été – enfin – lancée en décembre 2017, après trois ans de travaux préparatoires.
«Après l’échec du dialogue politique à régler nos problèmes, le dialogue public-privé reste la seule solution pour arriver au développement de la Guinée », estime Madani Dia (photo), secrétaire exécutif de la Plateforme de concertation du secteur privé guinéen (PCSPG) qui regroupe une trentaine d’organisations socioprofessionnelles et patronales. « Si tout le monde joue sa partition, le changement tant attendu par les Guinéens peut se faire très rapidement. Par contre, si le système des prédateurs demeure, les problèmes vont demeurer », prévient Madani Dia.
Le secteur privé, qui aspire ainsi au dialogue, vient de loin. La Guinée n’est entrée dans la voie du libéralisme qu’après le régime du président Sékou Touré en 1984. Passant très rapidement d’un pays sans secteur privé à la privatisation générale.
« Cela s’est passé sans aucune règle, et jusqu’à un passé récent, chacun faisait ce qu’il voulait. Cela ne peut pas marcher ainsi ! », déplore Madani Dia. Conséquence : le libéralisme « sauvage », caractérisé notamment par la domination de l’informel (70 % à 90 % des entreprises), la part majeure du travail non qualifié et la concurrence déloyale menée par des agents de l’administration publique.
De tous les maux à la base de l’inefficacité du secteur privé, ce dernier est le plus douloureux : « Le premier ennemi du secteur privé est cette administration au service d’un secteur privé parallèle, mais puissant. Notre priorité est de faire de notre administration une administration de service public », explique Madani Dia.
La concurrence déloyale, Emmanuel Tolno, un jeune entrepreneur qui s’est lancé dans la chaudronnerie il y a deux ans, explique comment la distinguer : « Vous remarquerez que beaucoup de hauts cadres riches ont des entreprises ou gagnent des pourcentages sur chaque marché public gagné. Certains d’entre eux ne s’en cachent même pas, bien que l’administration doive rester neutre. C’est sûr qu’on ne peut pas les concurrencer ! » Par le passé, le jeune entrepreneur a essuyé plusieurs échecs dans ses quêtes de marché, en raison d’un système qui « étouffe l’entrepreneuriat et malheureusement le secteur privé local ».
Lever les contraintes
L’autre problème du secteur privé guinéen tient au manque d’outils de financement. Le ratio de crédit au secteur privé est de 9,75 % contre 17,2 % dans la zone Uemoa. À part les banques – qui, d’ailleurs, financent insuffisemment les entreprises et les activités socioprofessionnelles – il n’existe pas de fonds d’investissement, ni de fonds de capital-risque, ni de sociétés de financement direct. « Si nous voulons baser notre développement sur l’agriculture, pour moins dépendre des mines, il nous faut forcément des outils comme la banque agricole ou des banques guinéennes de développement, souligne Madani Dia qui remarque que toutes les banques en Guinée sont étrangères».
De son côté, le gouvernement assure que l’une des missions du Guinée Business Forum est de lever les contraintes du secteur privé par des réformes consensuelles. Mais, estime-t-il, la réussite de la plateforme dépendra en partie de l’organisation du secteur privé. Le président Alpha Condé reproche aux acteurs du privé leur éparpillement. En effet, depuis fin 2016, le Conseil national du patronat de Guinée est dans une situation confuse.
Chacun, de Mohamed Habib Ann et d’Ansoumane Kaba, deux patrons importants du pays, se réclame président de l’organisation patronale, divisant ainsi les chefs d’entreprise. « Certes, l’administration a des tares, mais les hommes d’affaires en ont davantage ! », a lancé Alpha Condé, en décembre 2017, lors du lancement du Guinée Business Forum, poursuivant : « Chacun de nous doit chercher à s’améliorer pour être dans de meilleures situations».
Le Président reproche également aux patrons « leur incapacité à monter des projets bancables ». C’est pourquoi il entend aussi faire du Guinée Business Forum un bureau d’études qui va aider les hommes d’affaires à présenter des projets viables et finançables. La finalité étant de parvenir à un secteur privé levier de la création de richesses et d’emplois, dans un pays où l’État a du mal à payer ses 50 000 employés.
« Le problème n’est pas tant dans la pluralité des structures patronales que dans la convergence des actions », assure un membre de la PCSPG. Qui appelle aussi au renforcement des capacités des organisations patronales et socioprofessionnelles. Créées par le besoin, ces organisations peinent à jouer leur rôle en faveur du secteur privé guinéen, et à étendre leur gamme de services.
De nouvelles formations
Le besoin de renforcement de capacités s’impose chez les PME, les commerçants, les artisans. Souleymane Traoré, entrepreneur, approuve le président Alpha Condé : « Dans tous les secteurs d’activité, peu d’entrepreneurs savent monter des projets bancables».
Un rapport gouvernemental sur le secteur privé guinéen indique que 81 % des entreprises locales sondées souhaiteraient recevoir une assistance technique pour améliorer la gestion de leur activité. Ce besoin majeur serait partagé par toutes les entreprises, quelles que soient leur taille et leur situation géographique. Le même rapport indique que 77 % des entreprises guinéennes n’ont jamais participé à une formation, alors que 75 % ne connaissent pas de structure offrant ces services.
Ainsi, 42 % des entrepreneurs se tournent d’abord vers leurs proches pour des conseils techniques. Face au déficit, le gouvernement, à travers l’Office national de formation et de perfectionnement professionnel (ONFPP) et avec l’appui des partenaires institutionnels, fournit des formations à travers le pays et sélectionne les start-up à fort potentiel.
Mais le fossé entre la demande et l’offre en matière de renforcement de capacités demeure. Certes, les mauvaises pratiques dans l’administration ont la peau dure, mais les opérateurs économiques reconnaissent les efforts du gouvernement en matière de réforme pour non seulement améliorer le climat des affaires, mais aussi pour aider un secteur privé victime d’un libéralisme longtemps resté sauvage.
« Des avancées significatives sont enregistrées dans le climat des affaires guinéen, mais des défis restent à relever… Si nous voulons atteindre l’émergence en 2040, nous devons fournir beaucoup d’efforts », estime Aïssata Béavogui Diallo de la PCSPG. « Nous espérons beaucoup du Guinée Business Forum », relate Mohamed Touré, promoteur immobilier. « Les réformes ont été engagées et les structures sont mises en place, il reste à rompre avec les anciennes pratiques et à passer aux actions».