François-Aïssa Touazi et le Golfe
François-Aïssa Touazi, co-fondateur du think-tank Capmena et auteur du livre Le ciel est leur limite, les dirigeants du Golfe, leur influence, leur stratégie, explique la stratégie économique de ses monarchies en direction de l’Afrique où tout est à faire.
D’où vient l’intérêt des pays du Golfe pour l’Afrique ?
Les pays du Golfe ont su tirer profit de leur positionnement géographique, à la croisée de l’Europe, de l’Asie et de l’Afrique. Néanmoins, Il est important de distinguer l’Afrique subsaharienne et l’Afrique du Nord. Avec cette dernière, compte tenu de la proximité culturelle et linguistique, les relations sont particulièrement anciennes et denses et cette région constitue une terre de prédilection pour les investisseurs du Golfe.
En Égypte, les investisseurs du Golfe sont présents depuis longtemps. Leurs grands groupes privés ont investi massivement dans la pétrochimie, l’immobilier ou le tourisme. Aujourd’hui, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis et le Koweït se sont engagés à investir près de 20 milliards $ dans l’économie égyptienne pour soutenir le régime du président Sissi. Au Maghreb, c’est surtout le Maroc qui a su le mieux attirer les fonds du Golfe dans les secteurs de l’agriculture et du tourisme, bénéficiant des excellentes relations entre les monarchies.
Après l’Afrique du Nord, les pays du Golfe se tournent de plus en plus vers l’Afrique subsaharienne. Ils sont convaincus de l’importance stratégique de l’Afrique pour la réussite de leur politique de diversification. Les pays africains sont considérés comme des partenaires commerciaux aux énormes besoins, mais aussi comme des fournisseurs disposant de ressources naturelles et de minéraux indispensables pour leur développement. Leurs relations commerciales n’ont cessé de se développer pour représenter, en 2013, plus de 35 milliards $. Entre 2000 et 2010, les échanges ont augmenté de 270 %.
Chacun joue sa partition ? Comment ce jeu de conquête d’espace et de marchés s’organise-t-il entre ces acteurs ?
L’Afrique est devenue en l’espace de quelques années une terre de compétition. Les pays du CCG (Conseil de coopération du Golfe) renforcent leur présence dans tous les secteurs et dans toutes les parties du continent. Le Koweït a été précurseur au travers du Kuwait Fund for Arab Economic Development et de ses groupes familiaux, à l’instar de Kharafi, présents dans différents pays. Les Émirats arabes unis sont aujourd’hui les plus Africa-oriented et multiplient les initiatives pour asseoir leur présence en Afrique. Dubaï se rêve en capitale africaine des affaires. Le Qatar n’est pas en reste et mobilise un bon nombre de ses institutions sur l’Afrique (Qatar National Bank, Al Jazeera…). L’Arabie saoudite est active dans les domaines minier et agricole à travers ses nombreux groupes industriels et ambitionne de développer le tourisme religieux en provenance d’Afrique. Enfin, Oman entretient des relations très étroites avec l’Est du continent où ses groupes sont particulièrement actifs.
D’autre part, les pays du Golfe ont compris l’importance des pays africains pour la stratégie de lobbying au niveau mondial. Dans le cadre de leur soft diplomatie, les monarchies, en particulier le Qatar et les Émirats arabes unis, accueillent les plus grandes manifestations sportives et culturelles (Exposition universelle à Dubaï, Coupe du monde de football au Qatar…) et ont besoin de pays amis pour les soutenir dans leur campagne.
Comment sont-ils perçus en Afrique ?
Les pays du Golfe semblent exercer un grand pouvoir d’attraction en Afrique, notamment auprès des pays musulmans. Mais aussi des pays du Sahel, pour lesquels les pays du Golfe sont la démonstration qu’un pays désertique n’est pas condamné au sous-développement. Sans oublier les pays pétroliers africains qui observent avec intérêt les mécanismes de gestion de la manne pétrolière mis en place par les pays du Golfe. Plus généralement, les pays africains sont à la recherche d’un modèle de développement alternatif à ceux proposés par l’Occident et la Chine.
Enfin, la complémentarité des besoins en capital de l’Afrique et la recherche d’opportunités d’investissement pour les pays du Golfe favorisent grandement l’existence de partenariats gagnant-gagnant.
Les pays africains doivent-ils s’en réjouir ?
Le renforcement de la présence des pays du Golfe est une bonne nouvelle pour les pays africains car la concurrence s’en trouve stimulée. Deux apports caractérisent les investisseurs du Golfe. D’une part, ils adoptent une approche essentiellement business, davantage portée sur la rentabilité de leurs investissements, et d’autre part, ils ne se focalisent pas uniquement sur les matières premières dans leur relation avec l’Afrique. Cela fait d’eux des partenaires de choix pour la diversification des économies des pays africains.
Quels sont les secteurs et régions dans lesquels les pays du Golfe investissent aujourd’hui ?
Ils sont actifs dans de nombreux secteurs . Le transport aérien avec des majors telles qu’Emirates qui couvre 16 destinations et opère plus de 160 vols vers l’Afrique ; la compagnie souhaite faire de l’aéroport de Dubaï un hub pour l’Afrique. Ou encore Qatar Airways qui couvre dix destinations. Le transport maritime n’est pas en reste avec DP World qui gère le port de Dakar au Sénégal et les opérations portuaires dans de nombreux autres pays. Ces facteurs font qu’aujourd’hui, un nombre important de multinationales ont choisi Dubaï pour y implanter la direction de leur division Afrique. On peut citer Hilton, par exemple.
Qu’en est-il des télécoms ?
Ce secteur est particulièrement dynamique. De nombreuses compagnies de la région sont leaders en Afrique. Par exemple, Etisalat, l’opérateur télécoms émirati qui vient d’acquérir Maroc Telecom, devenant ainsi également propriétaire de trois opérateurs en Afrique subsaharienne. Les médias constituent aussi un secteur privilégié pour les pays du Golfe : 70 % du capital nécessaire au lancement de CNBC Africa a été apporté par un consortium de Dubaï et Al Jazeera ambitionne de devenir un acteur majeur du paysage médiatique africain.
Et au plan financier ?
Les fonds d’investissement spécialisés sur l’Afrique sont aussi de plus en plus nombreux comme ceux d’Abraaj, fonds de Dubaï qui s’est associé à Danone en octobre 2013 pour acquérir Fan Milk International, acteur majeur des produits laitiers et des jus en Afrique de l’Ouest, ou ceux du prince saoudien Walid Bin Talal. Le Qatar est également actif sur le terrain financier grâce au dynamisme de la Qatar National Bank, filiale du fonds souverain Qatar Investment Authority qui est devenue actionnaire de Ecobank, une des plus importantes banques du continent présente dans 36 pays africains. Les investisseurs du Golfe s’intéressent aussi à l’industrie comme l’a récemment démontré l’engagement de Investment Corp of Dubaï dans Dangote Cement, la plus grande société cotée à la Bourse de Lagos.
Les richesses de l’Afrique susciteraient-elles leur intérêt ?
Bien sûr ! Les pays du Golfe ciblent de plus en plus les matières premières agricoles et minières. Les exemples sont nombreux comme l’investissement stratégique du fonds souverain d’Abu Dhabi, Mubadala, en Guinée Conakry (5 milliards $) dans une mine de bauxite et une raffinerie d’aluminium (Guinea Aluminium Corp) dans l’objectif de sécuriser l’approvisionnement de ses usines d’aluminium. Pour assurer leur sécurité alimentaire, ils ont aussi multiplié les acquisitions de terres arables notamment en Afrique de l’Est. L’Arabie saoudite a acquis près de 2 millions d’hectares de terres au Soudan. Hassad Food, filiale du fonds souverain qatari QIA spécialisée dans l’agriculture, a elle aussi inscrit l’Afrique dans ses priorités d’investissement après avoir massivement investi en Asie. Les groupes privés du Golfe lorgnent aussi sur les ressources africaines comme l’entreprise Amer, dirigée par Mohammed Al Abbar de Dubaï qui a réalisé un chiffre d’affaires de 10 milliards $ en quelques années seulement, essentiellement grâce à des investissements dans le domaine minier. Les hydrocarbures font aussi partie de leurs objectifs. En mai 2013, la Qatar Petroleum Authority est entrée à hauteur de 15 % au capital de Total EP Congo. Hamad Bin Jassem, l’ancien Premier ministre du Qatar, a quant à lui acquis, à hauteur de 1,14 milliard $, en 2014, la compagnie pétrolière Heritage Oil, très présente au Nigeria et en Tanzanie.
Quelles seront les priorités des prochaines années ?
Globalement, les investissements financiers des pays du Golfe pourraient sensiblement augmenter dans les années à venir avec l’émission de titres obligataires « charia compatibles » comme les sukuk. Les fonds ainsi levés par souscription des pays du Golfe devront uniquement être utilisés pour des investissements socialement responsables et conformes à l’éthique musulmane (Industrie, éducation, santé, etc.). Plusieurs pays ont déjà manifesté leur intérêt pour ce type d’obligations tels que l’Afrique du Sud, le Nigeria ou encore l’île Maurice. Les pays du Golfe ont clairement inscrit l’Afrique comme une priorité dans leur stratégie de diversification. Les relations entre ces deux régions du monde aux économies complémentaires devraient se renforcer davantage dans les prochaines années.