Félix Bikpo DG AGF
Des grands projets au financement des PME, Félix Bikpo, cet Ivoirien qui vit au Kenya a réalisé un parcours sans faute pour améliorer l’inclusion financière en Afrique.
Opérant depuis Nairobi, où l’African Guarantee Fund (AGF) a son siège, cet Ivoirien a fi ni par avoir gain de cause. Nommé en 2011 directeur général du Fonds africain de garantie (AGF), une structure créée par la BAD (Banque africaine de développement) dans le but de soutenir les PME, Félix Bikpo, 50 ans, s’est battu tout au long de sa longue carrière de banquier – après des études à l’Essec Paris et un passage au cabinet Arthur Andersen – pour que les patrons de PME puissent accéder à des prêts bancaires garantis.
« Les PME sont largement reconnues comme l’un des principaux moteurs de croissance, d’innovation, de développement régional et de créations d’emploi. Un secteur des PME fort et dynamique constitue une solide fondation pour améliorer les conditions de vie et lutter efficacement contre la pauvreté », avait-il rappelé, en février 2015, lors de l’annonce à Abidjan du « partenariat stratégique » qu’AGF a conclu avec la BRVM, la Bourse régionale des valeurs mobilières, en vue de faciliter l’accès des PME au marché financier régional. A priori, rien ne prédestinait ce « matheux » dont le père était administrateur en Côte d’Ivoire, aux métiers de la banque, si ce n’est son amour de l’audit et des montages financiers.
Le recours à la Bourse afi n de drainer de l’épargne publique vient couronner ses efforts pour que les PME soient mieux dotées en fonds propres ou qu’elles puissent s’endetter pour investir grâce à l’octroi de garanties accordées aux banques africaines. En échange, ces dernières, qui sont souvent frileuses, doivent consentir des taux d’intérêt « compris entre 12 % et 15 % » et, surtout, « renoncer à demander plus de 100 % de collatéral », comme il est encore trop souvent le cas vis-à-vis des PME. « Ce ne sont pas les ressources fi nancières qui manquent en Afrique, mais les compétences pour éplucher les dossiers, évaluer le risque réel et fi nancer un segment de l’économie encore ignoré à cause du poids de l’informel », martèle le patron d’AGF. Fondé par la BAD, en partenariat avec l’Agence danoise pour le développement international (Danida) et l’Agence espagnole de coopération pour le développement international (Aecid), le Fonds qu’il dirige a reçu pour mission de soutenir les institutions financières qui souhaitent élargir leur engagement sur les PME. Il octroie également de l’assistance technique en plus de garanties partielles incluant la prise en charge de la moitié (50 %) des pertes que les banques pourraient subir en cas de non-remboursement des prêts octroyés aux PME.
Accroître l’offre financière
Pour cet ancien dirigeant de Citibank – où il a passé sept ans (de 1993 à 1999) comme directeur régional du contrôle fi nancier pour l’Afrique noire francophone, puis comme vice-président –, le déclic vis-à-vis des PME s’est produit quand il a été envoyé en mission au Brésil et en Argentine. « Avant d’émerger, ces pays étaient dans des situations pires que l’Afrique. Ce qui prouve bien que, chez nous aussi, le challenge est de permettre à nos PME d’avoir accès aux fi nancements habituellement réservés aux grosses entreprises… », reconnaît-il. Une idée qui n’a cessé de le tarauder depuis, car l’élargissement de l’off re de prêts signifi e que les conditions de financement vont s’assouplir d’elles-mêmes au fur et à mesure que les PME seront incluses dans les circuits bancaires. Malheureusement, l’aversion au risque est tellement ancrée, notamment en Afrique francophone, qu’elle rend difficile la levée de ces goulots d’étranglement, d’autant que les marchés africains sont encore étroits. « Je reste, néanmoins optimiste, clame Félix Bikpo, car je ne vois pas pourquoi – si on y travaille – il ne serait pas possible en Afrique de débloquer cette situation, puisque cela s’est produit ailleurs dans le monde ».
Après Citibank, il rejoint à Lomé le groupe Ecobank, avant de créer, dans les années 2000, le groupe Atlantique qu’il a, très vite, fait rayonner dans toute la sous-région grâce à l’ouverture de sept filiales. « Une belle aventure », se souvient-il. Il est un fin connaisseur de la Cedeao, qu’il a parcourue dans tous les sens pour accom-pagner et promouvoir l’investissement privé, du temps où il présidait aux destinées du Fonds de garantie des investissements privés en Afrique de l’Ouest (GARI). Par la suite, il a mis son expertise au service d’Access Bank Group qu’il a contribué à propulser dans le Top 5 des groupes bancaires au Nigeria. En tant que directeur général d’Access Pan Africa, la holding financière, il s’est employé à développer l’implantation d’Access Bank en Côte d’Ivoire, en Sierra Leone, au Rwanda, en RD Congo, en Gambie, en Zambie, ainsi qu’au Royaume-Uni, permettant, ainsi, d’accroître les activités intra-régionales du groupe au-delà des frontières et marchés nationaux.
De la BAD aux PME
Pourtant, malgré les « grosses » lignes de crédit qu’il a eu à gérer au Nigeria, il n’a jamais réussi à signer un seul dossier en faveur d’une entreprise de taille modeste. La raison ? « Souvent à cause de la manière dont les demandes des PME sont présentées, car les dirigeants de ces entreprises manquent d’expertise financière. Ce qui suscite de la méfiance de la part des banquiers », regrette-t-il. Aussi, c’est avec une « immense satisfaction » qu’il a accueilli la proposition de la BAD de constituer un Fonds dédié permettant d’amener « du confort » à ces PME dans leur recherche de financements productifs. « J’ai dit oui tout de suite à la BAD, car je pense être l’homme qu’il faut pour parvenir à drainer de l’épargne de collecte vers les PME».
En juillet 2014, il a accordé à ABI (Banque Atlantique) une ligne de 7,5 milliards de F.CFA destinée à garantir le financement des PME dans sept pays africains. S’y est ajoutée, comme à chaque fois, une assistance technique destinée à développer de nouveaux produits pour les PME. Des opérations phares qu’il a poursui-vies en 2015 avec le financement de plusieurs lignes de garantie dans toutes les régions du continent permettant, ainsi, à AGF « de se faire connaître ». Le succès n’a pas tardé : « En huit mois, nous avons réussi à faire débloquer, avec nos 200 millions $ de garanties émises, près de 400 millions d’octrois de prêts à quelque 400 PME », se réjouit-il.
Parmi les 40 banques bénéficiaires, il cite Ecobank et la Diamond Bank nigériane, numéro 1 par le volume de garanties, ainsi que plusieurs groupes bancaires en Afrique australe comme Zanaco, mais aussi BGFI en Afrique centrale et Attijariwafa bank en Afrique de l’Ouest. Sans compter toute une série de petites banques appelées « Tiers » qui représentent une importante courroie de transmission pour le financement des PME. « Notre première garantie – numéro 00001 – a été consentie à Orabank pour un prêt à une PME spécialisée dans la distribution », se souvient le directeur général d’AGF. Mesurant le chemin parcouru et celui qui lui reste à accomplir au vu de l’énormité de la tâche, il affirme ne pas craindre la concurrence : « Au contraire, je l’appelle de mes voeux tant il y a à faire. Le besoin de financement des PME africaines est estimé à plus de 140 milliards $ !».
D’où la nécessité d’une montée en puissance d’AGF à partir de cette croissance exponentielle. Pour se faire, sa stratégie consiste à élargir son portefeuille de partenaires dont certains, prestigieux, comme Swedish International Development Cooperation Agency, African Trade Insurance Agency (ATI), Development Credit Authority (DCA) et, plus récemment, Nordic Development Fund (NDF). Actuellement, les Danois sont à 50 % au capital d’AGF. Les Espagnols, eux, ont suivi avec 30 %. Grâce à cette diversification, Félix Bikpo estime qu’AGF sera mieux en mesure de jouer son rôle de fonds régional et d’assurer la coordination entre tous les partenaires au développement. « Les visions stratégiques ne sont pas toujours convergentes, reconnaît-il, mais nous travaillons sur des acquisitions et, notamment, d’autres Fonds dédiés aux PME».
Une chose, en tout cas, est certaine : lui, Félix Bikpo, ne bougera plus jusqu’à ce qu’AGF ait atteint sa vitesse de croisière ! « La taille idéale est de 1 milliard $ d’ici à dix ans, confie t-il, ce qui pourrait permettre de garantir quelque 6 milliards$ de prêts à 20 000 PME en Afrique». Un vrai challenge ! En attendant, le banquier ivoirien engrange ses bénéfices en prévision de la création de nouvelles filiales d’AGF à Abidjan, Douala, Casablanca et Johannesburg. Des bénéfices qui, dit-il, seront placés sur les marchés financiers et bancaires africains et les Bourses internationales, « afin de diversifier le risque».