Dossier : Le made in Sénégal qui s’exporte
Abdou Souleye Diop
Associé gérant de Mazars Maroc : L’exemple marocain est pertinent
La stratégie marocaine d’intégration régionale en Afrique subsaharienne a porté ses fruits. Un modèle pour le Sénégal dont l’économie s’apparente beaucoup à celle du Maroc d’il y a 20 ans, considère Abdou Souleye Diop.
Depuis quand la filiale marocaine de Mazars s’intéresse-t-elle à l’Afrique ?
Cela s’est fait par étapes… Quand j’ai intégré la société d’audit et de conseils, en 1992, avant de gravir un à un tous les échelons jusqu’à être élu associé gérant de Mazars Maroc par mes pairs, les entreprises marocaines étaient réticentes à se déployer en Afrique subsaharienne.
Cette Afrique-là avait mauvaise réputation. Puis, à partir des années 2000, la Royal Air Maroc et quelques grands groupes de banque et d’assurance ont commencé à sérieusement s’y intéresser. La pénétration s’est faite par cercles concentriques : d’abord l’Afrique de l’Ouest puis l’Afrique centrale et, maintenant, de plus en plus l’Afrique de l’Est anglophone.
Après s’être surtout implantées dans des pays francophones proches du Maroc, le Sénégal et la Côte d’Ivoire notamment, les entreprises marocaines n’hésitent plus à aller aussi loin que l’Éthiopie ou le Rwanda.
Cette pénétration a-t-elle suivi le même schéma ?
Là aussi, les choses ont évolué au fil des années puisque, désormais, de plus en plus de PME veulent aller dans des pays africains là où, auparavant, seules des entreprises d’une certaine taille osaient se risquer.
Chez Mazars Maroc, nous avons suivi cette même évolution, passant de 30 à 160 employés au fur et à mesure que le groupe, qui est présent dans 90 pays sur la planète, s’implantait en Afrique. Actuellement, plus de 2 500 personnes travaillent dans les 25 pays africains où nous sommes représentés.
Aujourd’hui, le Maroc est le premier investisseur dans la zone Uemoa, le deuxième en Afrique de l’Ouest grâce, surtout, aux services, qui ont longtemps constitué l’essentiel de la demande.
On assiste à un approfondissement de la présence marocaine sur ces marchés ; de plus en plus d’activités industrielles se délocalisent pour créer une forte valeur ajoutée.
Les phosphates au Nigeria et en Éthiopie, pays où une biscuiterie marocaine a également été implantée, la pharmacie en Côte d’Ivoire et au Rwanda, un gazoduc au Nigeria, Bénin, Togo, Sierra Leone, Sénégal, en sont autant d’exemples.
Quelle a été la contribution de Mazars dans la nouvelle vision du souverain chérifien vis-à-vis de l’Afrique et l’offensive diplomatique qui s’est ensuivie ?
J’ai pu développer une expertise africaine pendant plus de 20 ans, en plus de bien connaître l’économie marocaine. Depuis deux ans, je préside la commission Afrique et Sud-Sud de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM).
Ce qui m’a amené à beaucoup m’impliquer dans la préparation des tournées royales à travers, notamment, l’organisation de forums économique jusqu’à la signature de conventions et la mise en oeuvre opérationnelle.
En plus d’accompagner les entreprises marocaines dans la maturation de leurs projets africains, je milite par mes écrits depuis trois ans par pour que le Maroc intègre la Cedeao. Après le retour du Maroc dans l’Union africaine, il faut maintenant que le Royaume devienne membre à part entière de cet espace économique.
Être le « Monsieur Afrique » du Maroc ne comporte-t-il pas un risque, en ce qui vous concerne ?
Si la présomption de légitimité vient du fait que je suis Sénégalais, alors oui j’étais tout désigné pour devenir le «Monsieur Maroc-Afrique », compte tenu aussi de mon expertise ! En tant que Subsaharien installé depuis longtemps au Maroc, je n’ai jamais eu à subir, pour ma part, de racisme quel qu’il soit puisque j’ai grandi et suivi mes études dans ce pays.
Le rejet des Subsahariens au Maroc, comme dans le reste du Maghreb d’ailleurs, vient souvent du fait qu’il s’agit d’une population de migrants peu intégrée et peu éduquée, le plus souvent en transit pour aller en Europe et qui est perçue, du coup, comme susceptible d’amener des troubles à l’ordre public.
Or, avec l’évolution actuelle du Maroc, en une phase de développement accéléré, il faut s’attendre à ce que l’immigration augmente. Le pays étant de plus en plus perçu comme un îlot de prospérité, les migrants subsahariens sont aussi plus nombreux à vouloir rester.
Il est donc nécessaire de prendre les mesures adéquates pour faire accepter ces populations par les Marocains qui sont amenés à cohabiter avec eux.
À ce titre, je salue les deux vagues de régularisation décidées par le gouvernement chérifien qui ont permis, compte tenu des besoins grandissants de main-d’oeuvre dans le Royaume, d’intégrer nombre de Sénégalais avec d’autres subsahariens dans les secteurs du bâtiment ou bien dans les nombreux call centers du Maroc.
Le modèle marocain d’industrialisation est-il un exemple à suivre pour le Sénégal ?
Le Maroc a acquis une compétence industrielle incontestable. Il est le leader mondial dans le domaine des fertilisants avec OCP.
Parmi les autres champions marocains, on trouve les grandes banques et des groupes d’assurance partis, depuis longtemps, à la conquête du continent.
Le Maroc exporte également son industrie agroalimentaire dans un continent où moins de 20 % des produits agricoles sont transformés. Dans ce secteur, on trouve des groupes marocains dans les jus, le couscous, les pâtes ou les agrumes.
De même dans l’industrie électrique et, notamment, l’électrification rurale qui s’exporte partout sur le continent ou, plus récemment, dans la production automobile ou encore dans la pharmacie.
En tant que principaux marchés mais aussi sous-traitants des groupes marocains, les pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre sont tous embarqués dans cet écosystème. Même si c’est à des degrés divers.
À la CGEM, nous veillons à ce qu’une dynamique de transferts de technologie s’enclenche chaque fois que des entreprises marocaines s’installent en Afrique. Le Sénégal, bien sûr, est aux premières loges de ce processus d’industrialisation, compte tenu de ses liens culturels très forts avec le Maroc.
Nombre de groupes marocains y sont implantés depuis longtemps et emploient ou font travailler beaucoup de Sénégalais ainsi que des entreprises locales pour l’exécution des travaux.
Prenez des groupes immobiliers marocains comme Alliance, Adoha, Palmeraie ou Marcom ; ils ont très peu d’expatriés dans tous les pays africains où ils construisent, préférant privilégier l’expertise locale dans le recrutement de leurs cadres.
On dit parfois que le Plan Sénégal émergent (PSE) est un copié-collé du plan McKenzy pour le Maroc d’il y a 20 ans…
Pas exactement un copié-collé, mais si on compare le Sénégal au Maroc, on se rend compte que les enjeux sont les mêmes. Sauf qu’il faut tout diviser par trois (superficie, population, PIB, etc.) pour avoir les proportions sénégalaises…Et, surtout, le Sénégal a les mêmes problématiques que le Maroc d’il y a 20 ans : une population jeune, essentiellement rurale, avec pas ou peu de ressources naturelles et une industrie surtout développée dans les services et le tourisme, etc.
Bref, il n’était pas surprenant que nous cherchions à expérimenter les mêmes solutions. De surcroît, le PSE, tel que présenté en février 2014 par le président Macky Sall aux bailleurs de fonds, est différent du master plan élaboré par McKenzy.
Il a, entre-temps, été revu par une équipe de développeurs sénégalais (Disso) ainsi que par la structure en charge de sa mise en oeuvre.
En tout état de cause, ce qu’il faut retenir, c’est que le PSE est une orientation pour relever divers défis. En premier lieu, la transformation de la gouvernance, que ce soit dans la gestion des affaires publiques comme dans le suivi des performances, les sanctions et les récompenses ou encore la qualité des services.
Puis de répondre à des enjeux opérationnels : l’intégration régionale d’abord et la mise en place de politiques régionales de développement.
Le Sénégal ne pourra pas se développer tout seul ! Il faut ensuite s’atteler à la transformation des produits agricoles afin d’ajouter de la valeur locale ce qui suppose une industrialisation à marche forcée.
Et, quatrièmement, développer les infrastructures car, sinon, le reste ne sera pas possible. Le Maroc y est parvenu et peut donc, désormais, mettre l’accent sur la réduction des inégalités dans sa population.
N’y aurait-il pas encore des améliorations à faire notamment en matière d’intégration régionale au Maghreb ?
Un marché intégré du grand Maghreb n’est pas réalisable, pour l’instant. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Maroc s’est résolument tourné vers l’Afrique de l’Ouest et du Centre il y a dix ans.
N’oubliez pas que c’est le Maroc qui a construit la route Nouadhibou-Nouakchott afin de se relier à l’Afrique noire. Il s’est ainsi donné les moyens – le long d’un axe Tanger-Dakar – d’avoir une continuité territoriale avec les pays de l’Uemoa et de la Cedeao.
On peut donc parler de pré-intégration régionale qui va au-delà de l’UMA (Union du Maghreb arabe). Le modèle marocain est bon pour l’Afrique parce que les défis sont à peu près partout les mêmes.
Le déficit de ressources, en ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, est aussi le même. Il n’en reste pas moins que le Maroc a réussi à décoller. Je ne vois pas pourquoi le Sénégal, à l’instar de tous les autres pays francophones un peu diversifiés comme la Côte d’Ivoire ou le Cameroun, ne pourrait pas en faire autant !
Encadré
Parcours
Installé au Maroc depuis 1986, Abdou Souleye Diop rejoint Mazars en 1992, après des études à l’Iscae d’où il sort avec un diplôme d’expert-comptable. Il passe associé de la firme d’audit en 2003 puis est élu associé gérant en février 2017.
De 2006 à 2013, il préside l’Association des ressortissants sénégalais résidant au Maroc. Son expertise de l’accompagnement des entreprises marocaines l’a également propulsé à la tête de la commission Afrique et Sud-Sud de la CGEM qu’il préside depuis 2015. Il a été, à ce titre, au coeur de l’offensive diplomatique marocaine sur le continent, accompagnant le Roi dans ses différents déplacements en Afrique.