Des emplois verts pour les femmes

La transformation économique offrira-t-elle aux femmes une mobilité sous la forme d’emplois mieux rémunérés et plus stables ? Sans doute, à condition que les pays adoptent des politiques et des programmes forts pour y parvenir, conclut un rapport publié par ONU-Femmes et la BAD.
Par Laurent Soucaille
Les femmes sont bien placées pour bénéficier des emplois bas de gamme qui seront créés, mais pas des emplois les mieux rémunérés. Telle est la principale conclusion du rapport Emplois verts pour les femmes en Afrique, qui s’intéresse à l’effet pour les femmes des investissements actuels dans l’énergie renouvelable, les infrastructures et les transports.
En Afrique subsaharienne, 64% des femmes travaillent contre 74% des hommes. Pourtant, 80% de ces femmes ont des emplois jugés vulnérables, contre 67% des hommes. Enfin, près de 90% des emplois féminins sont dans le secteur informel, tandis que les femmes exercent trois fois plus d’activités non rémunérées que les hommes.
Un constat en apparence décevant, et ce, en dépit du rôle indéniable que jouent les femmes africaines dans l’économie et dans la gestion du changement climatique au sein de leur communauté.
Le rapport ne se contente pas d’un constat lucide, il émet aussi une série de recommandations pour échapper à la fatalité.
Oulimata Sarr, directrice d’ONU Femmes pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, explique : « Certains des obstacles auxquels les femmes sont confrontées pour accéder aux emplois verts dans l’énergie, les infrastructures ou l’économie circulaire sont ancrés dans les normes sociales et changer ces dernières prend du temps. »
Elle estime que l’Afrique se trouve « à un moment d’accélération ». Aussi « devons-nous agir maintenant pour s’assurer que la transition vers l’économie verte dans la région ne laisse pas les femmes et les filles pour compte ».
Parmi les contraintes auxquelles les femmes sont confrontées figurent la ségrégation entre les sexes dans l’éducation et l’emploi, le manque d’accès au travail dans le secteur formel, les besoins de financement endémiques, ainsi que les normes sociales qui font que les femmes doivent assumer la majeure partie des soins non rémunérés.
Des politiques appropriées
Vanessa Ushie, pour la BAD, rappelle combien « les femmes jouent un rôle essentiel dans la gestion des ressources naturelles de l’Afrique et dans le renforcement de la résilience au changement climatique dans nos communautés locales ».
C’est pourquoi, par exemple, les crédits carbone permettent de récompenser les femmes pour le rôle capital qu’elles jouent dans la protection des mangroves, des forêts et d’autres écosystèmes essentiels à la séquestration du carbone et à la durabilité environnementale.
Le rapport recommande donc des politiques et des programmes publics « appropriés ». À court terme, les politiques qui encouragent les femmes et les préparent à de nouveaux emplois verts maximiseront les gains rapides dans des secteurs tels que l’agriculture ou le tourisme.
Il est donc possible de renforcer les capacités et les qualifications nouvelles là où les femmes sont déjà bien positionnées. À plus long terme, il faut se tourner vers les secteurs plus « masculins », comme l’énergie, la construction et les transports, pour éliminer les obstacles structurels.
Les gains seront lents, dans les décennies à venir. « Les gouvernements et les défenseurs de cette vision peuvent profiter immédiatement de l’élan réformiste de la relance
post-Covid-19 », observe le rapport ONU Femmes.
À elles seules, les politiques visant à la transition énergétique ne suffiront pas à donner leur place aux femmes. Il faut donc des réformes structurelles fortes, par exemple dans la promotion des femmes dans les sciences, la technologue, l’ingénierie et les mathématiques.
Ce qui suppose « des investissements et un leadership solide » de la part des pays africains, reconnaissent les auteurs du rapport. La crise sanitaire a montré l’urgence d’une requalification des compétences ; l’opportunité et la prise de conscience sont donc au rendez-vous.
Dans les secteurs dominés par des hommes, la constitution de réseaux de femmes peut aider à l’amélioration des choses, en encourageant les modèles féminins.
Bien sûr, les démarches en faveur de l’économie formelle vont dans le bon sens, notamment dans l’agriculture, la sylviculture, le traitement des déchets, et, dans une moindre mesure, le tourisme. Il faut donc soutenir les coopératives, investir dans la recherche et l’innovation, décider de mesures incitatives en faveur de la formalisation, développer des produits financiers spécifiques, etc.
L’État doit montrer l’exemple
Bref, il est crucial de s’attaquer aux normes sociales et d’améliorer l’environnement propice à la participation des femmes à l’économie verte. Au-delà des changements de mentalité, il est nécessaire d’éliminer des obstacles juridiques afin de garantir des droits égaux aux femmes devant la propriété, les successions, le droit du travail (lutte contre le harcèlement), les libertés individuelles et financières, etc.
Dans tous ces domaines, l’exemplarité, la communication sociale, sont de précieux leviers. La participation des garçons, des hommes, y compris des chefs traditionnels, à ce processus doit être encouragé.
Parmi les mesures incitatives, figurent les initiatives de passation des marchés publics verts et durables. En « écologisant » leurs processus d’approvisionnement, les gouvernements peuvent contribuer de manière substantielle à un environnement plus propre et plus vert.
Le rapport cite des exemples au Kenya, au Sénégal, en Afrique du Sud, où l’accès préférentiel accordé aux femmes, dans certains marchés publics, a porté ses fruits. Les instruments incitatifs doivent être généralisés, tandis que les subventions aux énergies fossiles doivent être abandonnées.
Les projets de financement climatique vert, par exemple, peuvent stipuler des objectifs pour l’emploi des femmes. Quant aux crédits carbones, ils ont leur utilité dans les secteurs où les femmes travaillent déjà en nombre, comme la plantation d’arbres, la gestion des déchets, etc.
Enfin, l’investissement nécessaire dans les services de santé aura un effet induit bénéfique : réduire le temps passé des femmes dans les « soins non rémunérés » auprès de leurs enfants, notamment. Charge aux États, désormais, à mieux exprimer leurs besoins et leurs propositions, conclut le rapport.
@LS
Rapport et résumé sur africa.unwomen.org