Burkina Faso : Ousséni Tamboura, vice-président du Parlement
Juriste, expert du marché de l’emploi, Ousséni Tamboura vient d’achever une thèse sur le financement du secteur privé dans l’espace Uemoa. Il préconise le renforcement des marchés financiers, face à l’abondante liquidité inemployée.
Propos recueillis par Tiégo Tiemtoré
Peut-on dresser un portrait-robot des entreprises ouest-africaines?
Le secteur privé ouest-africain, voire africain, est depuis deux décennies, reconnu comme le principal moteur de développement et de croissance du continent. Mes recherches ont essayé de caractériser ce secteur privé. J’ai noté qu’il était composé d’entreprises de la métropole « tropicalisées » très peu nombreuses et devenues, plus tard, membres ou filiales de groupes, d’entreprises d’État puis privatisées. Il est également composé d’entreprises privées stricto sensu sous la forme de grandes entreprises et de PME – comptant peu d’industries – . Enfin, d’une population d’entreprises privées constituée de millions de micro et petites entreprises logées majoritairement dans ce que nous avons convenu d’appeler le secteur informel.
Quels sont les principaux écueils à leur financement ?
Sur les vingt dernières années, les crédits servis à l’économie sont majoritairement de court terme finançant les découverts, les escomptes et les crédits de campagne…, les crédits à long terme, au lieu de financer le véritable investissement, misent sur l’habitat, tandis que les quelques crédits à moyen terme, eux, sont consacrés à des projets d’investissement nécessairement de modeste envergure.
Au total, le secteur privé dans sa majorité réelle ne peut accéder au financement de l’investissement. La première explication réside donc dans la nature anti-croissance de l’offre de crédit, malgré les importants besoins dans cette région. Le second écueil est l’inaccessibilité des marchés financiers par la majorité des entrepreneurs africains ; en cause, le faible développement des marchés financiers sur le continent, mais aussi le faible développement de la bonne gouvernance des entreprises. Enfin le troisième écueil, et de loin le plus important, est l’incapacité du système bancaire ouest africain à se métamorphoser pour se hisser au défi du financement du privé dans son contexte local.
Vous soulignez que les importants besoins de financement de l’Afrique s’accompagnent d’une surliquidité bancaire. Comment expliquer ce paradoxe ?
En effet, tous les acteurs financiers et économiques de l’Uemoa peuvent établir ce constat ; d’autres espaces régionaux dans le monde, comparable en certaines de leurs conditions macroéconomiques au sous-continent ouest-africain, développent une meilleure accessibilité de leur secteur privé au financement. J’observe des obstacles structurels quasiment insurmontables, sauf si une volonté suivie d’actions « révolutionnaires » venait à bouleverser l’infrastructure bancaire et financière en Afrique de l’Ouest.
Le premier facteur explicatif est la réglementation bancaire d’origine coloniale et d’inspiration française, et qui malgré l’africanisation des mécanismes institutionnels, a conservé et pérennisé des réflexes de financement d’économies rentières à moindre risque. Le deuxième facteur, lié naturellement au premier, est que le coût du crédit est élevé et inadapté – on note très peu de spécialisation.
Le troisième facteur structurel réside dans la faiblesse du « patrimoine immatériel de l’entrepreneur ouest africain », entendu comme les compétences, la réputation, les références, la bonne gouvernance y compris l’éthique, la comptabilité, les brevets, la qualité des ressources humaines autres que l’entrepreneur lui-même… ; or, par coïncidence malheureuse mais compréhensible, tout le système de garanties aux crédits et du recouvrement est bâti sur le patrimoine matériel de l’entrepreneur.
Faut-il alors aller au-delà de la réglementation bancaire classique?
J’ai constaté que pour les pays de l’Uemoa, les systèmes juridiques dans le secteur bancaire et financier sont, pour l’essentiel, encore très prudentiels et incomplets ; ils fragilisent le secteur privé quant à l’accès à un financement important et de moyenne ou de longue durée. Pour comprendre les fondements et les objectifs de l’industrie bancaire dans l’espace Uemoa, il faut savoir partir de l’histoire de la Zone franc, de ses Banques centrales et de leur délocalisation (ou leur retour) en Afrique. La Zone franc a-t-elle vraiment opéré la mue pour prendre en charge le développement du secteur privé, quand on sait que les banques d’après les indépendances étaient des entreprises publiques ou des filiales des banques françaises ?
Ce n’est que ces dix dernières années que nous avons des banques purement africaines (capitaux marocainsn nigérians, et privés nationaux), et cela ne sera pas suffisant à rendre le crédit massif, adapté et accessible.
Dans tout domaine, la recherche d’un but doive guider le choix des moyens ! Si par exemple on veut financer nos économies, il faut élaborer des lois bancaires et financières non pas dans l’esprit d’une métropole et ses colonies à régir ; mais élaborer la réglementation bancaire et financière dans un état d’esprit de souveraineté qui ne vise que le développement économique de nos États, sans vouloir ménager un pays tiers dont les objectifs économiques sont loin d’être compatibles avec les nôtres.
De façon précise, il faut encourager et faciliter la création de nombreuses banques locales en abaissant le niveau de capital requis, en renforçant en contrepartie, la surveillance bancaire, introduire le droit et la bonne gouvernance dans la majorité des entreprises du secteur privé, développer le financement des PME par des prises de participations au lieu du crédit classique, développer les banques publiques d’investissement pour financer les besoins des acteurs économiques comme les collectivités et les entreprises publiques, les exportations, les fusions et les acquisitions d’entreprises par des résidents, les start-up des jeunes, en se fondant uniquement sur le patrimoine immatériel de l’entrepreneur et non les garanties matérielles ou personnelles.
Vous invitez le secteur bancaire ouest africain à s’inspirer du modèle allemand, le HausBank. Pourquoi ?
En général, les systèmes financiers sont, soit « orientés banque », soit « orientés marché ». Les pays de l’Uemoa, et dans une moindre mesure la France, ont leur système financier « orienté banque », au contraire des pays anglo-saxons qui ont leur système financier « orienté marché ». Dans les systèmes financiers des pays de l’Uemoa, les marchés financiers jouent un rôle moins important dans le financement des entreprises que les banques. Pendant longtemps encore, les banques constitueront une source importante de financement des entreprises. Elles ont les capacités financières requises et le développement des marchés financiers reste encore timide dans la région. Ainsi donc, toute proposition de solutions au problème d’accès au financement, du moins à moyen terme, devra intégrer la participation des banques.
Je recherchais une solution purement managériale, à la portée des dirigeants de banques de l’Uemoa, si tant est qu’augmenter le financement des entreprises est une de leur priorité. C’est dans la recherche d’une telle solution, qui n’exigerait aucune réforme législative au préalable, ni aucune autorisation de l’autorité de contrôle des activités bancaires, que j’ai interrogé le système de financement allemand, réputé l’un des plus solides en Europe.
Le rôle tenu par les banques en Allemagne – notamment dans le financement des PME – est généralement caractérisé par le système de la relation privilégiée entre l’entreprise et le banquier prêteur. La plupart des PME allemandes établissent leurs relations d’affaires en accordant la priorité à une seule banque (notamment la banque de « la première heure »), qui effectue la plus grande partie des transactions bancaires et qui, en contrepartie, accorde un traitement privilégié et s’engage à long terme vis-à-vis de ses clients fidèles. Le principe de la banque principale ou Hausbank repose sur le principe des relations étroites et la collaboration suivie et constante entre une entreprise et une banque qui, souvent, gère également les avoirs privés des propriétaires ou des partenaires de cette entreprise.
A contrario, dans les pays de l’Uemoa, du point de vue du droit et de la science bancaire, la relation banque-entreprise est dominée par « la banque à l’acte » qui est assimilée à une banque à l’adhésion en comparaison au contrat d’adhésion, où un des cocontractants, en l’occurrence dans ce cas-ci, l’entreprise, est moulée dans des dispositions préétablies.