Aliko Dangote, le plus riche d’Afrique

Rares sont ceux qui incarnent mieux la croissance africaine que le Nigérian Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique. Avec une fortune personnelle estimée à 18,3 milliards $, il est devenu — tout comme son groupe — synonyme de réussite en Afrique.
Fondé en 1981, Dangote Group est devenu un conglomérat diversifié, développant des activités dans l’agroalimentaire, le pétrole et le gaz, l’immobilier, la logistique et la finance. Basé au Nigeria, le groupe a entrepris une expansion panafricaine offensive.
Dernier pays en date où il s’implante, le Zimbabwe, où Dangote a le projet de construire une cimenterie, pour 400 millions $. En juin, il a inauguré une grande cimenterie dans la capitale éthiopienne, Addis Abeba, et a prévu d’investir 150 millions $ dans une nouvelle usine au Cameroun. Ces investissements s’ajoutent à ceux réalisés au Sénégal, au Kenya, au Liberia, en Afrique du Sud, en Tanzanie, en Sierra Leone…
Il y a bien des améliorations ici et là. S’il y a encore du chemin à faire, nous faisons des efforts pour y arriver.
Une expansion aussi ambitieuse en 2015 a de quoi surprendre. L’effondrement du prix du pétrole et le ralentissement de l’économie chinoise ont frappé de plein fouet l’économie africaine. Le FMI prévoit en 2015 une croissance de 4,4 % dans les 48 pays subsahariens, un chiffre inférieur à la moyenne régionale de ces dernières années (plus de 5 %).
Le Nigeria – première économie d’Afrique – ne fait pas exception. Une croissance de 4,8 % est prévue cette année, contre 6,3 % en 2014. Premier producteur et exportateur africain de pétrole, Lagos a été particulièrement touché par la chute du prix du baril. Avec des exportations qui représentent 70 % des recettes de l’État et la quasi-totalité des revenus en devises, certains sont allés jusqu’à dire que le pays était « ruiné ».
Aliko Dangote, qui s’exprime d’un ton mesuré, mais déterminé, ne se laisse pas impressionner par cette rhétorique : « On exagère beaucoup. Tout ce qui a trait au Nigeria suscite une grande méfiance. »
L’homme d’affaires fait allusion au changement de Président cette année. En mars, le candidat de l’opposition, Muhammadu Buhari, a remporté l’élection face au Président sortant, Jonathan Goodluck, avec 15,42 millions de voix contre 12,85 millions en faveur de Jonathan. C’est la première fois qu’un Président subit une défaite électorale au Nigeria, et cela a créé l’espoir que le nouveau gouvernement incarne un changement positif. Pour Aliko Dangote, cela ne fait aucun doute. Selon lui, le président Buhari, en comparaison du gouvernement précédent, c’est « le jour et la nuit ».
« L’économie a été mal gérée », ajoute-t-il, en insistant sur les volumes colossaux de pétrole vendus chaque jour au marché noir. Au total, 500 000 barils par jour ont disparu ces dernières années, représentant une perte qui se chiffre en milliards de dollars. « C’était un fait bien connu, mais il n’y avait personne pour y mettre fin. » L’industriel est convaincu que le nouveau gouvernement va s’attaquer à ce problème. « J’ai confiance en eux et je crois qu’ils prendront les bonnes mesures », poursuit Dangote, citant l’exemple de la décision récente du président Buhari de déclarer ses biens. Et surpris par le peu de richesses que détient le Président (un seul compte en banque où sont déposés 150 000 $). « Ce sont des gens très honnêtes », affirme-t-il.
Le modèle d’un groupe diversifié
Au-delà du changement de Président, Aliko Dangote soutient qu’une bonne compréhension de l’économie du pays est nécessaire pour analyser correctement la signification du déclin des prix pétroliers : « Il est vrai que le prix du baril a diminué de moitié mais, pour autant, le Nigeria est très dynamique. ». Bien que le pétrole soit la principale source de revenus en devises du pays, le secteur agricole représente plus de 30 % du PIB, bien plus que le secteur pétrolier. D’autres segments, tels que les télécommunications – le Nigeria est le plus vaste marché de téléphonie mobile d’Afrique – les services financiers et le commerce de détail, jouent un rôle important dans l’économie depuis le début des années 2000.
Nulle part ailleurs qu’en Afrique, on ne peut obtenir des retours sur investissement aussi élevés
Loin de constituer une menace pour l’économie, le recul du prix de l’or noir pourrait même représenter une opportunité : « Ce pourrait être une bénédiction pour le Nigeria, car ce repli des cours nous contraindra à prendre plus au sérieux la diversification de l’économie. » Aliko Dangote tient à diversifier sa société, à l’origine réputée pour sa seule activité dans le ciment. Le groupe est actif dans l’agroalimentaire, la finance et l’immobilier. L’augmentation du chiffre d’affaires n’est pas le seul moteur de la diversification, explique-t-il. « Nous devons réfléchir aux moyens de diversifier l’économie », souligne-t-il. « Nous étudions cette question pour notre conglomérat, en espérant que d’autres se joindront à nous. » Il mentionne des projets qui, selon lui, auront de vastes répercussions sur l’économie nigériane.
Parmi eux, figure un gazoduc de 550 km qui relierait la région du delta du Niger, au sud-est, où la production pétrolière est importante, à la capitale commerciale Lagos. Dangote Group estime à 12 000 MW le potentiel de production d’électricité de ce gazoduc – soit plusieurs fois la puissance installée du pays. Le groupe construit également une grande raffinerie pour traiter localement le pétrole brut et résoudre le problème des pénuries chroniques de carburant dans le pays. « Ces projets à eux seuls contribueront à forger et à transformer l’économie du Nigeria », estime Aliko Dangote.
Les entreprises des autres pays d’Afrique sont aussi confrontées à la nécessité de se diversifier et les ambitions d’expansion de Dangote vont de pair avec son désir de voir des progrès économiques non seulement dans son pays, mais partout en Afrique. « Nous nous efforçons de participer à la transformation de l’économie africaine… Nous, les Africains, nous n’investissons pas réellement dans notre économie, et les autres ne vont pas venir transformer notre économie pour nous », poursuit-il.
Pour le moment, les activités hors du Nigeria sont limitées à la production de ciment, « un secteur que nous connaissons très bien. Nous finirons par maîtriser aussi les autres secteurs, mais nous devons au préalable les consolider davantage ». Alors qu’il est convaincu que les entreprises vont jouer un rôle crucial dans le développement économique du continent, Aliko Dangote insiste sur le fait qu’il est indispensable que les gouvernements appuient les entreprises. « Le secteur privé ne pourra pas stimuler l’économie sans la coopération du gouvernement. Il doit mettre en oeuvre des politiques qui suscitent l’intérêt des investisseurs. » Plus que tout, il faut une action plus concertée pour renforcer les institutions : « C’est l’un des domaines où nous sommes à la traîne. Les institutions sont très, très importantes. Personne ne va investir dans un pays qui n’est pas un État de droit. »
Il est également catégorique sur la question de l’intégration régionale. Le commerce intra-africain représente moins de 15 % du commerce africain, et constitue donc un immense potentiel inexploité. « C’est ce que je dis à chaque fois que je rencontre un Président. Nous devons avancer sur le plan de la libre circulation des biens et services au sein de l’Afrique ; nous faisons partie du même continent, mais je ne sais pas si nous nous faisons réellement confiance…»
Malgré le nombre de conférences et d’accords panafricains visant à renforcer l’intégration régionale, Aliko Dangote estime qu’« on en parle beaucoup, mais on agit peu ! Si les gouvernements ne s’attaquent pas à ce problème, les Présidents ne font que gaspiller l’argent public quand ils se rendent aux conférences».
Tout en exprimant sa frustration sur le manque de progrès sur cette question, Dangote se montre optimiste : « Le leadership change en Afrique… On assiste à beaucoup de transformations dont les gens ne sont pas vraiment conscients. » Et de se réjouir : « Il y a bien des améliorations ici et là. S’il y a encore du chemin à faire, nous faisons des efforts pour y arriver. »
L’intérêt pour l’Afrique
Après une décennie de croissance soutenue, l’économie africaine ne s’est jamais si bien portée. Alors que les économies sont en plein essor, les investisseurs s’intéressent au potentiel qu’elles recèlent.
Les investissements étrangers ont bondi ces dernières années. Selon la société de conseil Ernst & Young, les investissements privés en Afrique totaliseront 128 milliards $ en 2015. Des marques internationales connues telles que Walmart, Carlyle Group, IBM, Google et KKR, etc., ont toutes réalisé des investissements majeurs. Les conférences d’investissement en Afrique ont du mal à faire face à une demande apparemment insatiable en matière d’opportunités de placements sur le continent.
Des États-Unis à la Chine, les plus grandes économies mondiales recherchent des opportunités en Afrique. En août 2014, le président américain Barack Obama a organisé le premier Sommet du leadership États-Unis/Afrique, destiné à aider les entreprises américaines, qui demandent depuis des années un soutien de Washington à réaliser des investissements commerciaux.
L’UE possède son propre Forum commercial Europe- Afrique, et même les pays comme la Norvège, qui depuis longtemps se contentaient d’envoyer en Afrique de l’aide au développement, encouragent activement leurs entreprises à investir.
Mais ce sont les marchés émergents qui s’intéressent le plus à l’Afrique – en particulier la Chine. Il est aujourd’hui presque impossible de voyager sur le continent sans voir l’influence économique du géant asiatique. La Chine est devenue le premier partenaire commercial du continent, et on estime que les volumes d’échange atteindront 400 milliards $ en 2015. D’autres marchés émergents majeurs, comme l’Inde et le Brésil, ont également multiplié leurs contrats commerciaux avec l’Afrique.
Aliko Dangote n’est pas surpris de cet intérêt. « Nulle part ailleurs qu’en Afrique, on ne peut obtenir des retours sur investissement aussi élevés, de l’ordre de 30 % ! »
Il est vrai que le prix du baril a diminué de moitié, pour autant le Nigeria est très dynamique.
En principe, cette hausse des capitaux étrangers représente une opportunité pour les économies africaines, à condition de respecter un certain équilibre. « Certains investisseurs étrangers prennent plus qu’ils n’apportent. Ils n’aident pas du tout dans ces cas-là. »
Bien sûr, l’industriel reconnaît que la plupart des économies africaines n’ont pas la solidité financière nécessaire pour pouvoir se passer des capitaux étrangers. Même une société de la taille du groupe Dangote compte sur ses partenaires étrangers pour stimuler son expansion. La société a récemment signé un contrat majeur de 4,34 milliards $ avec la société chinoise Sinoma International Engineering Co pour accélérer son expansion panafricaine. Aliko Dangote ne doute pas de l’importance des capitaux étrangers : « Nous ne pourrions pas étendre nos activités dans le ciment aussi rapidement sans notre partenaire chinois. Il nous apporte la capacité et le personnel dont nous avons besoin. »
Si l’Afrique ne peut pas se développer seule, elle doit prendre l’initiative pour s’assurer que les capitaux étrangers investis sur le continent lui permettent d’atteindre ses objectifs de développement à long terme : « Je suis convaincu que nous parviendrons à transformer l’Afrique nous-mêmes. Pas seuls, mais nous prendrons l’initiative et d’autres suivront. » L’industriel conclut : « La montée de l’Afrique est fantastique – la transformation va se produire. Bien sûr, il y a des hauts et des bas, mais c’est tout à fait normal. En surmontant les obstacles, nous serons plus forts qu’auparavant ! ».