Albert Essien, le modèle
Mission accomplie. Albert Essien laisse à son successeur une banque apaisée. Néanmoins, Ecobank devra poursuivre ses efforts de maîtrise des coûts et des charges, dans un environnement plus volatil.
Albert Essien a officiellement quitté Ecobank. Il représente le parfait Ecobanker. À l’heure où nous rédigions cet article, le conseil d’administration et la direction de la banque préparaient une grande réception dans son pays, le Ghana, en hommage à ses 25 années de service. Albert Essien a activement participé à l’implantation de la stratégie d’expansion de la banque sur le continent au début des années 2000. Il a aussi été l’un des principaux leaders, ainsi qu’un loyal serviteur de la banque. Aux heures difficiles, quand Ecobank a été accusée de mauvaise gouvernance et en proie à des luttes intestines, il a joué un rôle primordial. Albert Essien a pris les rênes de la banque en mars 2014, chargé de conduire un navire en pleine tempête.
Albert Essien semble satisfait de l’institution qu’il lègue à son successeur. La banque a obtenu de bons résultats en 2014 et au 1er semestre 2015. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait reçu une ovation lors de la dernière assemblée générale, qui a eu lieu en Tanzanie.
Sa première tâche était de trouver un accord avec les auditeurs sur la charge de dépréciation, concernant des prêts non productifs importants inscrits au bilan, principalement sur son plus vaste marché, le Nigeria. Très déterminé, Albert Essien, qui a consacré plus de 20 ans à la banque, a pris son rôle très au sérieux. Contrarié de voir mal tourner le projet dans lequel il s’était tant engagé, il a tout fait pour unir les divers camps qui s’étaient formés au sein de la direction. Il savait qu’en insufflant, à nouveau, la volonté de concrétiser le projet panafricain, la banque pourrait aller de l’avant. Il savait aussi que l’établissement financier devait résoudre plusieurs problèmes essentiels : son coefficient d’exploitation était trop élevé, ses fonds propres étaient insuffisants et le conseil d’administration devait résoudre rapidement les questions de gouvernance pour lesquelles la banque avait été critiquée.
Un acteur de l’expansion
Un peu plus d’un an après, Albert Essien semble satisfait de l’institution qu’il lègue à son successeur. La banque a obtenu de bons résultats en 2014 et au 1er semestre 2015, malgré de fortes dévaluations et les difficultés économiques qui frappent de nombreuses économies africaines. Il n’est donc pas surprenant qu’il ait reçu une ovation lors de la dernière assemblée générale, qui a eu lieu en Tanzanie. Lors de notre rendez-vous de Londres, où il était de passage, il s’est dit « confiant » que le litige avec son prédécesseur, Thierry Tanoh, sera bientôt résolu. Albert Essien a progressivement gravi les échelons de la banque, après avoir débuté au Ghana. Il a été un homme de confiance et un allié d’Arnold Ekpe, l’architecte de la banque telle que nous la connaissons aujourd’hui. Il garde de « bons souvenirs » des « années d’expansion » au cours desquelles la banque est devenue une multinationale africaine. « Quand je suis entré chez Ecobank, elle n’était présente que dans cinq pays : Togo, Bénin, Nigeria, Côte d’Ivoire et Ghana. C’était en 1990. L’expansion m’a passionné plus que tout. C’est une période inoubliable. » Il est également fier du rôle de pionnier qu’a joué l’établissement. Première banque à être cotée sur trois Bourses africaines, elle a aussi amélioré la manière dont les régulateurs collaborent.
Un contexte monétaire inquiétant
Bien qu’il laisse une banque performante, il reconnaît qu’il reste beaucoup de travail à faire. Le coefficient d’exploitation, aux alentours de 65 %, demeure élevé ; l’objectif étant de le réduire à 50 %-55 % d’ici à 2017. Certains secteurs de la banque, tels que la banque d’investissement, doivent progresser. Et la banque n’a pas encore réussi complètement son implantation en Afrique de l’Est. Albert Essien a exprimé son inquiétude au sujet des dévaluations de certaines devises et des répercussions qu’elles pourraient avoir sur les résultats. Au Ghana, par exemple, la banque a dû considérablement améliorer ses résultats en monnaie locale (le cedi) pour maintenir ses performances exprimées en dollars : « Cela prouve que nous avons beaucoup travaillé pour conserver la même position et, comme nous avons su mieux maîtriser les coûts et les prêts non productifs, nous avons obtenu une augmentation de 25 % – 26 % du résultat avant impôt. » Albert Essien est également « préoccupé » par l’instabilité du naira nigérian : « Si l’on sait que le pays va laisser flotter sa monnaie de 5 % à 10 %, on peut s’organiser ; mais si la monnaie chute brutalement de 20 % ou 30 %, cela pose un problème. Je ne pense pas que la Banque centrale du Nigeria puisse continuer à maintenir sa monnaie. Elle devrait au moins la laisser flotter d’un certain pourcentage avant peut-être de la laisser flotter librement. Le Nigeria a besoin d’un régime de change stable. » Les opérations nigérianes de la banque comptent pour un tiers de ses activités environ. Le Nigeria a affiché de bons résultats au premier semestre malgré un ralentissement du marché. Il continuera à représenter une part importante du résultat mais il est essentiel pour la banque de maîtriser encore plus finement ses risques et ses prêts non productifs. « Le Nigeria est un vaste pays et, quand l’on est présent en Afrique subsaharienne, en dehors de l’Afrique du Sud, il est impossible d’éviter le Nigeria. Nos activités nigérianes sont de plus en plus rentables. Nous continuerons à nous efforcer d’accroître les dépôts et à utiliser nos sources de devises étrangères pour stimuler les affaires. Nous avons légèrement diminué les prêts, notamment en devise, en raison de ce qui se passe au Nigeria aujourd’hui».
Passage de témoin
La volatilité n’est pas nécessairement négative pour les banques. La part du département de Gestion de trésorerie dans le résultat est élevée – trop pour certains – ce que l’ancien directeur général attribue au fait que ce département a su « profiter de la volatilité sur les marchés », mais il estime que, pour obtenir une croissance durable et stable, la banque de détail et la banque d’entreprise et d’investissement devront générer davantage de revenus. Selon lui, la croissance viendra d’une plus grande efficacité de ses métiers et non de l’offre de produits exotiques. « Ecobank pourrait atteindre un produit net bancaire de 3 milliards $, contre 2,3 milliards en 2014. Quand on aura atteint 3 milliards et que le coefficient d’exploitation sera de 50 %, le résultat avant impôt sera nettement supérieur». Albert Essien transmet le flambeau à un banquier expérimenté, Ade Ayeyemi, réputé pour être « un fin stratège » et « astucieux ». Ayant dirigé les opérations africaines de Citi-group, il connaît parfaitement l’industrie bancaire. Quels conseils aimerait-il donner à son successeur ? Malicieux, Albert Essien reprend à son compte l’histoire des trois enveloppes : « Si, à la fi n de la première année, les résultats sont mauvais, il devra ouvrir la première enveloppe où il verra que je me tiens responsable de la situation. L’année suivante, si les performances sont encore décevantes, je lui conseillerai, dans ma deuxième enveloppe, de tenir les marchés pour responsables. La troisième année, si les choses vont toujours mal, je lui dirai de commencer à écrire ses propres enveloppes ! Mais, franchement, je ne pense pas que l’on en arrivera là : la banque est suffisamment solide pour faire face aux difficultés qu’elle pourrait rencontrer. Je pense que le nouveau directeur général est à la hauteur de la tâche ; sa mission est de maintenir la croissance et de proposer de bons retours aux actionnaires. » Albert Essien est « confiant » dans le fait que son successeur est bien l’homme de la situation et qu’il saura faire progresser la banque. Quant à ses propres projets ? Il se montre très discret, mais laisse entendre qu’il restera dans le secteur de la finance, auquel il a consacré sa vie.