Afrique : Moyens de paiement, état des lieux
DOSSIER – Dans un univers sous-bancarisé, les nouveaux moyens de paiement changent le rapport des Africains à l’argent. La monnaie a entamé sa dématérialisation ; le processus ne reviendra assurément pas en arrière.
Dossier réalisé par Estelle Brack
De nouveaux moyens de paiement se développent rapidement en Afrique. La dématérialisation de la circulation de l’argent a été majoritairement et visiblement provoquée par le développement des solutions simples sur mobile – en particulier le porte-monnaie ou Wallett ou Mobile Money – partant de l’expérience kényane M-Pesa. Ainsi, les paiements ou transferts d’argent à partir du téléphone portable, entre particuliers (« PtoP »), entre particuliers et commerçants (« PtoB »), voire entre commerçants (« BtoB ») connaissent-ils un engouement particulier en Afrique, depuis une dizaine d’années.
Ils ont révélé aux observateurs toute la capacité et le potentiel d’innovation du continent. Les solutions aujourd’hui développées s’appuient dans leur grande majorité sur des Wallets stockés sur la carte SIM du téléphone GSM, soit de la monnaie électronique de deuxième génération. Elle est privée, émise et acceptée au sein d’un réseau délimité.
L’association des opérateurs téléphoniques, le GSMA, estime à 300 millions le nombre de comptes de Mobile Money actifs à fin 2016 à l’échelle de la planète, dont plus de la moitié (52 %) se trouvent en Afrique. C’est dans cette région du monde, qui présente le plus faible taux de bancarisation avec le Moyen- Orient, que les services financiers digitaux se développent le plus rapidement. Pas moins de 19 pays d’Afrique subsaharienne comptent ainsi plus de comptes de Mobile Money que de comptes bancaires aujourd’hui.
La capacité de payer à partir d’un téléphone portable GSM (technologie USSD) se répand grâce à la conjonction de son utilité pour les populations (sécurité, paiement à distance de factures notamment) et d’un business model très profitable pour les opérateurs de téléphonie mobile, qui s’appuient sur les réseaux de distribution (« agents ») mis en place préalablement pour le rechargement en unités téléphoniques (Airtime).
Le rôle central de la réglementation
Ainsi, le téléphone mobile, même dans sa forme la plus simple, est-il devenu un facteur majeur de l’inclusion financière, faisant aujourd’hui du continent africain un leader mondial en la matière.
La décision de la BCEAO, en mars 2017, d’interdire les transferts d’argent entre la zone Uemoa et la France, via le service Orange Money proposé par les établissements de monnaie électronique Orange au Mali, en Côte d’Ivoire et au Sénégal, a fait grand bruit. Pour Maîtres Lawson et Ahoulouma, avocats au barreau de Paris, Orange Money est allé au-delà des activités autorisées dans le cadre des licences obtenues auprès de la Banque centrale : « Ces sociétés ont contrevenu à l’article 6 de l’Instruction n° 008-05-2015 régissant les conditions et modalités d’exercice des activités des émetteurs de monnaie électronique dans les États membres de l’UMOA, alors que seuls leur sont autorisés notamment, les services de transfert sur le territoire de l’Uemoa. »
Cette décision révèle le défi que représente pour les Banques centrales le très fort dynamisme de ces innovations technologiques sur le continent. Aux premières heures de la Mobile Money, s’est posée la question de qui supervise cette monnaie privée. Beaucoup de régulateurs ont, assez naturellement, confié ce rôle à la Banque centrale.
Si la BCEAO, dans notre exemple, a publié ses premiers textes pour encadrer la monnaie électronique en même temps que l’Europe, il y a plus de dix ans maintenant, et alors que l’activité était encore très faible dans ce secteur, sa décision relative aux activités de transfert d’argent entre l’espace Uemoa et les pays étrangers (la France, ici) est révélatrice de la difficulté qu’elle éprouve, à faire face à la vitesse des transformations induites par les technologies de l’information sur les activités bancaires et financières.