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Société

Une liberté numérique sous contraintes

Une liberté numérique sous contraintes
  • Publiéjuin 2, 2023

Un rapport publié par l’AFD pointe les disparités importantes au sein des pays francophones en matière d’accès et d’utilisation de l’Internet. Les auteurs regrettent que bien souvent, la société civile soit mal organisée pour défendre les droits numériques des citoyens.

 

Au-delà de l’accès facilité à la connaissance comme les encyclopédies en ligne, aux outils associés aux loisirs et aux réseaux sociaux, ces espaces civiques en ligne sont en danger. Tel est le constat du Rapport sur les libertés numériques dans les pays d’Afrique francophone, édité par l’AFD (Agence française de développement). Les auteurs se livrent à une analyse fine de la situation de 26 pays – enquête achevée en janvier 2023 –, et sa publication vient à point nommé alors que de nombreuses voix s’élèvent, en Afrique, pour protester contre les restrictions d’accès à l’Internet, notamment en période électorale.

C’est que « plusieurs gouvernements ont promulgué des lois définies de manière vague permettant ainsi des arrestations aléatoires », signalent les auteurs. C’est ce que l’on appelle l’« autoritarisme numérique » en plein essor dans de nombreux pays.

Si le Maroc, où la pénétration d’Internet est excellente, n’a jamais pratiqué de coupure du réseau, sa législation floue permet, le cas échéant, de restreindre la liberté d’expression.

Dans un monde où le numérique est omniprésent, les libertés numériques sont des conditions indispensables pour l’exercice des libertés fondamentales. Et le sens de l’histoire va vers un Internet libre, ouvert, décentralisé et sans surveillance. De nombreuses voix s’élèvent contre l’émergence de pratiques et législations agressives instrumentalisées contre la société civile : des coupures d’Internet organisées par les gouvernements, la censure de sites d’information et des réseaux sociaux en ligne, l’arrestation des citoyens pour des publications critiques en ligne. « Or, cette tendance s’accélère dans les pays francophones en Afrique. » Les auteurs citent diverses associations qui œuvrent pour un cyberespace respectueux des libertés numériques, regrettant qu’elles soient souvent anglophones et peu au fait de ce qui se passe en Afrique francophone.

À Maurice, les activistes de Cyberstorm ont fait annuler un projet de loi qu'ils jugeaient contraire aux libertés.
À Maurice, les activistes de Cyberstorm ont fait annuler un projet de loi qu’ils jugeaient contraire aux libertés.

Au-delà de cette absence d’organisation structurée de citoyens, d’autres grandes tendances régionales se dessinent : un recours à des coupures d’Internet au moment des élections, au cours de manifestations ou au moment d’examens nationaux au Tchad, au Burkina Faso et en Algérie, l’an passé, par exemple. Le déploiement de solutions de surveillance de masse ou ciblée, notamment le cas de l’utilisation du logiciel espion Pegasus documenté au Rwanda, au Togo, au Maroc et à Djibouti.

Le rapport regrette la pratique de censure en ligne avec le blocage de sites web de médias locaux et internationaux. Des lois sur la cybersécurité et contre la désinformation se conçoivent, mais elles sont souvent instrumentalisées à l’encontre des journalistes, des défenseurs des droits humains et des citoyens critiques du gouvernement. Et le rapport de regretter aussi le manque de législation de protection des données personnelles et l’absence de ratification de la convention de Malabo.

 

Maurice et les Seychelles en exemple

Cette dernière, pourtant, permet d’établir un cadre juridique harmonisé et indépendant en termes de protection des données et de la vie privée, notamment en créant une autorité indépendante pour la protection des données.

Parmi les 26 pays sous revue, deux seulement se distinguent favorablement : Maurice et les Seychelles. Certains pays sont considérés comme étant « partiellement libres », comme le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Maroc, le Niger, le Sénégal, la Tunisie. D’autres sont jugés « partiellement non libres », tel l’Algérie, le Burkina Faso, le Gabon, la Guinée, Madagascar, le Mali, la Mauritanie, le Congo, la RD Congo, le Togo. Enfin, d’autres sont jugés « non libres », comme le Cameroun, Djibouti, la République centrafricaine, le Tchad ; ainsi que, dans cette catégorie, le Burundi, le Rwanda et la Guinée équatoriale.

En Algérie par exemple, l’accès à l’Internet est facile et abordable pour les citoyens, surtout les urbains. Le gouvernement vient de lancer 300 services publics dématérialisés ; or, préviennent les auteurs, « la dématérialisation des démarches administratives comporte un risque d’exclusion des citoyens et il n’existe pas, pour l’instant, de stratégie nationale d’inclusion numérique ». De plus, l’État contrôle de près les contenus, notamment en cas de tensions politiques. Les atteintes à l’expression numérique rejoignent celles à l’encontre de la presse en général.

En juillet 2022, le journaliste ivoirien Noël Kouadio Konan a été placé en garde à vue à cause d’un tweet.
En juillet 2022, le journaliste ivoirien Noël Kouadio Konan a été placé en garde à vue à cause d’un tweet.

 

Au Cameroun, la situation est plus délicate. La pénétration d’Internet progresse mais reste faible, les Camerounais font face à « des prix prohibitifs pour un service à la qualité variable ». De nombreuses lois relatives à la cybersécurité favorisent la censure et limitent le type de contenu partagé sur les réseaux sociaux. Comment contester les informations délivrées par le gouvernement quand une loi condamne « toute personne qui diffuserait des informations qu’elle ne serait pas en mesure de vérifier » ?

 

Les progrès de la Côte d’Ivoire

Les « avances » homosexuelles sont également réprimées. L’absence de liberté d’expression est particulièrement préoccupante dans les régions anglophones. Face à cela, toutefois, la société civile s’organise et des campagnes publiques – souvent à l’initiative des anglophones –, touchent leur but.

De son côté, la Côte d’Ivoire a réalisé « des progrès considérables » en matière de coût d’accès au net et le Programme national d’inclusion sociale et numérique « témoigne de la volonté politique de se saisir du sujet ». Le rapport s’inquiète toutefois des fortes amendes prévues pour les journalistes pour d’éventuels délits de presse, qui comprennent la possible « offense au Président ». Ainsi que quelques pressions exercées sur les blogueurs. Si les journalistes s’organisent, il n’existe pas, en Côte d’Ivoire, d’association qui défende spécifiquement les libertés numériques.

Le rapport pointe l’intrusion de l’État gabonais dans le réseau et une protection des données personnelles très perfectible.

Concernant le Niger, le rapport déplore un coût d’accès au net « prohibitif » dans un pays, il est vrai, loin des câbles sous-marins. Il arrive à l’État de couper le net, comme le 23 février 2021, et pour onze jours, après la proclamation des résultats de l’élection présidentielle. Là encore, les lois sur la cybercriminalité et celles sur le terrorisme sont dénoncées par les membres de la société civile, en raison des risques de dérives. Si les Nigériens sont friands des nombreux médias en ligne et des réseaux sociaux, certains blogueurs sont inquiétés et parfois placés en détention.

Comme dans d’autre pays, le Sénégal souffre d’un certain flou juridique qui permet de poursuivre des citoyens par exemple pour « offense au président de la République » ou « diffusion de fausses nouvelles ». Les arrestations d’élus ou d’internautes, en 2022, « favorisent une forme d’autocensure au sein de la population ». Pourtant, « le Sénégal accueille de nombreuses organisations défendant les libertés numériques », signale le rapport.

Au Maroc, si la pénétration d’Internet est « excellente » et que les coûts diminuent, quelques zones grises demeurent. Là aussi, l’absence de stratégie nationale d’inclusion numérique – confiée à la société civile –, risque d’exclure une partie de la population. Si le Maroc n’a jamais pratiqué de coupure d’Internet, sa législation floue permet, le cas échéant, de restreindre la liberté d’expression.

Tandis que les contradictions entre le Code pénal et le Code de la presse peuvent être utilisées à l’encontre des journalistes. Sur le fond, il existe quelques « lignes rouges », comme les atteintes à l’Islam, la critique de la monarchie et la remise en cause du Maroc au Sahara occidental. Si l’ADN (Association des droits numériques) a été dissoute, d’autres structures comme Adala Justice militent en faveur de la liberté d’expression.

@NA

Écrit par
Laurent Soucaille

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