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Société

Un moment décisif pour l’Église

Un moment décisif pour l’Église
  • Publiémars 7, 2023

Tandis que l’influence de l’Église recule en Occident, elle est appelée à croître en Afrique. Quelle est la signification la visite du pape sur le continent, à un moment où la boussole morale du monde semble avoir perdu sa direction ?

 

L’Argentin Jorge Mario Bergoglio, qui a été élu à la tête de l’Église catholique romaine et est devenu le pape François en 2013, semble avoir établi une relation très spéciale avec l’Afrique. Sa visite en RD Congo et au Soudan du Sud en janvier et février est sa quatrième depuis son onction.

En 2023, ses discours ont semblé plus radicaux que d’habitude. Il a demandé aux chefs de l’Église en Afrique de ne pas rester passifs mais de s’élever contre l’injustice et il a averti divers exploiteurs, mais non nommés, de retirer leurs « mains de la République démocratique du Congo ! Ne touchez pas à l’Afrique ! Arrêtez d’étouffer l’Afrique, ce n’est pas une mine à dépouiller ou un terrain à piller ! » Il a fustigé la cupidité qui avait généré des « diamants gorgés de sang », pour lesquels des dizaines de milliers de personnes avaient été tuées. Il est clair que sa charge visait à la fois les puissances et les entreprises étrangères qui continuent à mener leurs guerres par procuration sur le sol africain ou à piller ses richesses, ainsi que les hommes politiques et les hommes d’affaires locaux qui agissent comme leurs agents.

Dans quelle mesure l’influence, le pouvoir et la richesse considérables de l’Église catholique viendront-ils au secours de ceux qui suivent la suggestion du Pape et s’en prennent aux pouvoirs en place ?

Ce qui le préoccupe le plus, et ce qui, selon lui, est peut-être à l’origine de tous les conflits mortels qui ravagent le continent, c’est la quête du pouvoir à tout prix, l’orgueil démesuré de l’homme qui continue de dévaster des pans entiers de l’Afrique. Ses proches disent qu’il croit que sa mission de pape est de mettre fin à l’amertume et à la haine et d’apporter la paix et la guérison. Il veut utiliser l’énorme influence que lui confère sa position – tant dans le domaine terrestre que spirituel –, pour inciter les détenteurs du pouvoir à modérer leurs ambitions et à rechercher des compromis et des aménagements.

L’accueil formidable qu’il a reçu à son arrivée à Kinshasa témoigne de l’énorme popularité du Souverain pontife. On estime qu’un million de personnes, dont certaines avaient marché pendant des jours pour le voir, ont suivi le parcours de son cortège et assisté à la messe à Kinshasa. Une chorale de 700 personnes a entonné des hymnes, des groupes ont tenu des réunions de prière improvisées et des bénévoles ont distribué de la nourriture et des boissons.

Il a rencontré le président Félix Tshisekedi et, dans un discours passionné, a dénoncé ce qu’il a appelé le « colonialisme économique », qui dépouille le pays de ses ressources naturelles et crée des conflits pour pouvoir agir ainsi. Faisant référence au conflit de faible intensité mais destructeur qui se poursuit dans l’est du pays contre les armées rebelles, il a plaidé pour que toutes les parties fassent preuve d’une « grande amnistie du cœur » pour se purger « de la colère et des remords, de toute trace de ressentiment et d’hostilité ».

 

 

Un front chrétien uni

Son message allait dans le même sens lorsqu’il s’est rendu au Sud-Soudan, un autre pays enfermé dans une guerre civile meurtrière et destructrice menée selon des lignes ethniques entre les forces loyales au président Salva Kiir et son ancien vice-président, Riek Machar.

Autre grande première de ce voyage, le pape a été rejoint par l’archevêque anglican de Canterbury, Justin Welby, et le modérateur de l’Église presbytérienne d’Écosse, Iain Greenshields, formant ainsi un puissant front chrétien interconfessionnel.

Une fois de plus, les dirigeants de l’Église ont été accueillis par des milliers de personnes chantant et poussant des cris de joie. Le Soudan du Sud est à 60% chrétien. « Je suis venu avec deux frères, l’archevêque de Canterbury et le modérateur de l’assemblée générale de l’Église d’Écosse », a déclaré le pape. « Ensemble, en tendant les mains, nous nous présentons à vous et à ce peuple au nom de Jésus-Christ, le prince de la paix. »

Les gens ordinaires, épuisés depuis longtemps par le conflit sans fin au Soudan du Sud – un conflit qui a vu les revenus des réserves pétrolières du pays disparaître dans l’éther au lieu de servir à améliorer leur vie – ne pouvaient qu’espérer et prier pour que l’appel du pape et de ses homologues soit entendu par les dirigeants et que la paix s’installe enfin.

La cérémonie en présence du président Tshisekedi de RD Congo, retransmise par les médias du Vatican.
La cérémonie en présence du président Tshisekedi de RD Congo, retransmise par les médias du Vatican.

 

 

Seul l’avenir nous dira quel sera l’effet de la visite du pape, renforcée par la présence de l’archevêque de Canterbury et du modérateur de l’Église d’Écosse, sur les perspectives de paix dans les deux pays, mais ce qui est clair, c’est que les Églises catholique et protestante considèrent toutes deux l’Afrique comme un soutien de plus en plus important de leur position mondiale et qu’elles souhaitent rendre la foi plus pertinente pour les Africains.

Il est intéressant de noter que l’Église d’Angleterre a récemment admis qu’elle avait bénéficié historiquement de la traite des esclaves et qu’elle allait verser des réparations d’une valeur d’environ 100 millions de livres sterling. Certains observateurs sont même allés jusqu’à dire qu’au cours des 50 prochaines années environ, la survie de l’Église elle-même dépendra de l’Afrique.

Dans le monde occidental, autrefois le bastion du christianisme, la foi en cette religion n’a cessé de chuter au cours des deux dernières décennies. Le Pew Research Center prévoit que les chrétiens représenteront moins de la moitié de la population américaine en 2070, les fourchettes estimées pour cette année-là se situant entre 35 et 46 % de la population américaine (contre 64 % en 2022 et 91 % en 1976).

 

L’Afrique et le catholicisme mondial

Le nombre de personnes se décrivant comme chrétiennes dans la plupart des pays européens est également en baisse. L’Angleterre et le Pays de Galles ne sont plus majoritairement chrétiens, avec seulement 46% en 2021 se réclamant du christianisme. La France présente des chiffres similaires.

En revanche, le christianisme et l’islam connaissent une croissance rapide en Afrique. L’augmentation a été particulièrement forte pour le catholicisme. John L. Allen Jr, auteur américain et rédacteur en chef du site d’information catholique Crux, déclare : « Au cours du XXe siècle, la population catholique de l’Afrique subsaharienne est passée de 1,9 million à plus de 130 millions, soit un taux de croissance stupéfiant de 6 708 %. Les Africains ont commencé le siècle avec moins de 1 % de la population catholique mondiale, et l’ont terminé avec environ 16 %. »

Plus récemment, des mises à jour donnent des chiffres encore plus élevés : Sur une population mondiale de 1,36 milliard de catholiques, 236 millions sont africains, soit 20 % du total.

Ce sont des chiffres impressionnants et comme la population globale de l’Afrique va encore beaucoup augmenter, le nombre de ses adeptes religieux est appelé à grandir et dépassera celui du reste du monde. Il est donc logique de traiter le continent comme un cas spécial. La prépondérance des jeunes dans la population africaine est également un autre facteur que l’Église doit prendre en considération, car elle semble perdre son emprise sur les jeunes du monde, en particulier en Occident.

 

En ce qui concerne l’importance de l’Afrique pour l’Église catholique dans son ensemble, à une époque de grands bouleversements mondiaux (et de fissures et de scandales au sein de l’Église elle-même), le récent voyage en Afrique intervient à « un moment décisif pour ce qui est considéré comme une papauté assez progressiste », selon le professeur Stan Chu Ilo, chercheur sur le christianisme mondial et les études africaines au Centre pour le catholicisme mondial et la théologie interculturelle de l’Université DePaul à Chicago, Illinois.

Dans The Conversation, il explique que le pape François a convoqué une consultation mondiale sur l’avenir de l’Église catholique. Cette consultation, appelée processus synodal, a débuté en 2021 et se terminera en 2024. « Il s’agit du dialogue le plus ambitieux jamais entrepris sur l’apport de changements dans les croyances et les pratiques catholiques depuis les réformes du Concile Vatican II en 1965. Il est passionnant pour les catholiques réformateurs, mais angoissant pour les catholiques conservateurs », écrit-il.

Le processus synodal en cours, poursuit-il, « a révélé les lignes de faille du catholicisme moderne sur les questions des femmes, du célibat, de la sexualité, du mariage, du cléricalisme et du hiérarchisme ». La façon dont le Pape François – qui fête cette année ses dix ans de pontificat – gère ces questions qui divisent de plus en plus, définira en grande partie son héritage.

Les catholiques africains, poursuit Stan Chu Ilo, ne sont pas simplement de plus en plus nombreux. Ils réinventent et réinterprètent le christianisme. « Ils lui insufflent un nouveau langage et une nouvelle vitalité spirituelle par le biais de méthodes uniques d’adoration de Dieu. »

Il affirme que l’Église catholique en Afrique peut être un moteur central de la vie sociale, politique et spirituelle. « Dans de nombreux contextes, l’église offre une communauté d’espoir là où le tissu social est affaibli par la guerre, les catastrophes humanitaires et les maladies. »

La RD Congo, par exemple, compte le plus grand nombre d’établissements de santé catholiques en Afrique, soit 2 185. Elle est suivie du Kenya avec 1 092 établissements et du Nigeria avec 524 établissements. En outre, les évêques ont mobilisé des protestations pacifiques contre la violence en RD Congo et au Nigeria.

Le pape François accueilli par le président Salva Kiir du Soudan-du-Sud.
Le pape François accueilli par le président Salva Kiir du Soudan-du-Sud.

Toutefois, Stan Chu Ilo s’inscrit en faux contre le souhait souvent exprimé par le pape de donner à l’Afrique une voix dans l’Église mondiale. « De nombreux catholiques africains se demandent comment cela va se faire alors que, pour la première fois depuis plus de 30 ans, un seul Africain occupe une fonction exécutive importante au Vatican. Il s’agit de Mgr Protase Rugambwa, archevêque de Tanzanie, secrétaire du Dicastère pour l’évangélisation des peuples, un département des bureaux centraux du Vatican. » La création d’une Commission pontificale pour l’Afrique, semblable à la Commission latino-américaine créée en 1958, « sera un moyen significatif de donner aux catholiques africains une voix dans l’Église de Rome ».

 

Une visite sans ambiguïtés

Stan Chu Ilo souligne également que les réformes de l’Église, en particulier l’accent mis sur la modernisation, n’ont pas été bien accueillies par tous en Afrique. « De nombreux catholiques africains, en particulier les hauts responsables de l’Église, n’ont pas encore adopté ce programme de réforme. » Les deux papes précédents ont encouragé une tendance centralisatrice, qui a favorisé une loyauté sans faille des évêques africains envers Rome. En conséquence, ces évêques ont résisté aux tentatives des théologiens africains de moderniser et d’africaniser les croyances et les pratiques catholiques pour répondre aux besoins et aux circonstances locales.

« Cela a conduit à ce que certains évêques africains ne soient pas à l’aise avec le programme progressiste du pape François en matière de théologie de libération, d’ouverture aux catholiques homosexuels, de condamnation des privilèges et du pouvoir cléricaux, et d’inclusion des femmes dans le leadership principal. »

Il ne fait aucun doute qu’à la suite de la visite du pape, des discussions et des débats de grande envergure continueront d’avoir lieu et que le rôle de l’Église – et de la mosquée – dans la défense de la justice et contre l’oppression sera examiné et mis à l’épreuve.

Dans un monde qui perd de plus en plus sa boussole morale sous l’égide de dirigeants politiques autocratiques qui n’ont pas de comptes à rendre, où de nombreux dirigeants et organisations religieux se sont tournés vers la voie la plus sombre et encouragent activement la discorde, l’intolérance, l’ignorance et la violence, la visite sans ambiguïté du Pape en Afrique pour y construire la paix est un rayon de lumière dans l’obscurité.

Il a démontré le pouvoir de l’humilité, de l’abaissement pour servir et de l’ouverture aux autres religions pour œuvrer à la paix, à la miséricorde, au pardon et à la charité. Ce message, amplifié par le vaste réseau d’églises en Afrique et adopté par les dirigeants de l’autre grande religion d’Afrique, l’Islam (un rapport du PNUD montre qu’un enseignement religieux approprié réduit la violence extrémiste au lieu d’en être la cause), suggère que le cercle vicieux des conflits en Afrique pourrait enfin entrer dans sa phase finale.

Lors de cette visite, le pape a aussi clairement tracé la ligne et demandé à ses fidèles et aux responsables d’église de s’élever contre la tyrannie et l’injustice. Dans quelle mesure l’influence, le pouvoir et la richesse considérables de l’Église catholique viendront-ils au secours de ceux qui suivent sa suggestion et s’en prennent aux pouvoirs en place ?

@NA

 

Écrit par
Anver Versi

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