Tchad : Les combats d’une féministe

Banata Tchalé Sow est directrice du cabinet civil de la Présidence. Femme de caractère et de convictions, elle est aussi un ardent défenseur de la cause féminine.
N’Djaména, Geoffroy Touroumbaye
Pour la IVe République instituée par la Constitution du 4 mai 2018, le président Idriss Déby Itno avait marqué les esprits en confiant la gestion de son palais à une femme, qui de surcroît n’est pas de son cercle familial.
Son épouse, Hinda Déby Itno, assure depuis plusieurs années les fonctions de secrétaire particulière. Sa fille aînée, Amira, a été directrice adjointe du Cabinet pendant deux ans, après avoir officié comme chef du Protocole au Palais rose, siège de la Présidence.
Mais c’est la première fois dans l’histoire du Tchad que le Cabinet présidentiel est confié entièrement à une femme. « Dans un État sahélien, de culture arabo-musulmane, comme le nôtre, avoir une femme à la tête du Cabinet du Président, étonne plus d’un », reconnaît un ancien ministre.
Banata Tchalé Sow connaît bien les arcanes de la présidence où elle a servi en 2013 comme conseillère technique aux Affaires économiques et budgétaires, après avoir conseillé le Premier ministre sur la microfinance et le développement durable pendant quatre ans.
Quand le président Déby crée, en octobre 2013, un ministère des Microcrédits pour la promotion de la femme et de la jeunesse, c’est à Banata Tchalé Sow qu’il le confie. Sept mois après, pour des raisons budgétaires, son ministère est englobé au sein du ministère des Finances ; elle est «rétrogradée» secrétaire d’État chargée de la Microfinance.
Durant deux ans, cette titulaire d’un DEA en Économie et socio-économie du développement à Ouagadougou (Burkina Faso) et d’un DESS en Banque et finances à Dakar (Sénégal), formée ensuite au Maroc et au Canada, coordonne la mise en oeuvre de la politique du gouvernement en matière des microcrédits afin de favoriser l’accès des populations exclues du système bancaire classique aux produits et services financiers adaptés à leurs besoins de façon durable.
Tolérance
Elle sillonne les 23 régions de ce vaste pays par la route, excepté la région méridionale du Tibesti, aux confins de la Libye et accessible que par avion. « Aller au contact des populations m’a rendue beaucoup plus tolérante. Aujourd’hui, quand un compatriote originaire de l’Éxtrême-Nord entre dans mon bureau et se met à m’insulter, je ne lui réponds pas. J’ai vu comment le milieu est austère. Depuis que j’ai parcouru les régions, ma façon de réagir est différente. Je sais qui est qui, pourquoi un tel se comporte de telle façon »,..
Si on laisse la fille à l’école jusqu’à ses 18 ans, elle a le bac, un esprit assez ouvert pour mener à bien une activité lucrative et bien tenir sa maison. Avec des mères instruites, en français ou en arabe, les enfants malnutris ne seront pas nombreux dans notre pays.
…confie cette originaire du Guéra, une région au centre d’un pays fortement diversifié, réputée pour sa tolérance et citée en exemple de cohabitation interreligieuse ; dans une même famille, l’on peut trouver des chrétiens, des musulmans et des animistes. Avoir fait le tour de certains pays d’Afrique de l’Ouest (Burkina Faso, Niger et Sénégal) dès l’âge de quinze ans, lui a appris à transcender les barrières culturelles et religieuses et à accepter autrui tel qu’il est.

Après une parenthèse d’environ un an à la Cour des comptes, elle revient au gouvernement, en août 2016, comme secrétaire d’État aux Infrastructures et au désenclavement puis secrétaire d’État aux Finances et au budget.
En novembre 2017, le ministre des Finances, Christian Georges Diguimbaye, et Babata Sow sont révoqués de leurs fonctions. Officiellement, l’on parle de « révocation », mais en réalité, c’est une double démission, chose rare dans ce pays où les ministres sont faits et défaits par dizaines chaque année.
« Nous sommes partis pour incompréhension avec un de nos agents. Quand vous oeuvrez pour que le pays avance et que quelqu’un ne voit pas les choses de la même manière que vous et fait du surplace, à un certain moment, il faut savoir quitter », explique Banata Tchalé Sow. Ce « quelqu’un », c’est le trésorier-payeur général de l’État de l’époque, un tout-puissant général de l’armée et neveu du Président.
« Un acte de bravoure rare »
« Les gens pensaient que le ministre allait partir seul et que moi je resterai. Mais nous étions un tandem. Et comme on ne pouvait pas suspendre l’agent insubordonné, nous sommes partis. Cette solidarité manque malheureusement des fois », déplore-t-elle. Avant d’ajouter : « Par principe, je ne prête pas le flanc à quelqu’un. Je l’ai appris de mon père, un ancien combattant de l’armée française. »
« Elle a eu un sacré culot de démissionner. Après cet acte de bravoure rare, tout le monde prédisait sa fin politique », confie un ancien ministre. Banata Tchalé Sow, elle, prend les événements avec équanimité : « Tout est tracé. C’est une mission qui est finie, une autre peut venir. »
En bon agent de l’État, elle reprend service au ministère des Finances. Elle part ensuite améliorer son anglais à Buea, au Cameroun voisin. De retour au pays, un mois plus tard, elle se consacre à ses activités politiques et associatives.
Chargée de la propagande au sein de l’Organisation des femmes du Mouvement patriotique du salut (MPS, le parti au pouvoir), elle organise ses consoeurs, car pour elle, « faire la politique, ce n’est pas applaudir, c’est réfléchir sur des projets de développement ».
Elle partage ses journées entre ces charges politiques et ses fonctions de secrétaire générale du Conseil national des femmes leaders du Tchad (CONAF) et des consultations, « en attendant de trouver mieux ». Ce qui finit par arriver le 11 mai 2018.
Ce jour là, le président Déby la nomme à la tête de son Cabinet civil, avec rang de ministre. Contre toute attente. « C’est une femme intelligente, une maniaque du travail, du travail bien fait, et elle n’a pas froid aux yeux. Si le boss l’a nommée à ce poste, c’est pour qu’elle mette de l’ordre dans le palais et elle le fait bien », confie un conseiller technique du chef de l’État.
Chaque jour, la « Dircab » arrive au bureau à 7 heures, après avoir déposé sa fille dans un collège privé de la capitale. Elle consulte ses mails, prépare les parapheurs pour le chef, assiste aux audiences qu’accorde le chef de l’État, prépare les fiches, reçoit, etc. Et rentre chez elle à 20 heures le plus tôt, voire 22 heures « C’est un job normal, mais un peu sensible », reconnaît cette musulmane pieuse qui ne prend presque jamais de pause-déjeuner et observe un jeûne tous les lundis et jeudis.
« Je ne veux pas que mes filles vivent ce que j’ai vécu »
La chef du Cabinet est également une féministe très engagée, notamment contre le mariage des mineurs, un problème très ancré dans les sociétés tchadiennes. « Avant l’âge de 18 ans, on est encore un enfant. Marier une fille à 15 ou 16 ans, c’est lui prendre sa vie de jeunesse, l’empêcher de s’épanouir », martèle-t-elle.
Elle sait ce dont elle parle, elle qui a été mariée à 15 ans à un cousin qu’elle a rejoint à Dakar, et elle qui a eu son premier enfant à 16 ans. « Je ne veux pas que mes filles vivent ce que j’ai vécu. Si je suis arrivée à m’en sortir, c’est grâce à mon caractère et à ma détermination. Mais j’ai connu beaucoup de copines qui ont arrêté leur parcours scolaire, parce qu’elles n’arrivaient pas à gérer école et foyer à la fois », explique-t-elle. À sa troisième année d’université, elle s’est révoltée et s’en est allée. « J’ai divorcé. Plus tard, je me suis remariée à un Sénégalais. J’ai un mari qui me comprend et qui m’a beaucoup aidée pour être là où je suis », ajoute-t-elle.
Banata Tchalé Sow insiste sur les bienfaits de la scolarisation de la jeune fille, plaide pour qu’elle suive normalement son cursus scolaire. « Si on laisse la fille à l’école jusqu’à ses 18 ans, à cet âge-là elle a le bac, un esprit assez ouvert pour mener à bien n’importe quelle activité lucrative, bien tenir sa maison et s’occuper de ses enfants. Avec des mères instruites, en français ou en arabe, nous verrons que les enfants malnutris ne seront pas nombreux dans notre pays. »
Au Tchad, le mariage des enfants mineurs est un véritable problème de société, profondément ancré dans les traditions et les moeurs de nombreuses familles et communautés, tant à N’Djaména que dans les provinces : 68 % d’enfants, essentiellement les filles, sont mariés avant d’atteindre leur majorité. C’est le deuxième pays d’Afrique le plus touché par le problème, derrière le Niger et ses 76 %.
Une ordonnance signée le 14 mars 2015 par le président Déby et ratifiée par l’Assemblée nationale le 30 juin 2015, fixe l’âge minimum du mariage à 18 ans révolus et punit sévèrement toute personne qui contraint, par quelque moyen que ce soit, une personne mineure au mariage, ainsi que l’autorité civile, religieuse ou traditionnelle qui célébrerait un mariage de mineur.
C’est sur la base de cette législation qu’un député du parti au pouvoir a été condamné, le 28 décembre, à deux ans de prison ferme et à payer une amende de 1 million de F.CFA (1 525 euros) pour avoir épousé une mineure.
Le père de la fille qui était également poursuivi pour complicité de mariage de mineure, a écopé de six mois de prison ferme et de 250 000 F.CFA (381 euros) d’amende. Une condamnation historique que les autorités ont voulue exemplaire, mais qui est loin de freiner un phénomène fortement ancré.
« Je continuerai la sensibilisation, à tous les niveaux, pour que cette loi soit appliquée. Je lutterai contre ce fléau jusqu’à la fin de mes jours », conclut Banata Tchalé Sow.