Face à la crise de la Covid-19, le Maroc déploie une stratégie proactive, vaste et efficace. Le pays s’est aussi lancé dans une course aux vaccins en diversifiant ses fournisseurs et en anticipant une forte demande mondiale. Décryptage.
Par Omar Dahbi
La nouvelle tant redoutée a fini par tomber le mardi 3 mars 2020, au matin. Et c’est un communiqué officiel qui en a fait état. « Le ministère de la Santé annonce l’enregistrement du premier cas confirmé du nouveau coronavirus, par l’Institut Pasteur du Maroc, et ce durant la soirée du lundi 2 mars 2020, chez un ressortissant marocain résident en Italie. » Les mois précédents, la pandémie avait fait son chemin aux quatre coins du globe, suscitant stupeur, panique et des débuts hésitants de riposte. Au Maroc, l’alerte est prise très au sérieux.
Dès lors, une guerre contre la propagation de la pandémie est lancée. Le 20 mars 2020, un état d’urgence sanitaire, toujours en cours, est décrété sur l’ensemble du territoire national, pour juguler la propagation de l’épidémie.
« Heureusement, nous assistons à une année agricole exceptionnelle. Il suffira de relancer des secteurs comme le tourisme et l’automobile, grevés par la pandémie pour revenir à la normale, relancer la consommation et l’investissement. »
Concomitamment, des mesures importantes sont adoptées afin de renforcer le système de santé, secourir les secteurs économiques impactés par l’arrêt ou le ralentissement de leur activité et venir en aides aux couches sociales les plus fragiles. Un Fonds spécial pour la gestion de la pandémie du coronavirus est créé dans la foulée, en application d’une instruction du roi Mohammed VI.
Il est doté initialement de 10 milliards de dirhams (940 millions d’euros) financé par le budget général de l’État, auxquels se sont ajoutées des contributions d’autres organismes, institutions, entreprises et personnes physiques. Donnant l’exemple, le souverain a contribué à hauteur de 2 milliards de dirhams. À l’arrivée, plus de 33,7 milliards de dirhams (3,2 milliards d’euros) ont été récoltés.
Le point culminant de cette stratégie tient bien dans l’engagement du Maroc dans une course aux vaccins pour immuniser sa population et ce, bien avant une grande majorité de pays dans le monde. Le Fonds précité en est le nerf de la guerre.
Ayant su anticiper une demande mondiale aussi urgente que massive en vaccins, le Maroc a été parmi les premiers pays à passer commande auprès de nombre de laboratoires. Ceci, dès août 2020. Pendant ce temps, d’autres pays préféraient regarder ailleurs.
Certains, même en Europe, ne tablaient pas sur une disponibilité du vaccin avant la fin de l’année. Le Maroc lui, mettait les bouchées doubles. Sa diplomatie a en cela été transformée en Task-force en charge des négociations avec les pays et les laboratoires qui n’étaient jusque-là alors que potentiellement sûrs de l’efficacité de leurs recherches.
Dès le 8 janvier 2021, le royaume annonce la commande de 65 millions de doses de vaccins britanniques AstraZeneca (à hauteur de 25 millions de doses) et chinois Sinopharm (40 millions). Un accord a aussi été passé avec la Russie pour la livraison de 8 millions de doses du vaccin Spoutnik-V.
Cette stratégie de diversification semble payante. À aujourd’hui, le pays a reçu un total de 8,5 millions de doses de vaccins (1,5 million de Sinopharm et 7 millions d’AstraZeneca). Plus de 4,35 millions de Marocains ont été vaccinés et 3,95 millions ont reçu la seconde dose. Cela représente, pour ce dernier chiffre plus de 11% de la population, soit presque le double d’un pays comme la France qui a pourtant entamé sa campagne de vaccination un mois avant le Maroc. Le pays est ainsi à la sixième place mondiale en la matière, selon Our World In Data, une publication en ligne spécialisée en statistiques.
Si le risque de pénurie en vaccins au vu de la pression mondiale sur l’offre est réel, le Maroc, par la voix du Dr Moulay Saïd Afif, membre du Comité national technique de vaccination et président de la Société marocaine des sciences médicales, rassure. Quelque 4,2 millions de doses supplémentaires de vaccins seront réceptionnées par le Maroc dans un futur proche. De quoi porter le total des doses réceptionnées par le Royaume à 12,7 millions.
Lancée le jeudi 28 janvier 2021 par le roi Mohammed VI qui, là encore, a donné l’exemple en étant le premier à se faire vacciner, la campagne est, de l’avis général, un succès. « Le geste royal a rassuré même les plus sceptiques quant à l’efficacité du vaccin et suscité l’engouement et la réceptivité des citoyens », relate Dr Tayeb Hamdi, médecin et chercheur en systèmes de santé. « Pour l’heure, nous assistons à une belle réussite du Maroc en matière de vaccination. Tout le processus a été réfléchi de manière scientifique, pour que l’ensemble du territoire soit couvert et pour instaurer l’équité entre citoyens, dans le respect le plus strict des recommandations internationales », résume-t-il.
Un suivi minutieux de la vaccination
Gratuite, la campagne est également progressive et cible actuellement les personnes les plus exposés (corps médical, corps enseignant, forces de l’ordre…), les personnes âgées ou souffrant de maladies chroniques et ce, qu’elles soient marocaines ou étrangères. L’objectif final est de vacciner 25 millions de Marocains et résidants dans les meilleurs délais pour atteindre l’immunité collective, seul moyen de stopper la progression de la maladie.
Pour y arriver, le Royaume a vu grand. Très grand. Plus de 25 600 personnes ont été mobilisées pour la campagne de vaccination, dont 14 400 en milieu urbain. De même, 3 047 stations fixes et plus de 7 000 points mobiles ont été déployés.
Des partenariats public-privé ont été conclus pour assurer l’acheminement des vaccins à leur arrivée aux aéroports de Casablanca et de Marrakech, par camions frigorifiques, de manière à assurer la disponibilité du vaccin partout au Maroc, et en même temps.
Autre règle d’or adoptée : la rigueur. Des GPS permettent aux autorités de tracer le parcours des camions, leurs arrêts et arrivées dans les différentes villes du pays. Les camions sont escortés tout au long de leurs trajets par les forces de l’ordre jusqu’à leur arrivée à destination. Tout au long de cette chaîne, et jusqu’à son injection, les autorités maintiennent un suivi régulier de la température des vaccins.
Cette fermeté se ressent même au niveau des centres de vaccination. Aucun égarement ou perte du moindre flacon de vaccin ne sont tolérés. Et un bilan informatique quotidien, ne se prêtant à aucune possibilité de fraude, est établi. Il est basé sur une comparaison entre le nombre de flacons utilisés dans un centre donné par rapport aux personnes effectivement vaccinées.
« Il aura suffi que dix flacons disparaissent dans un dispensaire à El Jadida pour qu’une enquête judiciaire soit enclenchée. Et n’oublions pas que des personnes influentes, mais non prioritaires, sont tombées sous le coup de la loi parce qu’elles voulaient passer avant les autres », commente le Dr Tayeb Hamdi.
La réussite de la campagne de vaccination repose également sur le fait que les pouvoirs publics n’ont pas attendu que les personnes cibles se fassent connaître. Certes, les intéressés peuvent, sur simple envoi de SMS, connaître leur date et lieu de vaccination.
Mais s’appuyant sur les registres relatifs aux cartes d’identité nationale, cartes d’électeurs et sur les données de corps constitués comme les personnels médical et enseignant, ce sont les autorités qui avisent bien souvent les concernés. Pour les maladies chroniques, les dossiers d’assurance maladie font foi. Certaines personnes âgées et d’autres habitants en milieu rural par exemple sont informés directement, et chez eux, par les auxiliaires d’autorité.
Ne pas perdre de temps
Avec près de 500 000 cas enregistrés et plus de 8 800 décès à déplorer, les craintes qui s’expriment le plus souvent portent sur une éventuelle troisième vague de propagation du virus au Maroc et les nouveaux variant, plus virulents et davantage contaminants, de la Covid-19. Face à ce risque, le Maroc verrouille ses frontières. Depuis le 30 mars, les vols en provenance et à destination de la France et de l’Espagne sont suspendus jusqu’à nouvel ordre. Ces deux pays s’ajoutent à une longue liste de destinations, notamment d’Europe, d’Afrique et du Moyen-Orient, dont la desserte est pour mise en suspens.
« Le royaume peut également gagner de la marge en espaçant la durée d’injection des vaccins AstraZeneca, actuellement de quatre semaines. Or, il s’avère que cette durée peut être de douze semaines, ce qui permettra de vacciner un plus grand nombre en première dose en attendant de prochaines livraisons », fait observer le médecin.
Autre source de questionnements : les moyens. Le solde du Fonds de gestion de la pandémie reste positif ; 3,5 milliards de dirhams (300 millions d’euros) sont encore dans ses caisses. Ce qui est loin d’être suffisant pour couvrir les futures acquisitions de vaccins. « Ce n’est pas une question de moyens, mais de temps. Et plus on en perd, plus nous sommes pénalisés sur le plan économique », nuance Mehdi El Fakir, analyste économique.
Et d’expliquer que l’État aura certainement recours à l’argent public. « Ce sera là une question purement technique et une normalisation économique rapide va combler les écarts. Heureusement, nous assistons à une année agricole exceptionnelle. Il suffira de relancer des secteurs comme le tourisme et l’automobile, grevés par la pandémie pour revenir à la normale, relancer la consommation et l’investissement. »
Le Maroc aura, entre-temps réussi un autre pari, celui de moins dépendre des importations en équipements médicaux. Nombre d’unités industrielles marocaines sont ainsi reconverties dans la production de masques de protection. Autosuffisant, le royaume a exporté 18,5 millions d’unités en quelques semaines, du 21 mai au 8 juin 2020.
Le Maroc a également conçu et fabriqué un kit de diagnostic du Sars-CoV2/Covid-19, aujourd’hui commercialisé. Et engagement a été pris par la Chine pour la mise en place d’une unité de production du vaccin Sinopharm au royaume en partenariat avec un laboratoire privé, le royaume ayant participé aux essais cliniques qui ont abouti au succès de celui-ci.
OD