Algérie : Le trésor inexploré de Malek Chebel
La fondation créée à l’initiative du fils du penseur et anthropologue algérien fédère des personnalités d’horizon divers. Elle vise à faire vivre l’islam des lumières dont Chebel était l’un des grands défenseurs.
Par Samia Lokmane-Khelil
Malek Chebel a tiré sa révérence en novembre 2016, les musulmans et l’humanité perdant là une forte conscience. Pour que « l’islam des lumières » dont il était l’un des plus ardents défenseurs et diffuseurs puisse continuer à vivre, son fils Mikaïl a créé une fondation, implantée à deux endroits.
La première pierre a été posée à Skikda, la ville natale du penseur, juste après son décès, et la seconde à Paris à la fin du mois de mai. Pour Mikaïl Chebel, cette initiative marque la volonté de faire exister l’oeuvre de son père, en la rendant accessible au plus grand nombre.
Afin de l’aider dans son entreprise, des personnalités d’horizons divers ont donné leur accord pour faire partie du conseil scientifique de la jeune institution.
Il s’agit aussi d’achever toutes les oeuvres qu’il a laissées en chantier et de permettre au public d’avoir accès à ses trésors littéraires et spirituels, dont une collection de Corans qu’il a ramenés de ses voyages. «L’objectif est de diffuser et de faire comprendre une pédagogie et un enseignement de l’islam qui manquent cruellement aujourd’hui. Nous sommes confrontés à une actualité très violente qui donne une image très négative de l’islam. Aussi il est très important de permettre la diffusion d’une spiritualité sans influence et proche de l’islam des lumières », explique le jeune président de la fondation.
Afin de l’aider dans son entreprise, des personnalités d’horizons divers ont donné leur accord pour faire partie du conseil scientifique de la jeune institution. Parmi elles figurent : le Grand rabbin de France Haïm Korsia et le père Alain de la Morandais, mais aussi les islamologues Ghaleb Ben Cheikh et Rachid Benzine, le philosophe Luc Ferry ou la sénatrice Bariza Khiari.
Tous étaient des amis de Malek Chebel. Avec Haïm Korsia et Alain de la Morandais, il animait Les enfants d’Abraham sur la chaîne de télévision française Direct 8. « Nous avions l’Algérie comme point commun, rappelle le Grand rabbin de France. Malek avait cette façon de ne pouvoir se penser qu’avec l’autre. Il était un homme toujours serein, souriant et ainsi, rassurant. Il entretenait aussi une proximité avec le judaïsme et défendait un islam parfaitement républicain. Il a accompli des choses extraordinaires».
Le souci des lecteurs
Rachid Benzine garde de lui également l’image d’un homme éclairé. « Il a su reconstituer sous nos yeux aveuglés par les violences qui s’expriment aujourd’hui, violences symboliques et physiques, un autre temps, une autre vérité : celle d’un islam classique empreint d’hédonisme, d’humanisme, un islam qui plaçait la connaissance, la science, le culte du corps, au centre de ses préoccupations. Cela semble facile à dire, et pourtant… cet islam a bel et bien existé et Malek Chebel avait le mérite de le rappeler », a-t-il écrit en hommage à son ami disparu.
Ensemble, ils ont animé des conférences. Le plus souvent, Malek Chebel était occupé par la rédaction de ses livres. Il a édité environ une quarantaine d’ouvrages. Certains autres n’ont pas été finis ou diffusés. « Mon père a passé sa vie à écrire, comme un ermite, et ne s’est pas tellement occupé de la diffusion de son oeuvre. Il avait le souci de ses lecteurs qu’il adorait rencontrer lors de Salons du livre. Mais nous avons un peu l’impression d’être face à un trésor caché à faire découvrir au plus grand nombre », confie son fils. Le premier public visé se trouve dans les milieux universitaires où les animateurs de la fondation veulent propager l’œuvre de Chebel et en faire l’objet d’un travail et d’un débat académique fructueux. Un colloque international est d’ailleurs prévu mi-novembre pour l’anniversaire de la disparition du penseur, autour de l’islam de lumières qu’il a conceptualisé. Le but, selon Mikaïl, est de permettre aux jeunes générations de musulmans de lire autrement la religion, avec un esprit de plus grande ouverture et de tolérance.