Les indispensables filets sociaux

Les politiques de protection sociale sont essentielles pour lutter contre l’exclusion du marché du travail, juge un rapport publié par la Banque mondiale, qui s’intéresse à la région Moyen-Orient et Afrique du Nord. (Réédition)
Dans la région MENA, priorité doit être donnée à la création d’un système capable de réagir aux chocs pour offrir un soutien aux revenus et offrir des opportunités aux ménages vulnérables. En effet, l’exclusion du marché du travail est à l’origine de la pauvreté et de la vulnérabilité, conclut un nouveau rapport de la Banque mondiale. Dans un format aéré, ce rapport, Built to Include : Reimagining Social Protection Systems in the Middle East and North Africa, détaille et propose une série d’actions que les gouvernements de la région peuvent entreprendre pour rendre les systèmes de protection sociale plus inclusifs et plus efficaces. Et met l’accent sur le volontarisme de certains pays comme le Maroc.
« Il est important que les gouvernements de la région MENA entament une conversation avec leurs citoyens sur la vision de la protection sociale dans le contexte d’un contrat social renouvelé, ainsi que sur la feuille de route à suivre pour progresser vers cette vision. »
Avant même les crises récentes, la plupart des pays de la région MENA étaient déjà aux prises avec la pauvreté et la vulnérabilité, car les opportunités d’emploi dans la région sont limitées, en particulier pour les femmes et les jeunes, et la plupart des travailleurs occupent des emplois informels à faible productivité.
Si la création d’emplois plus nombreux et de meilleure qualité nécessite un secteur privé dynamique, compétitif et vivant, le rapport affirme que les politiques de protection sociale peuvent jouer un rôle crucial dans la réduction de l’exclusion du marché du travail. Ce, en facilitant l’accès à des emplois productifs, en protégeant les travailleurs et en fournissant un filet de sécurité aux personnes laissées pour compte.
Pourtant, tel n’est pas le cas aujourd’hui. Par exemple, la plupart des pauvres ne reçoivent pas d’aide au revenu, et la plupart des travailleurs ne sont pas couverts par des pensions ou une assurance chômage. En outre, les politiques de protection sociale sont mal préparées à relever les défis liés au vieillissement de la population, ainsi qu’à l’impact des progrès technologiques et du changement climatique. « Les pays de la région MENA doivent mettre en place des systèmes de protection sociale inclusifs et adaptables pour répondre aux crises immédiates auxquelles ils sont confrontés aujourd’hui, tout en réduisant l’exclusion du marché du travail à l’avenir, de manière fiscalement responsable », commente Ferid Belhaj, vice-président de la Banque mondiale.
Plusieurs voies possibles
Selon qui la première priorité est d’activer un système capable de réagir aux chocs afin d’offrir un soutien au revenu et des opportunités aux pauvres, ce que certains pays de la région MENA ont déjà bien avancé. La priorité suivante devrait être d’étendre la couverture de l’assurance sociale aux travailleurs informels vulnérables. Cela devrait s’accompagner d’un soutien accru pour améliorer la productivité des travailleurs informels et accroître l’employabilité des jeunes et des femmes – tout en éliminant les obstacles à l’emploi des femmes.
« Le vieillissement de la population, l’évolution technologique et le changement climatique façonneront les économies de demain et augmenteront la demande de protection sociale. »
Bien sûr, ces politiques nécessitent davantage de ressources, mais pas à n’importe quel prix, selon la BM, qui juge à l’image du FMI que les pays de la région MENA doivent s’attaquer à la réforme des subventions généralisées à l’énergie et à l’alimentation. Ils doivent également repenser leurs systèmes de retraite pour favoriser le vieillissement actif, notamment en éliminant les incitations à la retraite anticipée. « Bien qu’il n’existe pas de voie de réforme unique, certains principes directeurs peuvent être suivis pour évoluer vers un système de protection sociale plus inclusif », considère Cristobal Ridao-Cano, économiste en chef et auteur principal du rapport. « De nombreux pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord ont déjà entamé leur parcours de réforme, offrant des exemples de la manière dont la séquence de réforme pourrait se dérouler et de la manière d’obtenir un soutien politique pour la réforme. » Soutien politique et populaire, bien entendu.
De son côté, le Maroc fournit une aide au revenu et une assurance maladie à un nombre croissant, mais encore limité, de familles pauvres, juge le Maroc. Le programme Tayssir fournit des transferts en espèces aux familles pauvres ayant des enfants, sous réserve de leur scolarisation. Il a été mis à l’essai en 2008 et s’est développé récemment, mais il ne couvrait encore qu’environ 6 % de la population en 2022. Pour la Banque mondiale, « le Maroc peut améliorer le ciblage des pauvres ».
Le Régime d’Assistance Médicale (RAMED), un régime d’assurance maladie subventionné pour les personnes pauvres et vulnérables, a été mis à l’essai en 2008 et étendu à l’échelle nationale en 2012 dans le cadre des efforts déployés pour parvenir à une couverture sanitaire universelle. À la fin de 2022, le RAMED couvre environ 27 % de la population. Depuis 2017, le Maroc développe un système de prestation intégré pour l’assistance sociale. Le Registre social unifié servira de point d’entrée et d’enregistrement unique pour tous les demandeurs de programmes sociaux et sera utilisé pour recouper les informations, évaluer les besoins à l’aide d’une méthode de ciblage commune et orienter les demandeurs vers les programmes sociaux admissibles.
Un ambitieux programme de réforme
« Une meilleure méthode pour cibler les ménages pauvres et vulnérables a également été développée et approuvée », reconnaît la BM. Le registre social unifié est opérationnel et sera utilisé pour étendre l’aide au revenu et l’assurance maladie aux ménages pauvres. La couverture des pensions et de l’assurance-chômage a été faible parce que la plupart des travailleurs sont informels, et les efforts de réforme ont été limités jusqu’à récemment. Des réformes ont été entreprises pour harmoniser les deux régimes de retraite publics (pour les fonctionnaires et les employés des entreprises publiques) et accroître leur viabilité financière. Le régime du secteur privé est limité aux travailleurs salariés et n’a pas fait l’objet de réformes importantes récemment, bien qu’un nouveau régime pour les travailleurs indépendants ait été introduit en 2022.
En 2020, le gouvernement s’est lancé dans « un ambitieux programme de réforme de la protection sociale », qui doit être achevé d’ici la fin de 2025 et qui repose sur quatre piliers : universaliser la couverture de l’assurance maladie autour de l’Assurance Maladie Obligatoire (AMO) ; universaliser le programme d’allocations familiales, qui fournit actuellement un soutien au revenu des enfants des travailleurs salariés formels et qui est financé en partie par les cotisations des employeurs ; étendre la couverture des pensions et accroître leur viabilité financière ; et étendre l’assurance-chômage.
Le Fonds national de sécurité sociale gérera tous les programmes, à l’exception des pensions du secteur public. Les quatre piliers sont à des stades de développement différents, mais ils témoignent d’un engagement fort à réformer le système de protection sociale pour le rendre plus inclusif et plus durable. L’expansion de l’aide au revenu et de l’assurance maladie sera financée par une combinaison de subventions et de contributions financées par le budget. L’AMO réformée inclut également les travailleurs indépendants, fixe les primes d’assurance pour 30 professions différentes et étend la couverture aux conjoints et aux enfants des travailleurs qui ne travaillent pas. RAMED sera remplacé par un nouveau sous-programme de l’AMO, qui paiera les primes pour les 27,5 % les plus pauvres de la population.
« Une fille née aujourd’hui dans une famille pauvre en Égypte ne peut réaliser que 50 % de son potentiel économique en raison d’investissements inadéquats en matière de santé et d’éducation. »
En ce qui concerne les allocations familiales, bien que les détails n’aient pas été précisés, la logique est la même : les prestations seront entièrement subventionnées pour les ménages pauvres et partiellement financées par des cotisations pour tous les autres. Le gouvernement prévoit de financer toutes les subventions par la réforme des subventions généralisées à la farine et au sucre, qui représentaient chacune près de 0,3 % du PIB en 2022. La réforme des pensions a commencé par l’introduction d’un nouveau régime pour les travailleurs indépendants en 2022.
Comme pour l’AMO, des taux de cotisation différents sont établis pour les différentes professions, et les cotisations sont traduites en droits à pension au moyen d’un système de points. Les cotisations sont volontaires jusqu’en 2025, date à laquelle elles deviendront obligatoires. L’« un des défis de ce nouveau régime est de s’assurer que les prestations par points sont adéquates », juge la BM. Un autre défi consiste à attirer vers le programme les travailleurs informels dont la capacité d’épargne est limitée. Une solution possible consiste à introduire des cotisations de contrepartie pour ces travailleurs. « Il est peut-être trop tôt pour rendre le régime obligatoire d’ici 2025 ; les revenus informels sont souvent irréguliers et imprévisibles, et il faudra peut-être un certain temps pour que les travailleurs informels prennent confiance dans le programme », conclut le rapport, dans un encadré consacré au Maroc.
@AB