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Société

Maroc : Le temps des tycoons

  • Publiénovembre 20, 2017

À la tête des principaux partis politiques, les notables traditionnels ou les militants semblent perdre en influence face à de riches entrepreneurs. Après celle du Zaïm (chef traditionnel) le Maroc est-il rentré dans l’ère du Tycoon ?

Rabat, Olivier Deau

La scène n’est pas passée ina­perçue. En plein congrès de l’Istiqlal, le plus ancien des partis politiques marocains, les assiettes du dîner volent littérale­ment entres deux clans opposés pour le poste de secrétaire général. Deux candi­dats aux antipodes l’un de l’autre s’af­frontent, le sortant, Hamid Chabat, et le challenger finalement gagnant, Nizar Baraka. Pourtant c’est un troisième homme qui tire les ficelles de ce congrès, c’est même lui qui paie les assiettes cas­sées : Hamdi Ould Errachid, un des plus gros financeurs du parti, vient de renver­ser ses alliances pour permettre l’élection d’un nouveau représentant à sa tête.

Au-delà de financer le congrès avec la contribution d’un autre homme d’affaires du mouvement, Abdessamad Qayyouh, Hami Ould Errachid place ses partisans aux postes exécutifs du parti dont il devient un des patrons de fait. L’hebdomadaire TelQuel retrace les contours de ce congrès de tous les débor­dements, tout en plaçant en couverture sa photographie, trônant tel un parrain dans un fauteuil en cuir. « Ould Errachid n’est pas le seul milliardaire en politique, il fait partie d’une tradition de notables engagés en politique et il vient d’une région importante pour le parti, le Sahara, dont il a assuré les deux présidences de région à l’Istiqlal grâce à son influence », com­mente Abdellah Tourabi. L’éditorialiste poursuit : « L’intérêt de cette séquence poli­tique, c’est aussi que le profil du nouveau dirigeant, Nizar Baraka, technocrate et politique expérimenté, donne au parti des perspectives pour une intégration au gou­vernement alors qu’il siège dans l’opposi­tion aujourd’hui».

 Du coût des campagnes électorales

Mais argent et politique font-ils bon ménage ? En 2013, invité à un séminaire de la Banque mondiale sur la gouvernance, Hamdi Ould Errachid déclarait sous les yeux ébahis de ses hôtes qu’une campagne politique « coûte cher, plus de deux millions de dirhams (180 000 euros) » avant d’enchaîner devant le silence de ses interlocuteurs : « Ne vous inquiétez pas, on s’y retrouve. » Cette déclaration, surprenante pour qui n’a pas observé les élections et ses campagnes politiques aussi éphémères qu’ostentatoires, témoigne des réalités du terrain. Selon la loi électorale, l’État prévoit 250 000 dirhams (22 500 euros) à verser aux partis politiques pour la campagne électorale de leur candidat. « Les frais sont bien plus élevés, les cam­pagnes se professionnalisent et nous devons payer des permanents », explique Hassan, ancien directeur de campagne dans la ville de Mohammedia.

Le phénomène d’achat de voix, abondamment commenté, alourdit parfois la facture. Un cadre du PJD, le parti islamiste à qui les 120 sièges d’élus ont assuré le droit de diriger la coalition gouvernementale, considère que son parti « n’est pas riche et ne fait pas campagne avec l’argent ». Il sourit, se remémorant l’échec de certains candi­dats fortunés de Casablanca : « Lorsque le candidat rival utilise ce moyen, nous disons aux électeurs « prenez leur argent mais donnez-nous vos voix ! » » Le parti islamiste avait pointé du doigt avec insistance le parti Authenticité et Modernité (PAM), arrivé deuxième avec 100 députés élus, et dont les can­didats sont de manière assez récurrente des hommes d’affaires du milieu rural en capacité d’assumer les frais de cam­pagne. « Le PAM ne serait pas deuxième sans l’argent », dénonçait alors le direc­teur général de la formation islamiste Abdelhaq El Arabi, le soir des résultats. D’autres partis semblent se transfor­mer au contact de ces logiques.

Des technocrates et hommes d’affaires aux commandes

Dans son dernier ouvrage, la poli­tologue Mounia Bennani Chraïbi revient longuement sur la transfor­mation du parti socialiste historique, l’USFP. « Il s’est transformé d’un parti de cadres intellectuels urbains dans les décennies précédentes en un parti d’entrepreneurs, plutôt du milieu rural. L’élection de 2016 étant l’aboutissement quasiment parfait de ce processus » écrit-elle à l’issue de la collecte des données professionnelles et géographiques des nouveaux élus.

« L’argent et les sponsors financiers en politique ne sont pas une nouveauté au Maroc. De tout temps, il y a eu des sponsors et des élections de riches notables », nuance Abdellah Tourabi. « Ce qui est nouveau c’est peut-être la place plus importante que prennent certains hommes d’affaires dans les partis sans mélanger les différentes situa­tions. De manière générale, on observe une sorte de prime à la technocratie et à ceux qui sont supposés connaître le mieux les milieux d’affaires, car la priorité de l’État est clairement le développement écono­mique. »

L’emblème de ce nouveau para­digme semble être incarné par un homme : Aziz Akhannouch. Réputé l’un des ministres les plus influents du gouvernement, il a été propulsé à la tête du parti RNI en octobre 2016. Le patron du groupe AKWA est connu pour sa prodigalité dans sa région d’origine, le Souss. Il vient d’ailleurs d’une famille dans laquelle politique et affaires vont de pair. Son père avait bénéficié du monopole de distribution nationale de l’essence en remerciement de l’engagement dans le mouvement national marocain. « Aziz Akhannouch n’avait jamais joué les premiers rôles politiques, jusqu’à l’issue des élections d’octobre 2016. Il avait même quitté son parti lors de la défaite de 2011 pour mieux rester au gouverne­ment. Il a été intronisé président du RNI pour sauvegarder les intérêts du parti dans la négociation gouvernementale », explique un commentateur politique. Aziz Akhannouch pèse effectivement, autant par sa fortune – estimée à 1,4 milliard de dollars par Forbes – que par les relations de proximité qu’on lui prête avec le monarque.

L’enrichissement instrumentalisé

Le débat entre argent et politique est aussi marqué par des tabous et de la discrétion du côté des électeurs. « Sur les enquêtes électorales que nous avons menées, aucun enquêté n’avoue avoir touché de l’argent pour voter, la question est mal vécue. Sans doute parce que nous touchons là aux valeurs et que cette pratique n’est pas considérée comme éthique », explique un chercheur basé à Rabat.

L’accusation d’enrichissement au pouvoir est d’ailleurs une des attaques les plus fréquentes pour disqualifier ses opposants, en témoigne la récente polé­mique interne qui agite le PAM. Dans un contexte de renouvellement de lea­dership du parti, un de ses membres éminents, Fatima-Ezzahra Mansouri, pointe du doigt l’enrichissement de cer­tains cadres du parti, sur fond de crise interne. L’éthique reste dans ce contexte un des principaux arguments du parti islamiste, particulièrement efficace dans les circonscriptions urbaines dans les­quelles il réussit à faire élire et réélire ses cadres sur une image de probité.

Ce qui pose un débat de fond au sein des formations partisanes : où tracer la ligne de l’influence entre idées politiques et argent ? « Le processus de formation de l’élite politique est asymétrique, favorisant ceux avec le plus de ressources mais il reste aussi dépendant d’un équilibre entre jeux de pouvoir locaux et orientations natio­nales », explique un politologue qui nuance : « Les notables sont quasiment iné­vitables dans le rural mais les élections se jouent aujourd’hui dans les villes, il y aura un jour un aggiornamento des partis à cet égard. » Tandis que les manoeuvres de recomposition des leaderships partisans avancent à grand train, la question de l’argent pourrait se poser avec de plus en plus d’acuité.

Écrit par
Olivier

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