Le combat incessant contre les mutilations génitales

Ce 6 février marquait la Journée internationale de tolérance zéro contre les mutilations génitales. En Afrique, les programmes de sensibilisations portent leurs fruits, mais sont fragilisés par les conflits et les déplacements de population.
Les organisations internationales redoutent que le nombre des mutilations génitales féminines n’ait augmenté, ces derniers mois en Afrique. Les conflits, le changement climatique, l’augmentation de la pauvreté et des inégalités entravent les efforts visant à éliminer cette pratique et la discrimination qui la sous-tend.
Par exemple, près de 65 % des femmes et des filles mauritaniennes, âgées de 15 à 49 ans, ont subi des mutilations génitales féminines, bien que cette pratique soit officiellement interdite depuis 2017. On estime que trois filles en bas âge sur quatre sont encore contraintes de la subir aujourd’hui. Au Tchad, 34% des femmes l’auraient subie, selon l’Unicef.
« Pour mettre fin à ce crime, il faut scolariser les filles, impliquer les hommes, convaincre certains chefs religieux et sensibiliser les populations locales. Il va disparaître, c’est une question de temps. »
Il s’agit d’une coutume « enracinée dans l’inégalité des sexes et les déséquilibres de pouvoir, un acte de violence sexiste qui porte atteinte au corps des filles, assombrit leur avenir et met leur vie en danger », déplore Natalia Kanem, directrice exécutive de l’UNFPA (Organisation des Nations unies pour la population).
Qui regrette que cette question soit trop souvent considérée comme étant un « problème de femmes ». Non seulement les femmes et les filles subissent des mutilations génitales, mais dans de nombreuses cultures, ce sont les femmes qui les pratiquent traditionnellement. En fait, cette pratique est le produit de normes sexospécifiques bien ancrées et inégales, des questions auxquelles les femmes et les filles ne peuvent pas s’attaquer seules.
L’UNFPA considère que pour lutter efficacement contre les mutilations génitales féminines, les hommes et les garçons doivent devenir des alliés ; non seulement dans les efforts visant à abandonner cette pratique, mais aussi pour redresser les déséquilibres de pouvoir entre les sexes.
Au cours des cinq dernières années, le programme conjoint UNFPA-UNICEF a soutenu plus de 3 000 initiatives appelant les hommes et les garçons à devenir des défenseurs actifs, à convaincre leurs pairs et à s’exprimer par solidarité avec les femmes et les filles. Au Kenya, par exemple, une cinquantaine de réseaux totalisant plus de 43 000 hommes et garçons font désormais pression contre cette violation brutale et illégale des droits de l’homme.
La dénonciation est compliquée
La prise de conscience avance : en Éthiopie, 87% des hommes se disent aujourd’hui opposés aux mutilations génitales, selon un rapport de l’Unicef.
L’UNFPA relate le témoignage de Marie Gomez (photo), commissaire divisionnaire de la police à Conakry, la capitale de la Guinée, un pays où l’on estime que 95 % des femmes et des filles ont subi des mutilations génitales féminines.
Marie Gomez tente de faire appliquer une loi de 2018 contre cette pratique, mais sait que les auteurs de ces actes sont largement entrés dans la clandestinité. « Les parents se cachent maintenant. Avant, c’était une pratique publique, réalisée par des proches parents ou des grands-mères. Mais maintenant qu’elle est pratiquée dans un cercle restreint, la dénonciation est compliquée. »
Son unité collabore avec des ONG locales pour sensibiliser le public, les Nations unies offre des formations et un espace sécurisé où les survivants peuvent demander de l’aide à des psychologues, des infirmières et des avocats. Ici ou là, les pratiques reculent, mais les progrès sont encore lent.
En 1994, le professeur Michel Akotionga a été le premier médecin du Burkina Faso à pratiquer une opération pour réparer les dommages physiques causés par les mutilations génitales féminines. Depuis, il a formé plus de 600 sages-femmes, infirmières et gynécologues à la chirurgie réparatrice. « J’ai appris à opérer avec le strict minimum. Même dans la brousse la plus reculée, nous pouvons le faire. »
Près de 70 % des femmes et des filles au Burkina Faso ont été soumises à cette pratique, pourtant illégale depuis 1996. En 2022, 1 300 villages du pays ont bénéficié de séances de formation destinées à promouvoir une meilleure compréhension, une meilleure communication et encourager l’action. Au fil des mois, les interventions du professeur Akotionga sont passées de six à deux par mois, signe que les populations se détournent de plus en plus de cet acte.

Malgré les progrès, il faut poursuivre la lutte, estime le praticien ; pour qui les éléments nécessaires pour bannir le crime sont clairs : « scolariser les filles, impliquer les hommes, convaincre certains chefs religieux et sensibiliser les populations locales. Il va disparaître, c’est une question de temps. »
Charge aussi aux États de faire respecter la loi : Épiphanie Nodjikoua Dionrang, présidente de la Ligue tchadienne des droits des femmes, considère au micro de RFI que son gouvernement « ne met pas vraiment la pression pour punir les auteurs (de ce délit), tout le monde se dit que c’est normal de le faire ».
L’objectif des Nations unies était d’avoir mis fin à cette pratique à horizon 2030. Si la lutte ne s’intensifie pas, c’est l’inverse qui risque de se passer, redoutent-elles désormais. Quelque 4,2 millions de filles dans le monde subissent des mutilations chaque année ; elles pourraient être 4,6 millions en 2030, si les programmes d’appui continuent d’être perturbés par les conflits.
@NA