Hulot: Osons casser les codes
Envoyé spécial du président de la République française pour la protection de la planète, Nicolas Hulot mobilise toutes les énergies avant la COP21 qui réunit 196 pays pour faire face aux changements climatiques.
Quel a été le déclic de votre passion pour l’environnement, la Terre et la nature ?
Il n’y a pas eu un événement particulier, mais une prise de conscience accélérée car dans mon ancienne profession, lorsque je réalisais des documentaires, j’ai pu mesurer à l’échelle planétaire la rapidité avec laquelle – sans forcément en prendre conscience – nous nous étions mis en situation de dégrader les grands équilibres et que l’homme risquait lui-même de devenir sa propre menace. Je me suis rendu compte que la nature était beaucoup plus vulnérable qu’on ne le pensait. Tout cela a mûri durant 25 ans. J’ai eu la chance, toute ma vie, de parcourir la planète dans toute sa diversité et sa complexité et j’ai pu mesurer de manière presque sensorielle l’impact de l’homme sur la planète.
Pourquoi vous être engagé aussi résolument aux côtés de François Hollande ?
L’humanité est au bord d’un point de rupture physique et psychique. Si je voulais être en cohérence entre mes inquiétudes, mes espoirs et mon engagement, il fallait que je donne 100 % de mon temps. J’ai fait partie de ceux qui ont convaincu sans difficulté le président Hollande d’accueillir la Conférence de Paris. C’est probablement la dernière occasion que nous avons, d’une manière apaisée, de ne pas laisser des phénomènes devenir irréversibles. J’ai donc entrepris il y a trois ans cette mission. Ici, à l’Élysée, je pense que j’ai obtenu énormément de choses – en termes d’influence et d’impact – que je n’aurai pas obtenues si j’avais été simplement candidat à la présidentielle. Mon rôle a été non seulement de dresser un constat, mais aussi d’identifier des solutions. Je n’ai pas révolutionné le monde, mais c’est dans cette mission ces trois dernières années que je pense avoir été le plus efficace.
Cette COP 21, c’est votre dernier combat ?
Non, mais c’est un moment de vérité pour l’humanité. Tout ce qui a de l’importance à nos yeux en France et en Afrique notamment, est conditionné par le succès ou par l’échec de cette Conférence. Si nous laissons les changements climatiques dépasser la barre fatidique des 2°, nous ne pourrons plus assister qu’en spectateurs atterrés à des conséquences tragiques. L’écologie n’est ni de gauche ni de droite, c’est un sujet transversal qui conditionne tous les autres. L’écologie, c’est la prise en compte de la finitude du monde et de nos ressources, de la vulnérabilité de notre propre situation à la surface de la terre.
« Osez en finir avec les beaux discours et les déclarations d’intention car vous êtes devant une responsabilité historique », lancez-vous dans un manifeste adressé aux chefs d’État et de gouvernement. En ont-ils vraiment conscience ?
Comme les scientifiques nous le disent, le fameux seuil d’irréversibilité est juste devant nous. L’heure n’est plus aux lamentations, mais à l’action. C’est pourquoi nous avons identifié dans ce manifeste intitulé « Osons » une dizaine de mesures qui nous semblent incontournables si l’on veut être crédibles dans les engagements pris à Paris. Il faut maintenant oser passer à l’action et y aller en grand ! Si on y va à fond, c’est-à-dire que tous les investissements publics puis les investissements privés se lancent dans les énergies renouvelables, le coût de ces énergies va chuter encore plus vite et devenir ainsi accessible, y compris aux pays en difficulté et qui n’ont pas les moyens d’acquérir ces technologies propres. Si l’avenir de l’humanité est en train de se jouer, il ne faut plus hésiter et oser casser les codes ! Sortir des sentiers battus dans les domaines de la finance, de l’économie, de l’énergie, de l’agriculture…
Dans cette prise de conscience, quel rôle a joué le pape François avec son encyclique verte « Laudato Si »… Il vous a donné un sacré coup de main !
Dans la mobilisation des sociétés civiles, son initiative s’avère inespérée en termes d’efficacité. L’engagement du Pape, dans son encyclique comme dans tous ses déplacements, a interpellé au-delà des croyants et a poussé les autres religions à lui emboîter le pas. Vous avez eu cet été à Istanbul une déclaration des musulmans et d’autres confessions ont suivi. Cela a sacralisé un enjeu.
« Pour la première fois, l’humanité peut s’autodétruire », écrivez-vous. Ne craignez-vous pas de passer pour un « illuminé » ?
Mine de rien, nous avons en l’espace de 150 ans dégradé les écosystèmes qui s’étaient établis pendant des millions d’années. Et si nous continuons le modèle économique dominant, nous allons sortir de ce siècle avec 90 % des ressources naturelles et des matières premières à l’épuisement. Nous sommes dans une situation critique. Si nous franchissons cette fameuse barre des 2°, les conséquences sur nos économies et nos démocraties seront dévastatrices. Je ne sais pas si l’humanité disparaîtra, mais les conditions d’existence de l’humanité vont devenir infernales. Lisez les rapports de la Banque mondiale, qui ne peuvent être taxés d’illuminés. Ils nous disent que si nous laissons les changements climatiques nous échapper, toutes nos démocraties et nos économies imploseront. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Banque mondiale.
Vous écrivez aussi : « La crise climatique frappe d’emblée les plus vulnérables », c’est-à-dire les pays du Sud menacés bien souvent par la désertification et l’exode des populations…
Les changements climatiques déplacent d’ores et déjà chaque année des millions de personnes (trois fois plus que les réfugiés liés à des conflits) et en tuent des centaines de milliers d’autres. Il ne faut pas oublier cette réalité-là, même si elle n’est pas encore très visible dans les rues de Paris ou de New York.
En Afrique, que vous avez parcourue de long en large comme journaliste, que voit-on déjà ?
J’ai vu le désert avancer comme une coulée de lave. On voit à l’oeil nu, et c’est encore plus parlant par images satellites, la déforestation, la désertification, la dégradation des écosystèmes. Vous voyez en dix ans des lieux qui grouillaient de vie et qui, d’un coup, deviennent pratiquement désertiques. Cela vaut pour des endroits où j’ai plongé il y a 20 ans ! Où que j’aille, des agriculteurs ou des paysans me disent : moi avant, je faisais deux, trois quatre récoltes par an et maintenant je n’en dégage plus qu’une. Tous les phénomènes décrits dans les rapports scientifiques, je les ai vus à l’oeuvre que ce soit à Madagascar ou au Sahel et même chez nous en France. Avec des conséquences sanitaires dramatiques, la perte des rendements agricoles, la pénurie d’eau, etc.
Comme l’assèchement du lac Tchad ?
J’ai beaucoup travaillé avec Hindou Amara, qui est une Peule du sud du Tchad et qui me donnait cet exemple : avec nos troupeaux, nous arrivions chaque jour avec une chèvre à remplir plusieurs gourdes de plusieurs litres et maintenant à peine une tasse de café ! L’augmentation d’un à deux degrés dans la bande sahélienne, cela nous paraît insignifiant, mais cela rend les conditions de vie, qui étaient déjà particulièrement précaires, quasiment impossibles. C’est pourquoi je soutiens cette initiative de création de la fameuse « muraille verte » que différents pays du Sahel comme le Sénégal ont commencé à établir pour combattre la désertification, pour redonner de la productivité au sol et pour refixer les populations.
Le président sénégalais Macky Sall appelle les pays riches à « mettre de l’argent sur la table » pour que les pays d’Afrique évitent de recourir demain à des énergies fossiles polluantes comme le charbon, le gaz ou le pétrole et puissent s’engager dans des « énergies propres et durables »…
C’est tout l’enjeu de Paris. Que les pays – qui ont une responsabilité historique – assument la promesse faite, à Copenhague en 2009, aux pays du Sud (qui émettent le moins de gaz à effet de serre) de trouver 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 – et si possible avant – pour s’adapter au changement climatique. Leur donner accès à des sources d’énergie qui à terme sont gratuites comme le soleil, c’est le meilleur service que l’on puisse leur rendre.
Le Nord doit donc plus au Sud que l’inverse ?
Si l’on fait un bilan entre ce que le Sud nous a donné en termes de ressources, de main-d’oeuvre ou de soldats, c’est pour moi une évidence et on doit l’assumer. Nous devons reconnaître – comme le Pape l’a rappelé – que nous avons aussi une dette écologique vis-à-vis de l’Afrique. Nous sommes dans un monde connecté et hyper-réactif où tout se voit et tout se sait. Tant que vous aviez d’un côté le club des nantis et de l’autre les « damnés de la terre » qui ne se voyaient pas… Mais personne ne pourra aspirer à vivre en paix tant que nous nous accommoderons de ces inégalités.
Taxer les transactions financières, vous y croyez ?
Cette taxe sera incontournable… On peine à trouver 100 ou 200 milliards de dollars alors que, dans le même temps, les États allouent chaque année 650 milliards de subventions ou d’exonération aux énergies fossiles. Or, si vous soumettiez le volume de ces transactions financières à un prélèvement de 0,01 % – ce qui est insignifiant – vous auriez ces 200 à 300 milliards instantanément. Un chef d’État sud-américain a dit que, si la planète était une banque, on l’aurait sauvée depuis longtemps ! On l’a bien vu lors de la crise économique en 2008 : l’argent est arrivé à foison et on n’a pas eu d’états d’âme pour faire de la création monétaire.
Un dernier message d’espoir pour l’Afrique…
Chaque Européen doit comprendre que notre sort est intimement lié au destin de l’Afrique et que nous avons maintenant besoin d’une solide relation de partenariat. Nous avons beaucoup à apprendre de l’Afrique. Un exemple : j’ai visité il y a peu au Bénin une ferme basée sur la réhabilitation des sols désertifiés avec des techniques très efficaces et d’une grande simplicité, qui sont reproductibles à grande échelle. Ce sont des solutions générées par les Africains eux-mêmes et qui peuvent servir à lutter contre la désertification dans le monde entier. L’Afrique est une terre pionnière et nous aurions un intérêt majeur à regarder ce qu’elle est en train de réaliser et à l’accompagner.