Malgré tout cela, je ne voudrais garder en moi que le souvenir d’une amitié qui a duré quarante ans et d’un maître qui, au début de mon parcours de chercheur, a guidé mes pas hésitants par son immense savoir, sa lecture clairvoyante des textes, qu’il n’hésitait pas à critiquer fermement, tout en exprimant ouvertement son opinion et en encourageant les autres à faire autant. Exigeant avec lui-même, il avait horreur de la médiocrité.
Ce sont ces qualités que plusieurs générations d’étudiants et de chercheurs, en Tunisie et ailleurs, appréciaient chez lui, et qui m’ont conduit à diriger un livre d’hommage qui lui a été dédié à l’occasion de ses 70 ans.
Les contributions de Mohamed Talbi à l’histoire de l’Ifriqiya (région qui correspond aujourd’hui à la Tunisie, l’est de l’Algérie et l’ouest de la Libye) en particulier et du monde islamique en général, durant la période appelée par erreur Moyen-Âge, s’agissant de l’ère de la prospérité islamique, resteront des phares qui éclaireront les chercheurs et les historiens.
Faire bouger les lignes
D’autre part, l’audace qu’il a montrée dans le combat mené contre le despotisme de Ben Ali, lui qui était classé comme conservateur de droite, ce dont témoigne d’ailleurs son opposition à certains points du projet de statut de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH), peu parmi les porteurs de la bannière de la pensée peuvent s’en prévaloir.
Quant à ses positions hostiles à l’islam politique avec toutes ses composantes et à sa campagne contre la charia, comme étant un ensemble de règles imposées par des « fouqahas » (jurisconsultes) et non obligatoires, comme le croient le commun des mortels et les représentants de l’institution religieuse, elles ont tracé la voie pour toute rénovation de la pensée islamique, qui remet en question les certitudes fondées sur une ignorance ancrée dans nos sociétés.
Même s’il n’a pas toujours respecté son appel à une lecture dynamique du texte coranique, tombant souvent dans une lecture littérale du texte sacré qui ne tient pas compte de son contexte historique, l’obstacle psychologique, qui ne lui a pas permis d’aller jusqu’au bout de la logique de la recherche, ne l’a pas empêché de faire bouger les lignes et d’appeler à être sincère avec soi-même en toutes circonstances.
Aussi, et quelles que soient nos opinions et que nous soyons d’accord ou non avec les siennes, nous ne pouvons qu’apprécier sa foi sincère et profonde et sa personnalité fière et réfractaire, lui qui n’a cessé de répéter que sa religion est la liberté.
*Abdelmajid Charfi est président de Beit Al- Hikma, l’Académie tunisienne des sciences, des lettres et des arts.
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