x
Close
Société

Et si le retour des migrants était bon pour l’Afrique ?

Et si le retour des migrants était bon pour l’Afrique ?
  • Publiéoctobre 20, 2022

Après l’accord visant à transférer les demandeurs d’asile du Royaume-Uni vers le Rwanda, le gouvernement britannique pourrait intensifier sa politique anti-migratoire. Cet accord, qui pourrait s’étendre à la Zambie, suscite une vive controverse, mais quelques voix africaines saluent sa promesse de développement humain.

 

La question migratoire ne cesse d’empoisonner les relations entre le Nord et le Sud. Tandis que l’on prête l’intention au nouveau Premier ministre Liz Truss de durcir la politique migratoire de la Grande-Bretagne, sa ministre de l’Intérieur a récemment exprimé en public un « rêve » un peu particulier : « Voir à la une du Telegraph un avion plein de réfugiés décollant pour le Rwanda. » Des propos qui ont choqué et surpris, dans la mesure où la ministre en question, Suella Braverman, est elle-même fille d’un réfugié kenyan !

Ce rêve fait suite à l’accord controversé intervenu au printemps entre le Royaume-Uni et le Rwanda sur le transfert des demandeurs d’asile. Paradoxalement, cet accord, vivement critiqué, a pourtant été salué par certaines voix africaines.

Des discussions sur un accord visant à expulser les demandeurs d’asile arrivant au Royaume-Uni vers la Zambie sont en cours, a déclaré une source du ministère zambien des Affaires étrangères à NewAfrican.

Cet accord potentiel fait écho à celui signé par le Royaume-Uni et le Rwanda en avril 2022, qui prévoit le transfert des migrants arrivant par des moyens « irréguliers » sur les côtes britanniques vers le pays d’Afrique de l’Est, où leurs demandes d’asile seront traitées. En contrepartie, le Royaume-Uni versera 120 millions de livres (près de 140 millions d’euros) au Rwanda et prendra en charge les frais de traitement et d’intégration de chaque personne relocalisée. Les personnes ainsi expulsées n’auront pas le droit de revenir au Royaume-Uni.

« Nous avons une forte fuite des cerveaux qui quittent l’Afrique, car la migration a été politisée. C’est une bonne chose que les gens reviennent en Afrique, car cela apporte de la diversité et, qui sait, ils seront peut-être le prochain Elon Musk. »

Les responsables britanniques et leurs homologues zambiens attendent de voir comment se déroule le partenariat entre le Royaume-Uni et le Rwanda en matière de migration et de développement économique avant de progresser, a indiqué la source.

La politique d’expulsion a suscité un tollé international, tandis que des manifestants se sont rassemblés contre ce plan dans les centres de détention du Royaume-Uni. Selon certains experts, l’accord pourrait toutefois être le signe d’une nouvelle tendance dans la politique mondiale en matière de réfugiés, provoquée par une vague croissante d’immigration du monde en développement vers l’Europe.

 

Le Danemark pourrait suivre

Selon les données officielles, le nombre d’entrées « irrégulières » au Royaume-Uni a atteint 35 000 en 2021, dont la majeure partie (28 526) est arrivée par bateau. L’année précédente, l’immigration de ce type était estimée à 8 404, et à moins de 2 000 en 2019.

« C’est là que va la tendance de façon permanente », estime Sugzo McBride Dzekedzeke, avocat spécialisé dans l’immigration et ancien chargé de cours en droit international des réfugiés à l’Université de Zambie.

Le fossé qui se creuse entre le Nord et le Sud de la planète étant à l’origine de pressions migratoires dans les pays en développement et le sentiment anti-immigrés augmentant dans un certain nombre de pays européens, les décideurs politiques cherchent des moyens de gérer la crise, explique Teresa Nogueira Pinto, experte en affaires africaines du groupe de réflexion GIS Reports, basé au Lichtenstein.

« Il s’agit notamment de délocaliser la gestion des demandes d’asile et, plus généralement, des flux migratoires illégaux », explique-t-elle. « Dans ce contexte, l’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda pourrait devenir une source d’inspiration pour d’autres États aux prises avec des pressions migratoires croissantes. »

Le ministère britannique de l’intérieur, qui dépense actuellement 4,7 millions de livres sterling par jour pour loger les demandeurs d’asile dans des hôtels, espère que l’accord avec le Rwanda dissuadera les migrants de tenter d’entrer au Royaume-Uni en traversant la Manche depuis la France dans des bateaux souvent en mauvais état.

Les gouvernements britannique et rwandais font également la promotion de cet accord auprès des agences des Nations unies et d’autres pays en tant que solution innovante pour un régime international de protection des réfugiés « défaillants », selon une récente note de recherche de la Chambre des Communes.

 

L’exemple d’Israël

En avril, il est apparu que le Danemark était en pourparlers avec le Rwanda pour une nouvelle procédure de transfert des demandeurs d’asile vers la nation est-africaine. Une telle démarche irait à l’encontre des règles européennes, mais le Danemark a choisi de ne pas appliquer la plupart des législations européennes en matière d’asile.

Un accord bilatéral visant à transférer des migrants d’un pays vers le Rwanda n’est pas nouveau. Environ 4 000 demandeurs d’asile érythréens et soudanais ont été envoyés au Rwanda et en Ouganda depuis Israël entre 2013 et 2018, dans le cadre d’un accord secret.

Les témoignages de migrants recueillis par l’Initiative internationale pour les droits des réfugiés (IRRI) suggèrent que les renvois n’étaient pas volontaires et qu’à leur arrivée, les réfugiés n’ont pas été bien traités. Un migrant a raconté que son permis d’asile avait été révoqué après quatre ans en Israël et qu’on lui avait donné le choix entre être renvoyé chez lui, être transféré dans un centre de détention pour migrants ou accepter 3 500 dollars et un vol aller simple pour le Rwanda.

À leur arrivée au Rwanda, les réfugiés n’ont pas reçu le statut légal promis à l’origine et n’ont pas pu trouver de travail, selon le rapport de l’IRRI, ce qui soulève la question de savoir si le Rwanda est en fait un endroit approprié pour la réinstallation.

« La plupart des réfugiés qui se sont rendus au Rwanda semblent avoir quitté le pays presque immédiatement pour l’Ouganda en payant des passeurs locaux, soit parce qu’ils n’avaient pas l’intention de rester à Kigali, soit parce qu’une fois sur place, ils ont compris que rester n’était pas vraiment une option », indique le rapport.

Les réfugiés seront logés dans le Hope Hostel, un hôtel économique rénové de cinquante chambres, situé dans la banlieue de la capitale. L’auberge est équipée de chambres autonomes avec des canapés, un lit et une télévision, et l’établissement disposerait du Wi-Fi, d’ordinateurs et de terrains de basket.

« Ce n’est pas un cinq-étoiles mais je dormirais moi-même dans cet endroit, et je suis avocat à Kigali », commente Gatete Nyiringabo. Pour qui le tollé international suscité par l’accord constitue « une insulte au Rwanda et au rôle qu’il joue en tant que refuge pour les réfugiés de toute l’Afrique ». Il regrette que les médias britanniques aient dépeint le pays comme « une sorte d’enfer dystopique où les gens viennent pour mourir ».

« Du point de vue rwandais, nous accomplissons un acte humanitaire. Pourtant, les médias britanniques nous insultaient quotidiennement. Il est juste de faire campagne contre l’expulsion des migrants. Mais je ne pense pas qu’il soit constructif de le faire au détriment du pays d’accueil juste pour faire valoir son point de vue. Ce n’est plus du militantisme, cela devient du racisme ».

 

Une insulte au Rwanda

Le Rwanda accueille des réfugiés depuis plus de deux décennies. Selon l’Agence des Nations unies pour les réfugiés, il héberge actuellement 120 780 réfugiés et demandeurs d’asile, dont 82 501 en provenance de la RD Congo et 25 000 du Burundi.           

Sugzo McBride Dzekedzeke concède que le niveau de vie des réfugiés en Zambie et au Rwanda peut ne pas correspondre à celui du Royaume-Uni en raison de la pauvreté généralisée dans ces deux pays africains. Mais là n’est pas la question, juge l’expert.

« Un réfugié cherche un endroit sûr. Donc si le Rwanda est sûr, c’est bon pour un réfugié. Pourquoi devrait-il insister pour être à Londres ou à New York alors que tout ce qu’il recherche est la sécurité ? » D’ailleurs, ce transfert est « bon pour la croissance de l’économie parce que ces personnes apportent des compétences diverses. Et l’intégration est bonne pour le développement humain ».

Le Rwanda est souvent présenté comme une réussite africaine et un exemple de la renaissance du continent. La reprise du pays après la Covid-19 est forte, son PIB retrouvant son niveau de croissance d’avant la pandémie.

Paul Kagamé

 

Malgré les protestations de l’Occident, l’accord peut être considéré comme un moyen de ramener les compétences dont le pays a besoin pour échapper à la pauvreté, affirme Gatete Nyiringabo.

« Les gens pensent que les migrants ne sont pas allés à l’école, mais pour pouvoir se permettre de voyager en Occident, il faut avoir des moyens financiers. Nous avons une forte fuite des cerveaux qui quittent l’Afrique, car la migration a été politisée. C’est une bonne chose que les gens reviennent en Afrique, car cela apporte de la diversité et, qui sait, ils seront peut-être le prochain Elon Musk. »

@NA

 

Écrit par
Shoshana Kedem

Laissez un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *