Des racines profondes
La diaspora africaine se distingue des autres. Souvent, les migrants sont issus de populations arrachées brutalement à leur terre. Avec l’Afrique, la diaspora tisse un lien ambivalent : elle cherche à lui apporter le développement tout en contestant l’hégémonie du Nord.
Au carrefour de l’étymologie et de l’histoire, a surgi un mot aux diverses fortunes : diaspora. Issu de la langue grecque, ce substantif désigne la dispersion d’une communauté ethnique, voire de tout un peuple. Du fait des vicissitudes très caractéristiques de l’aventure humaine, le terme diaspora est de plus en plus abonné au pluriel, via moult diasporas, arménienne, palestinienne, irlandaise, chinoise, africaine, etc.
En 2005, un rapport publié par la Commission globale sur les migrations internationales, émanation des Nations unies, évaluait à 200 millions le nombre de migrants. D’autres études plus affinées et plus récentes suggèrent de multiplier par trois ce chiffre, pour obtenir une plus exacte statistique des entités plus ou moins “ diasporiques ”, soit 600 millions d’individus. Au-delà des chiffres révélateurs, les causes du phénomène sont bien plus intéressantes à recenser.
D’emblée, il est possible d’en énumérer trois. Premièrement, la dispersion contrainte, en l’absence d’un pays propre. C’est le cas de la diaspora palestinienne née de la confiscation de pans entiers de territoires par Israël. Deuxièmement, une difficulté d’existence momentanée peut entraîner la dissémination d’une communauté peu ou prou nationale. Deux exemples : les petites diasporas irlandaise et tibétaine. Enfin – troisième type de causes – un choix (libre) d’activités et de modes de vie a engendré la vieille et vaillante diaspora chinoise.
Le Festival mondial des arts nègre a pour objectif sous-jacent de sensibiliser les élites de la diaspora, au sort de l’Afrique plombée, en partie, par les défis d’une gouvernance encore très perfectible.
Au sud du Sahara, se trouve la matrice de l’une des diasporas les plus emblématiques d’une transplantation communautaire très douloureuse. En effet, l’Afrique noire – pour reprendre la terminologie jadis en vogue dans les manuels de géographie coloniale – enferme les racines esclavagistes d’une diaspora pionnière. Il y eut le temps honteux des esclaves troqués contre les verroteries de pacotille, et de l’ivoire échangé contre des fusils de traite. Le tout sous la protection du sabre et la bénédiction du goupillon. Un gigantesque voyage transocéanique qui déboucha sur la projection outre- Atlantique – sans perspective de retour vers l’Afrique mère – d’une masse de femmes et d’hommes de couleur inévitablement appelés à se multiplier. Du XVe au XVIIIe siècle, les embryons de diasporas noires furent ainsi disséminés aux Antilles, dans les Caraïbes et, surtout, dans le Nouveau monde découvert par Christophe Colomb en 1492. Et la traite négrière devint, nolens volens, le vecteur d’une multitude de diasporas noires.
Sous cet éclairage historique, la diaspora africaine se distingue des autres. Originellement, l’Afrique subsaharienne sort des causes habituelles de dispersion. À la différence des Palestiniens en exil sans fin, les Noirs de la diaspora n’ont pas manqué de territoires. Bien au contraire. Par conséquent, ils ne sont pas des exilés volontaires ou involontaires, mais des arrachés puis des transplantés de force. Il s’agit là d’une aventure traumatisante sans précédent, avec, à la clé, ce que le chercheur Robert Fossaert – qui vient de disparaître – appelait « une chaîne de colonies et de communautés sans mère patrie ».
Dans ce cas précis, la réalité a déjoué les pronostics. Certes, l’espace de la diaspora noire est essentiellement transnational (entités antillaises, caribéennes et américaines) diffus et visiblement réticulé, fait d’une multitude de noyaux assez éparpillés ; mais le lien de mémoire – à défaut de cordon ombilical – joue, fort heureusement, un rôle capital dans la structuration de la communauté « diasporaïde ».