Des idées fausses à combattre face à la crise alimentaire

L’ONG Oxfam juge que le monde produit assez de denrées pour nourrir toutes les populations. En privilégiant les circuits longs, les agro-industries, le système alimentaire perpétue pourtant les inégalités, que les crises récentes ne font qu’aggraver.
Dans une étude intitulée Carte sur table, Oxfam énonce « dix mythes à déconstruire sur les causes de la crise alimentaire mondiale ». L’ONG part du constat que le système alimentaire mondial, inégalitaire, n’« est viable si pour les populations ni pour la planète ». Et de dénoncer « un cocktail funeste », associant inégalités extrêmes, pauvreté, violation des droits humains, conflits, changement climatique et forte inflation. Le tout amplifié par la pandémie de la Covid-19 et la guerre en Ukraine.
Amplifié mais non provoqué, souligne Oxfam en première idée « à déconstruire ». Les prix des denrées étaient déjà en forte hausse, bien avant que la guerre n’éclate. Celle-ci vient s’ajouter à « une crise systémique existante ». Entre avril 2020 et décembre 2021, les prix du blé ont augmenté de 80%, et on estimait déjà que près d’un dixième de la population mondiale souffrait de la faim.
Le système alimentaire mondial, selon Oxfam est « extractif, mal réglementé et largement concentré entre les mains de quelques entreprises privées ». Aussi conviendrait-il de « soutenir les gouvernements nationaux, les agricultrices et les agriculteurs, les travailleuses et travailleurs agricoles et alimentaires, par le biais d’investissements à long terme, visant à donner plus de poids à une production alimentaire nationale durable ». Et Oxfam de dénoncer la trop faible rémunération des petites exploitations familiales, en Asie et en Afrique subsaharienne, notamment. Il est vrai que seuls quatre pays de l’Union africaine respectent l’engagement pris à Malabo de consacrer au moins 10% de leur budget national à l’agriculture… En 2021, ces dépenses n’étaient que de 4,1% en moyenne « et l’on ignore quelle part de ces dépenses a atteint les exploitations paysannes ».
La course à la création de nouvelles semences et de nouvelles approches technologiques n’est donc pas essentielle, aujourd’hui, même si la R&D et l’innovation sont indispensables pour s’affranchir des modèles agricoles non durables et s’adapter aux changements climatiques.
Cette augmentation des prix des denrées, deuxième point, ne déplaît pas à tout le monde. Par définition, elle touche les ménages les moins aisés, qui consacrent une part plus importante de leur budget à l’alimentation. Y compris dans les pays riches. Tandis que, selon les calculs d’Oxfam, on compte 62 nouveaux milliardaires dans le secteur de l’alimentation au sein duquel les entreprises enregistrent des bénéfices records…
Pourquoi produire « toujours plus » ?
Et Oxfam d’appeler les États à financer, via des politiques fiscales très progressives, « des programmes efficaces et éprouvés de réduction des inégalités » et à se pencher sur la dette des pays les plus pauvres.
Autre mythe à combattre : il n’y a pas assez de nourriture disponible pour nourrir le monde. Cela est faux, s’insurge Oxfam qui considère comme inutile de vouloir augmenter la production alimentaire. D’ailleurs, on voit que l’offre de céréales reste excédentaire, en dépit de la crise en Ukraine. L’inégalité réside dans la demande solvable. Trop de personnes pauvres, en milieu rural, sont tributaires de leur propre production pour se nourrir. Tandis que la précarité de l’emploi, – souvent informel – aggrave la situation en milieu urbain.
Nul besoin donc, de produire « toujours plus », au mépris des coûts environnementaux à long terme que cela représente, en libérant des jachères ou en augmentant la productivité sans précaution.
De plus, la crise ukrainienne a mis en évidence « le risque énorme » de s’en remettre principalement au marché alimentaire mondial pour nourrir les populations. Pour Oxfam, il faut « soutenir la production locale, tout en augmentant la durabilité et l’inclusivité des chaînes de valeur mondiales ». Les circuits courts offrent des interactions plus avantageuses entre les différents acteurs des systèmes alimentaires ; les relations commerciales sont plus équitables, directes et autonomes. La situation rend de nombreux pays dépendants de chaînes mondiales de distribution, comme la Corne de l’Afrique.
La solution consistant à intégrer davantage les agriculteurs dans les chaînes de valeurs mondiales semble séduisante, mais elle se traduit souvent par un grand déséquilibre entre les petits producteurs et les riches négociants ou agro-industries. Et Oxfam de s’en prendre à la politique de la Banque mondiale et du FMI, qui privilégient la culture d’exportation vers les filières longues. Tandis que les règles du commerce international, régies par l’OMC, interdisent, le plus souvent, le soutien aux agriculteurs.
Aussi faut-il davantage réguler les marchés afin d’empêcher toute spéculation, enrayer les monopoles et mettre en application des règles plus équitables et plus souples pour les pays à revenu faible et intermédiaire.
Réduire les inégalités
Autre idée à chasser : des questions autres, comme celle du genre, nous détourne des vrais problèmes. « La faim ne saurait être éradiquée sans justice entre les genres et des mesures radicales doivent être prises en matière de droit des femmes si nous voulons éliminer la faim et les inégalités qui la sous-tendent », proclament les auteurs du rapport. Qui reviennent, chiffres et témoignages à l’appui, sur le rôle des femmes dans la sécurité alimentaire, partout dans le monde.
Évoquant les apports technologiques, les auteurs jugent que « les solutions existent déjà » et que leur diffusion dépend « de choix politiques ». La course à la création de nouvelles semences et de nouvelles approches technologiques n’est donc pas essentielle, aujourd’hui, même si la R&D et l’innovation sont indispensables pour s’affranchir des modèles agricoles non durables et s’adapter aux changements climatiques.
Sur le plan politique, justement charge aux États de préserver les marchés et les livraisons de denrées alimentaires, même en cas de conflits, de crises économiques ou climatiques. La faim n’est donc pas une fatalité en cas de guerre, même si, en 2021, les conflits étaient la principale raison pour laquelle environ 139 millions de personnes étaient confrontées à des niveaux critiques, ou pire, d’insécurité alimentaire.
Enfin, Oxfam considère que les capitaux ne sont pas un problème : « Une fiscalité juste sur les milliardaires et les grandes entreprises permettrait largement de mobiliser les fonds requis pour répondre à toutes les crises. »
L’étude, fortement documentée, s’enrichit d’études de cas permettant de mieux saisir qu’il est possible de mettre un terme au fléau de la faim.
Rapport complet sur le site oxfamfrance.org.
Photo : Idrissa Ouedraogo est un agriculteur de la région du Centre-Nord du Burkina Faso. Crédit : Cissé Amadou/Oxfam.
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