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Société

Comment intégrer les savoirs locaux dans la science moderne ?

Comment intégrer les savoirs locaux dans la science moderne ?
  • Publiéavril 21, 2023

Davantage de projets de développement décident d’intégrer les savoirs des populations locales aux savoirs scientifiques. Une avancée à généraliser pour peaufiner les connaissances et décisions, et les diffuser plus facilement.

 

Une synthèse de l’AFD (Agence française de développement) fait le point sur le potentiel des savoirs prévisionnels locaux dans le domaine des services climatiques aux agriculteurs. L’étude se fonde sur la littérature existante ainsi que sur une enquête de terrain menée par l’Agence dans le nord de la Côte d’Ivoire.

De nos jours, les agriculteurs peuvent disposer de services climatiques qui vont des prévisions météorologiques aux conseils pour obtenir une meilleure production. Ces outils de gestion du risque climatique ont un impact positif sur les revenus et la productivité agricoles et se révèlent d’une importance croissante pour l’adaptation des pratiques aux changements climatiques.

Des espaces d’échange entre scientifiques et « experts locaux » renforce la compréhension entre les différents groupes d’acteurs pour co-construire des services adaptés aux besoins des utilisateurs.

Pourtant, en Afrique, l’offre de ces services reste souvent insuffisante, regrette Julie Bompas, de l’AFD et du Cerdi (Centre d’études et de recherches en développement international). L’inadéquation des informations avec la demande des utilisateurs empêche parfois les services climatiques de jouer pleinement leur rôle d’outil d’adaptation. Par exemple, les femmes bénéficient moins souvent d’informations météorologiques en raison d’un accès plus limité au téléphone portable au sein des ménages ruraux. De plus, les informations diffusées doivent être perçues comme crédibles, pertinentes et légitimes par les utilisateurs. Or, l’arrivée de prévisions scientifiques peu précises par le passé sur certains territoires, couplée à une faible offre de formation à la gestion des incertitudes, a pu dégrader la confiance des populations dans ces informations.

Derrière la formule jargonnesque de « savoirs prévisionnels locaux », se cache l’ensemble des indicateurs environnementaux observés par les populations. Qu’ils relèvent de l’observation de la biodiversité (plantes, animaux) ou de l’observation des facteurs météorologiques (état du ciel, températures).

Ces savoirs peuvent également agir en tant qu’alertes précoces en renforçant la capacité des populations à prévoir des évènements extrêmes, comme les précipitations à ou à moyen terme. Comme tous les savoirs locaux, ils font partie de l’héritage d’une génération et sont propres à un lieu géographique donné, mais ne sont pas statiques. Ils sont transmis et renouvelés par chaque génération qui se succède et peuvent varier d’un territoire à l’autre.

 

Une expérience concluante au Kenya

L’étude conduite par l’AFD auprès e 285 agriculteurs au nord de la Côte d’Ivoire, montre une rareté relative de ces savoirs locaux. Par exemple, les savoirs de court terme (prévision sur 1 à 3 jours) sont plus répandus que ceux liés à des informations saisonnières ou une période sans pluie. Beaucoup de personnes ne savent pas interpréter elles-mêmes les informations sous leurs yeux et font appel à des personnes extérieures, « des experts locaux », reconnus par leur communauté pour obtenir l’information.

Or, malgré les progrès technologiques de la modélisation, les prévisions scientifiques ne peuvent pas toujours saisir toutes les variations sur une petite zone. Dès lors, l’intégration des savoirs locaux pourrait permettre d’affiner la précision et la contextualisation des modèles scientifiques. Au Kenya, un système intégré et participatif de prévision de périodes de sécheresse indique, pour différents pas de temps, un taux de réalisation des prévisions allant de 75% à 98%.

L'application FarmerSupport utilisée au Ghana.
L’application FarmerSupport utilisée au Ghana.

 

Toutefois, les changements de pratiques et d’utilisation des sols, couplés aux effets des changements climatiques, ont tendance à éroder la fiabilité de certains savoirs. Tandis que la diminution des espèces animales et végétales présentes affecte directement le nombre d’indicateurs.

Les populations rurales considèrent que les savoirs locaux ont « fait leurs preuves » ; leur intégration aux services climatiques peut donc permettre d’augmenter l’adhésion des populations à ces services en leur apportant de la crédibilité. De plus, leur prise en compte permet de mieux cerner les priorités des populations. En Côte d’Ivoire, les agriculteurs ayant connaissance de savoirs locaux sont prêts à payer environ 500 F.CFA de plus pour avoir accès à un service climatique incluant leurs enseignements. De plus, des espaces d’échange entre scientifiques et « experts locaux » renforce la compréhension entre les différents groupes d’acteurs pour co-construire des services adaptés aux besoins des utilisateurs. Il permet également aux « experts locaux » de plaider dans leur communauté en faveur des services climatiques.

 

Entre tradition et modernité…

Tout est question de volonté : il faut que les personnes considérées comme « expertes » par leur communauté soient prêtes à transmettre leurs connaissances aux autres ou à rapporter de manière régulière leurs prévisions auprès des scientifiques pour que ces derniers puissent les intégrer. Dès lors, fait observer la chercheuse, la question de la mise en place d’un incitatif économique pour les contributeurs en savoirs locaux en lien avec le service final délivré est également ouverte. D’autant plus que les « savoirs locaux » subissent des menaces, comme leur ignorance ou leur rejet par l’école, les religions monothéistes, une certaine vision de la « modernité » qui rejette le passé, etc. Il faut donc valider scientifiquement les savoirs locaux, trouver les moyens de les transmettre, à la fois dans le cadre scientifique et d’une génération à l’autre. « Ces connaissances viendraient ainsi compléter un service climatique existant en renforçant directement l’accès à l’information météorologique des populations et en sensibilisant les populations au côté probabiliste des prévisions en règle générale. »

LS, d’après Agence française de développement, avril 2023.

@NA

Écrit par
Laurent Soucaille

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