Combattre les accusations de sorcellerie

La Centrafrique tente de sensibiliser aux violences basées sur les accusations de sorcellerie. L’actualité récente montre qu’en Afrique subsaharienne, ce phénomène est loin d’être anecdotique. Les pays doivent se doter d’une législation claire et sensibiliser les forces de l’ordre à son application.
Par Kimberley Adams
Les traditions ont la vie dure, même les plus tragiquement absurdes. Au Ghana, le lynchage d’une femme de 90 ans accusée de sorcellerie a choqué l’opinion, début août. Dans le nord du pays, apprenait-on en début d’année, un camp accueille des femmes subissant des accusations sorcelleries, souvent venues de leur époux. Elles seraient plus d’une centaine, dénoncent les ONG. En 2019, un projet de loi déposé au Parlement prévoyait pourtant de criminaliser cette accusation, mais il n’a toujours pas été voté.
« Cela peut être un pasteur ou un membre de ta famille qui t’accuse. C’est une pratique de longue date et il est temps qu’elle s’arrête », dénonce Margaret Brew-Ward, de l’ONG Action Aid Ghana.
Au Malawi, un rapport publié fin juillet révèle que dans ce pays pauvre d’Afrique de l’Est, près de 75 personnes accusées de magie noire avaient été tuées, depuis 2019. Presque toujours, le scénario est le même : les habitants d’un village tranquille se transforment en meute déchaînée après des accusations venues d’on ne sait où.
Certaines régions de la République centrafricaine, fragilisées par de multiples années d’instabilité politique et sécuritaire, enregistrent régulièrement des actes de violences basées sur le genre. Ici aussi, les accusations de sorcelleries servent de prétexte aux pires exactions contre des femmes, des enfants et de personnes âgées, au sein même de leur communauté.
Le gouvernement n’est pas insensible à ces questions. Mi-juillet 2022, le ministère de la Justice, de la promotion des droits de l’homme et de la bonne gouvernance, assisté d’ONU Femmes et de la Minusca (Mission des Nations unies dans le pays) a organisé un atelier de sensibilisation sur la protection de femmes et d’enfants. Il s’agissait spécifiquement d’identifier et de trouver les moyens de lutter contre les violences basées sur les accusations de pratique de sorcellerie, à l’intention des acteurs de la justice centrafricaine.
Une fois encore, le besoin s’est fait sent tir : d’éveiller la vigilance de ces acteurs de justice dans le traitement des litiges en lien avec ce phénomène et protéger les victimes.
Pour une loi claire
« De nombreuses femmes, surtout celles issues de la catégorie des personnes âgées, sont enterrées vivantes, brûlées vives ou même chassées de leur communauté sur la base des accusations de sorcellerie », a expliqué Nkurunziza Salvator, le représentant de ONU Femmes, dans son allocution à l’ouverture de cet atelier.
Les accusations de pratique de sorcellerie sont courantes en République centrafricaine, le législateur a ainsi essayé d’endiguer ce phénomène en l’introduisant dans le Code pénal des articles pour que ses auteurs soient punis. Néanmoins, le cadre légal autour de l’infraction de pratique de sorcellerie et de charlatanisme n’est pas clair. Le chargé d’affaires au ministère de la Justice a exprimé cette préoccupation. « En dépit de son incrimination, les violences à l’égard des personnes suspectées de pratiques de sorcellerie demeure », reconnaît-il. « L’application de ce texte pose un problème en ce sens que les termes sorcellerie et charlatanisme ne sont pas clairement définis par le législateur. Et cette situation nous amène fréquemment à nous poser des questions en quoi consistent réellement les pratiques de charlatanisme et de sorcellerie ? »
Même son de cloche pour les professionnels du droit. Ainsi, Marcel Koui magistrat du siège et président de la chambre correctionnelle de la Cour d’appel de Bangui, indique la loi sur la sorcellerie et le charlatanisme a besoin d’être modifiée pour mieux définir l’infraction et ainsi éviter des cas d’injustice souvent liés à des vides juridiques.
« Le législateur n’a pas pris le temps de définir les pratiques qu’il qualifie de pratiques de sorcellerie et de charlatanisme sur le plan juridique. Déjà, les magistrats que nous sommes, rencontrent des difficultés à appliquer cette loi. » En matière pénale, « le juge ne doit pas penser à la place du législateur, il applique la loi », a rappelé le magistrat qui appelle à un « toilettage » du cadre législatif.
Cet atelier semble donner le signal d’une prise de conscience. Tel est le cas, par exemple, pour Prudence Ndasonga, adjudant cheffe de la gendarmerie, qui a bien noté combien la définition de la sorcellerie n’est pas précise. « Je vais pérenniser les acquis de cet atelier pour les vulgariser dans mon unité, en ma qualité de chef de bureau sensibilisation au sein de l’unité de gouvernance. »
Le rapport annuel 2021 du Système de gestion de l’information sur les Violences basées sur le genre (VBG) indique que 11 592 cas ont été signalés, soit une augmentation de 26 % par rapport aux cas rapportés en 2020. Le plus grand nombre de cas de VBG rapportés en 2021 ont été enregistrés dans les sous-préfectures de Kaga-Bandoro, Zemio, Bocaranga, Bambari, Bangassou, Bimbo et Paoua.
@NA