Liberté de la presse : encore un effort !

Dans l’ensemble, le continent respecte le droit de la presse et les Africains bénéficient d’un relatif pluralisme de l’information, mais de nombreux obstacles demeurent. Le dernier classement de RSF salue les Seychelles, blâme l’Égypte, et analyse le cas complexe du Sénégal.
Par Laurent Soucaille
Bilan mitigé, pour les pays africains, dans la dernière livraison du classement RSF (Reporters sans frontières) 2022. La plupart des pays du continent se retrouvent en milieu de peloton. Celui où les droits fondamentaux de la presse sont garantis, mais où subsistent de nombreuses entraves sociales, politiques, économiques. Un seul, l’Égypte, 168e sur 180 pays, figure dans la liste des 28 pays les plus problématiques, aux côtés de régimes dictatoriaux ou autoritaires comme la Syrie ou la Chine (couleur sombre sur la carte publiée par RSF, ci-dessus).
Ce classement, dont les modalités ont été révisées, place en tête les pays d’Europe du Nord mais distingue aussi des pays comme le Timor Oriental et les Seychelles. La plus grosse chute est à mettre au passif de Hong Kong.
La Côte d’Ivoire (37e mondial), la Sierra Leone et la Gambie gagnent chacun une trentaine de places. RSF signale que 2021 a marqué « une amélioration majeure pour les journalistes ivoiriens », dont aucun n’a subi de condamnation en justice.
Ainsi, l’Égypte est-elle décrite comme l’« une des plus grandes prisons au monde pour les journalistes ». Les espoirs de liberté portés lors de la révolution de 2011 « semblent désormais bien lointains », déplore RSF. L’organisation y condamne « un pluralisme quasiment nul », dans un pays dominé par trois quotidiens nationaux détenus par l’État. Les médias indépendants sont censurés ou visés par des poursuites judiciaires. On les y accuse volontiers d’appartenir à une organisation terroriste ou de propager de fausses nouvelles.
Quant aux médias audiovisuels, « leur popularité les a enfermés dans un rôle de relais de la propagande politique ». Tandis que les journalistes font l’objet d’une surveillance permanente, quand ils ne doivent pas subir des campagnes de dénigrement.
Un pays se distingue bien plus favorablement : les Seychelles. L’archipel fait un bond de 52 rangs dans le classement, se hissant à la 13e place, devant la Suisse, l’Islande et l’Allemagne ! Aux Seychelles, pays qui durant longtemps ne passait guère comme un modèle de démocratie, « les atteintes à la liberté de la presse sont très rares et l’environnement est plutôt favorable à l’exercice du journalisme », signale RSF. Depuis une dizaine d’années, le pluralisme médiatique, la diversité des opinions et la possibilité de s’attaquer aux sujets les plus sensibles se sont développés.
Le paradoxe du Sénégal
L’archipel compte une dizaine de médias, dont un groupe audiovisuel public (SBC) qui comprend deux chaînes de télévision, deux stations de radio et l’accès aux médias internationaux. Depuis l’instauration du multipartisme, en 1993, les réflexes d’autocensure se dissipent. Même les médias publics traitent des sujets sensibles comme la corruption ou le népotisme.
Le bouquet de Seychelles Broadcasting Corporation.
La diffamation a été décriminalisée en 2021, « une avancée majeure après l’adoption, trois ans plus tôt, d’une loi d’accès à l’information publique », commente RSF. Le secret des sources est protégé, chaque média dispose de sa charge éthique, et l’Association des professionnels médias seychellois veille à la liberté de la presse. Seul écueil, d’ordre économique : la difficulté des journaux papiers à desservir 115 îles ; progressivement, les titres migrent vers les versions en ligne.
La plupart des pays africains se trouvent donc en milieu de classement. On s’arrêtera sur le sort paradoxal du Sénégal, un régime pluraliste, où la presse foisonne. Pourtant le pays a perdu quelques places, figurant au 73e rang – RSF a changé cette année ses méthodes de classement et prévient que les comparaisons d’une année sur l’autre sont parfois peu pertinentes.
L’argument de RSF peut surprendre : « le pluralisme médiatique est contrebalancé par la prédominance de la politique dans le traitement de l’information, notamment par les journaux. » Certes, la presse en ligne est très développée, ainsi que les chaînes d’information sur l’Internet. « Si les médias privés donnent la parole à toutes les chapelles politiques, la télévision nationale continue de privilégier les activités des partis composant la majorité présidentielle ». D’autre part, de nombreux journaux sont difficilement diffusés hors de l’agglomération de Dakar.
En matière politique, la situation du Sénégal est aussi paradoxale : les lois garantissent la liberté de la presse et la plupart des médias privés s’efforcent de faire leur travail de « quatrième pouvoir ». Dans le même temps, le président de la République a toujours le pouvoir de nommer les membres du conseil chargé de réguler l’audiovisuel, ce qui pousse les acteurs de la presse à remettre en cause sa neutralité et à plaider pour le fonctionnement effectif de la Haute autorité.
La Côte d’Ivoire en net progrès
RSF s’inquiète surtout du Code de la presse qui prévoit de lourdes peines de prison pour de simples délits de presse, ainsi que l’absence d’une loi sur l’accès à l’information qui prive les journalistes de précieuses sources. L’ONG déplore enfin un contexte social et religieux qui rend difficile le traitement de sujets comme l’homosexualité. Le traitement de certaines informations liées à la religion peut provoquer des tensions, voire des violences.
RSF a mis en ligne les programmes de RFI et France 24,
suspendus de manière définitive par le pouvoir au Mali.
Le reste des classements ne marque pas de surprise particulière. La Côte d’Ivoire (37e mondial), la Sierra Leone et la Gambie gagnent chacun une trentaine de places. RSF signale que 2021 a marqué « une amélioration majeure pour les journalistes ivoiriens », dont aucun n’a subi de condamnation en justice. Ils doivent néanmoins toujours faire face à des problèmes de sécurité dans l’exercice de leur métier (agressions, intimidations, tentatives de corruption…).
À noter le recul du Ghana, 60e mondial. Tandis que le Bénin demeure à une peu enviable 122e place, le Burkina Faso (41e) se maintient dans le bon wagon de tête. Au Mali, rétrogradé à la 111e place après les suspensions des médias français, on y reste aussi sans nouvelles du journaliste français Olivier Dubois.
Classement complet sur rsf.org/fr/classement
Le journaliste Olivier Dubois est retenu en otage au Mali depuis 13 mois.
@NA