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Politique

Wade réveille l’opposition

Wade réveille l’opposition
  • Publiédécembre 22, 2014

Dernier sursaut d’un lion blessé ou combat à mort pour la reconquête du pouvoir ? Depuis son retour triomphal au Sénégal, en avril 2014, et après sa défaite au second tour de la présiden­tielle de mars 2012, Abdoulaye Wade, le pape du SOPI («changement », en wolof) a multiplié les sorties contre son ancien poulain.

Le grand meeting que son parti, le PDS (Parti démocratique sénégalais, aujourd’hui dans l’opposition après 12 années au pouvoir) a organisé, en novembre, en est la dernière mani­festation. À coup de slogans « Libérez Karim Wade » et « Karim, Président ! », ce meeting, d’abord interdit à cause de l’organisation du XVe Sommet de la Francophonie, puis finalement auto­risé, a été l’occasion de faire monter les enchères.

N’hésitant pas à appeler à l’affrontement contre le régime actuel, l’ancien chef de l’État a accusé plusieurs dirigeants de corruption. Lors d’une conférence de presse à son domicile du Point E (agglomération de Dakar), il a expliqué pourquoi il en voulait à l’actuel président : « Jusqu’à présent, je n’ai rien dit. Macky Sall a mis mon fils en prison, il a porté plainte contre moi. Aussi, mainte­nant, j’ai décidé de l’affronter. Et c’est lui qui a déclenché les hostilités », a déclaré sur un ton guerrier Abdoulaye Wade, décidé à en découdre avec son successeur.

Pour beaucoup de Sénégalais, ce retour de flamme du vieux chef est plus médiatique que politique. Même si, malgré son âge avancé – 87 ans officiel­lement, il a réussi une fois de plus à  démontrer que sa capacité à manier les foules et mobiliser la rue en sa faveur était intacte. « En politique rusé, Abdou­laye Wade a su habilement utiliser les pro­jecteurs braqués sur le Sénégal, ces derniers mois, pour capter l’attention et remobiliser ses militants. Mais il reste psychologique­ment diminué à cause de l’emprisonne­ment de son fils, Karim », analyse Ciré Ly, expert en géopolitique. Qui reste persuadé que Macky Sall, fort de ses succès diplomatiques récents et du tra­vail de réforme qu’il a entrepris dans le pays, rempilera, de toute façon, pour un second mandat en 2017, malgré la grogne sociale actuelle : « Les Sénégalais, ont toujours préféré laisser le président sor­tant finir le travail qu’il avait commencé. Abdoulaye Wade en avait profité, en 2007, lors de sa réélection pour un second mandat. Et Macky Sall a mis beaucoup de chantiers en route qu’il ne finira pas avec un seul mandat de cinq ans.»

Il en veut, aussi, pour preuve que le Front pour la défense de la République (FPDR), actuellement coordonné par l’ancien ministre du Commerce d’Abdoulaye Wade, Mamadou Diop Decroix, n’est pas crédible, pour l’ins­tant, dans la perspective d’une recon­quête du pouvoir dès 2017. De fait, malgré la capacité de mobilisation et la dynamique unitaire dont le FPDR a su faire preuve, le parti reste tiraillé par des frictions internes quant à la direction à prendre pour réunifier la famille libérale.

Pour sa part, l’analyste politique Yoro Dia note que l’ombre d’Abdou- laye Wade n’a pas cessé de planer sur le centre de conférence international de Diamniado qui abritait le Sommet de la Francophonie. Sans que son nom ne soit jamais prononcé. « Il est difficile, voire impossible, de chasser Abdoulaye Wade de notre champ de vision. Depuis 1974, il a toujours été présent et aujourd’hui encore, il est au centre de la vie politique. Tout le monde a essayé de le zapper pendant le Sommet, mais Wade a laissé une trace indélébile dans l’histoire du Sénégal », fait observer le politologue. « Son seul problème, c’est que tout ce qui relève de son fils Karim est du ressort de l’affectif. Il a fait un aveu de taille en disant que Macky Sall a détruit sa famille et qu’il va détruire la sienne ! »

En tant qu’ancien chef de l’État, Abdoulaye Wade « aurait dû assister au Sommet de la Francophonie, poursuit-il, mais vu que son fils est en prison, c’est le père de famille qui a parlé ! »

Des libéraux divisés

Wade

Karim Wade, par l’intermédiaire de ses avocats, a adressé une lettre ouverte aux 28 chefs d’États de pays francophones qui ont fait le déplacement à Dakar, pour l’occasion ; une missive largement relayée par les quelque 900 journalistes qui ont couvert l’événement. Il dénonce la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI), devant laquelle se déroule, depuis le 31 juillet, son procès emblématique de la traque des biens présumés mal acquis visant les anciens dignitaires du régime de son père.

L’ancien ministre d’État et ses avocats dénoncent « une justice sélective » doublée d’« un complot politique». Retiré à Versailles, en France, où sa femme possède une maison, tout en continuant à mener des activités de consultant à Dubaï après sa défaite électorale, Abdoulaye Wade a senti la nécessité de reprendre la main dans un jeu politico-judiciaire qui était en train de lui échapper. L’emprisonnement de Karim, depuis avril 2013 – qui pourrait être déclaré inéligible à l’issue de son procès – pose, en effet, la question de la direction du PDS.

Pour la plupart des commentateurs, plus Karim restera en prison sans jugement, plus il passera pour un martyr aux yeux des Sénégalais. L’attaque ayant toujours été la meilleure défense, « Gorgi » (« Le Vieux » en wolof) a donc décidé de frapper la tête de l’État. Devant une foule galvanisée par la chaleur et une longue attente, il a exhorté ses partisans à « œuvrer pour l’organisation d’une présidentielle en 2015 » et la « mise en place d’une commission de transition ». Il a dénoncé la corruption des membres du cercle du pouvoir autour de contrats avec Arcelor Mittal et Petro-Tim. Du coup, un malaise s’installe au sein de la mouvance présidentielle qui a demandé la publication de ces contrats.

Le gouvernement doit fournir toutes les informations à sa disposition pour clarifier et informer sur ces deux dossiers. Ce désaveu est d’autant plus embarrassant pour l’actuel occupant du Palais qu’il a fait de la lutte contre la corruption et les biens mal acquis sa principale arme vis-à-vis son ancien mentor.

ENCADRE

Une nouvelle opposition

Malick Noël Seck, secrétaire général du Front national de salut public

Jusqu’à présent, Macky Sall avait toujours soutenu qu’il n’y avait pas d’opposition au Sénégal « hormis les revendications sociales ! ». Il est en train de reconsidérer sa position, reconnaît-on au Palais, où le Président a demandé de « prendre très au sérieux les interpellations de Me Wade ». Ce, à un moment où Macky Sall se retrouve « seul contre sa génération », observent les politologues. Idrissa Seck, Abdoulaye Baldé, Khalifa Sall et, dernière en date, Mimi Touré sont « les nouveaux visages de cette opposition qui ne va pas faire de cadeau à Macky Sall et à son épouse, Marième Faye, que d’aucuns considèrent comme une femme de pouvoir dans le pouvoir de son époux », selon des sources concordantes. Tous ont été «victimes » de Macky Sall : Idrissa Seck trahi en se voyant amputer de ses deux lieutenants, Oumar Guèye et Pape Diouf ; Abdoulaye Baldé, traqué injustement dans une affaire de biens fictifs, empêché de sortir du territoire et dépouillé de son immunité parlementaire ; Khalifa Sall combattu farouchement lors des locales de 2014.

Et enfin, Mimi Touré, démissionnée de son poste de Premier ministre après des années d’une loyauté sans faille. « Macky Sall ne va plus seulement affronter un vieux de 88 ans, mais des adversaires de sa génération qui ont la particularité de connaître le fonctionnement de l’État. Ils ont tous été ministres de la République. Deux d’entre eux ont été Premier ministre. Baldé a été secrétaire général de la Présidence. Et Khalifa Sall, plusieurs fois ministre et maire de la capitale. Ils connaissent tous les rouages de l’État. Avec une opposition aussi riche et variée, Macky Sall aura du mal à faire le poids surtout s’ils sont rejoints par un certain… Karim Wade ! », commente un observateur.

Front contre Sommet

La vraie surprise, en 2017, pourrait venir d’un outsider du PS. Tandis que Macky Sall accueillait ses hôtes pour les besoins du Sommet de la Francophonie, Malick Noël Seck tenait son contre-sommet à l’université de Dakar (UCAD). Le jeune leader politique, né en 1972, travaille aujourd’hui comme cadre aux Industries chimiques du Sénégal (ICS). Il a choisi de « se positionner sur un terrain citoyen relativement idéologique abandonné par les partis politiques », explique l’un de ses partisans. Surfant sur la vague protestataire contre les tares de la gouvernance libérale actuelle, il a décidé d’ancrer son combat dans la dénonciation des intérêts occidentaux au Sénégal, la France en particulier. « La Francophonie, le nouveau mot pour la coopération, c’est le colonialisme !

La coopération n’a qu’un seul propos : c’est d’assurer la continuité de l’exploitation économique, la domination politique, l’occupation stratégique de nos territoires et le pillage de nos ressources naturelles », a-t-il déclaré lors d’un meeting tenu juste après le rassemblement du PDS, qui a pris des allures de forum altermondialiste. Il a été rejoint par des personnalités comme le professeur Malick Ndiaye, le docteur Dialo Diop, l’économiste Demba Moussa Dembélé, le commissaire Cheikhna Keïta. Les thèmes de son « Front contre le sommet » ont été largement repris dans les médias. Il souhaite, maintenant, porter sur les fonts baptismaux un Front africain à l’instar des altermondialistes. Le leader du Front national pour le salut public, qui a été parrainé par les rappeurs du mouvement Y’en a marre, souhaite s’attaquer aux institutions. Il en veut pour preuve « la non-maîtrise de notre monnaie », le franc CFA : « 50 % de nos devises sont logées à la Banque de France. On nous prête notre propre argent.

On nous impose les entreprises qui réalisent les travaux et l’argent retourne en France », s’indigne-t-il. Jugeant que la classe politique au Sénégal « ne s’intéresse qu’aux affaires sénégalo-sénégalaises », il dénonce une opposition sans idéologie et une démocratie d’analphabètes. « En fait, les partis n’ont plus d’idéologie. Ils créent des coalitions pour gagner des élections. À quoi sert d’être socialiste si c’est le FMI et la Banque mondiale qui décident ? », martèle-t-il. La question est en train de trouver un large écho, ailleurs en Afrique. 

Écrit par
christine

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