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Politique

Vives tensions à Sfax et à l’est de la Tunisie

Vives tensions à Sfax et à l’est de la Tunisie
  • Publiéjuillet 7, 2023

L’arrivée massive de migrants subsahariens, candidats au départ vers l’Europe, à Sfax, exacerbe les tensions. Que n’a en rien calmé le transfert de certains d’entre eux vers la Libye voisine. Les ONG appellent la Tunisie à ses devoirs.

 

De nombreux migrants subsahariens se sont dirigés, ces derniers jours, vers la ville côtière de Sfax, à l’est du pays. Leur objectif, prendre un bateau pour l’Europe. Ces arrivées massives entraînent des heurts entre migrants, entre ces derniers et les habitants, ainsi qu’avec la police. Alors qu’un Tunisien a trouvé la mort, poignardé le 3 juillet 2023 dans la soirée, la situation ne cesse d’empirer. Les habitants de Sfax organisent des manifestations afin de réclamer l’expulsion des migrants. Ceux d’entre eux qui parviennent à gagner la Libye sont, le plus souvent, refoulés par les militaires libyens. D’autres quittent la ville tunisienne, de peur d’être blessés dans des affrontements.

« Tous les pays devraient suspendre les expulsions ou les renvois forcés vers la Libye, compte tenu des graves dangers auxquels les personnes risquent d’être confrontées dans ce pays. »

« Les rues sont transformées en champ de bataille, des blessés graves aussi bien Tunisiens que migrants subsahariens, incendies, agressions, braquages et des forces de police impuissantes ! », décrit sur son compte Facebook Franck Yotedje, directeur de l’association Afrique intelligence. Ces derniers jours, des centaines de migrants ont trouvé refuge aux alentours d’une mosquée, relate-t-il.

Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), qui suit les questions migratoires, et plus de vingt autres ONG tunisiennes et internationales relatent que les forces de sécurité avaient emmené mardi 4juillet un « groupe de 100 personnes migrantes et réfugiées » de la région de Sfax vers la frontière libyenne. Certains migrants ont été « battus et maltraités », accusent les ONG, qui appellent les autorités tunisiennes à « donner des clarifications sur ces faits et à intervenir en urgence pour assurer une prise en charge de ces personnes ».

Human Right Watch tire la sonnette d’alarme, dans un minutieux exposé des faits publié ce 7 juillet, témoignages à l’appui.

Les forces de sécurité tunisiennes ont collectivement expulsé « plusieurs centaines de migrants et de demandeurs d’asile d’Afrique noire, dont des enfants et des femmes enceintes », depuis le 2 juillet, vers une zone tampon isolée et militarisée à la frontière entre la Tunisie et la Libye, confirme l’ONG. Le groupe comprend des personnes en situation régulière ou irrégulière en Tunisie, « expulsées sans procédure régulière », poursuit-elle.

 

Expulsions vers la Libye

Nombre d’entre elles ont fait état de violences de la part des autorités lors de leur arrestation ou de leur expulsion.

« Le gouvernement tunisien devrait mettre fin aux expulsions collectives et permettre d’urgence l’accès humanitaire aux migrants et demandeurs d’asile africains déjà expulsés vers une zone dangereuse à la frontière tuniso-libyenne, avec peu de nourriture et aucune assistance médicale », a déclaré Lauren Seibert, chercheuse pour Human Rights Watch. « Non seulement il est inadmissible de maltraiter des personnes et de les abandonner dans le désert, mais les expulsions collectives violent le droit international. »

Selon certaines sources de l’ONG, les autorités tunisiennes auraient expulsé entre 500 et 700 personnes depuis le 2 juillet dans la zone frontalière, à environ 35 kilomètres à l’est de la ville de Ben Guerdane. Ces personnes sont arrivées en au moins quatre groupes différents, de taille variable.

Les personnes expulsées étaient de nombreuses nationalités africaines : ivoirienne, camerounaise, malienne, guinéenne, tchadienne, soudanaise, sénégalaise. D’autres sources évoquent des migrants venus de Sierra Leone. Au moins six personnes expulsées étaient des demandeurs d’asile enregistrés auprès du HCR (Haut-Commissariat pour les réfugiés), tandis qu’au moins deux adultes possédaient des cartes consulaires les identifiant comme étudiants en Tunisie.

Les personnes interrogées par l’ONG ont déclaré que la garde nationale et les forces militaires les ont rapidement transportés sur 300 kilomètres jusqu’à Ben Guerdane, puis jusqu’à la frontière libyenne, où ils ont été pris au piège dans ce qu’ils ont décrit comme une zone tampon à partir de laquelle ils ne pouvaient ni entrer en Libye ni retourner en Tunisie.

Des migrants subsahariens montent dans un train à Sfax, le 5 juillet 2023, pour fuir les violences (photo : AFP).
Des migrants subsahariens montent dans un train à Sfax, le 5 juillet 2023, pour fuir les violences (photo : AFP).

 

Les tensions sont vives à Sfax depuis des mois, les résidents tunisiens ayant fait campagne pour le départ des étrangers africains, ce qui s’est traduit récemment par des attaques contre des Africains noirs et des affrontements avec des Tunisiens. Un Béninois a été tué en mai et un Tunisien le 3 juillet. Des vidéos circulant sur les réseaux sociaux début juillet montrent des groupes d’hommes tunisiens menaçant des Africains noirs avec des matraques et des couteaux, et dans d’autres vidéos, des agents de sécurité poussant des Africains noirs dans des fourgonnettes sous les acclamations de la population.

 

Un Président intransigeant

« Le gouvernement tunisien devrait mettre fin aux expulsions collectives et permettre d’urgence l’accès humanitaire aux migrants africains et aux demandeurs d’asile », réclame l’ONG.

Dans une déclaration faite le 4 juillet, le président Kaïed Saied a évoqué l’« opération criminelle qui s’est déroulée hier » à Sfax, en référence à l’assassinat du Tunisien. Pour aussitôt déclarer que « la Tunisie est un pays qui n’accepte que les personnes résidant sur son territoire conformément à ses lois, et n’accepte pas d’être une zone de transit ou d’installation pour les personnes arrivant de nombreux pays africains ».

 Rappelant les engagements de la Tunisie auprès des instances internationales et africaines, l’ONG conclut : « Tous les pays devraient suspendre les expulsions ou les renvois forcés vers la Libye, compte tenu des graves dangers auxquels les personnes risquent d’être confrontées dans ce pays. Les gouvernements ne doivent pas non plus expulser les demandeurs d’asile dont les demandes n’ont pas été pleinement examinées. »

@NA

Écrit par
Laurent Allais

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