Tunisie : Kaïs Saied fragilisé

Le président tunisien peut-il poursuivre son mandat sereinement, après l’échec du premier tour des élections législatives ? Les appels à sa démission se multiplient, mais Kaïs Saïed ne veut pas tirer de conclusions avant le second tour.
Boycotté par la plupart des forces d’opposition, le scrutin du 17 décembre n’a fait se déplacer que 11,22% du corps électoral, selon les dernières estimations officielles. Les premières tendances faisaient état d’une participation inférieure à 9 %.
Depuis lors, de nombreuses voix appellent à la démission du chef de l’État. Dès le 19 décembre, le collectif Soumoud, qui réunit plusieurs personnalités de la société civile autour de Houssem Hammi, publiait un communiqué appelant Kaïs Saïed à prendre ses responsabilités. Le Président, explique ce collectif, doit concéder l’« échec des législatives anticipées, organisées conformément à la feuille de route tracée par le chef de l’État ». Aussi appelle-t-il à « convoquer les Tunisiens pour une élection présidentielle anticipée au bout de 90 jours ».
Et le Président, filant la métaphore footballistique au lendemain de la Coupe du Monde, d’ironiser sur ceux qui « proclament un résultat à l’issue de la première mi-temps ».
Soumoud invite les forces démocratiques et les composantes de la société civile et de la scène politique à accélérer les pourparlers afin d’organiser un congrès national de sauvetage.
Le chef de la principale coalition d’opposants en Tunisie, Ahmed Nejib Chebbi, a appelé le président Kaïs Saïed à « partir immédiatement », après le fiasco que constitue l’abstention massive lors des législatives. L’avocat dirige le Front de Salut national qui réunit divers groupes politiques et syndicaux, avec le soutien des islamistes d’Ennahdha. Il appelle ouvertement au remplacement du Président par un juge choisi parmi les grands magistrats du pays, qui assurerait la transition, avant de nouvelles élections.

Il appelle également l’ensemble des forces vives (syndicats, associatifs, journalistes) de tous bords à se manifester. « Pour nous, Kaïs Saïed a perdu toute légitimité, il n’est plus le président de la Tunisie. » Pour l’heure, aucun mouvement social d’ampleur ne va dans son sens, toutefois.
De son côté, le mouvement Azimoun, présidé par l’ancien député Ayachi Zammel a appelé, le 20 décembre, à l’annulation des législatives du 17 décembre, estimant que celles-ci « ne sont pas légitimes ». Pour Azimoun, cette participation squelettique s’apparente à un « retrait de confiance au président de la république, appelé à démissionner ».
Arrestation d’Ali Larayedh
Et d’argumenter : « La nouvelle loi électorale affaiblit le rôle du parlement qui sera composé de députés sans identité politique. » Lors du scrutin « le peuple tunisien a rejeté la voie unilatérale suivie par le chef de l’État », aussi « est-il est temps que chacun prenne ses responsabilités afin de sortir le pays de l’impasse politique ».
Dans son communiqué, Azimoun a aussi invité le « Quartet », parrain du dialogue national tunisien, qui a reçu le prix Nobel de la paix 2015, « à assumer la responsabilité historique envers la patrie en lançant un dialogue national inclusif et à encadrer cette phase de transition ».
De son côté, le président de la République est resté silencieux durant deux jours. Avant de s’entretenir, à Carthage, avec la cheffe du gouvernement, Najla Bouden (photo), sur « la marche de l’action du gouvernement », et sur l’ordre du jour du Conseil des ministres, qui prévoit de trancher sur certains arbitrages budgétaires pour 2023. Kaïs Saïed a également reçu des représentants de l’Union africaine, chargés de suivre les différents scrutins sur le continent.
Le chef de l’État n’a réagi officiellement que sur les dossiers en cours, à savoir « la nécessité de réaliser les équilibres financiers escomptés, en dépit des difficultés que connaît la Tunisie, du fait de la situation qui prévalait depuis des décennies, notamment les dix dernières années, outre les grandes mutations que connaît le monde, aujourd’hui », selon les termes d’un communiqué de la présidence. Le chef de l’État a prôné « une approche fondée, particulièrement, sur la justice sociale, comme le prévoit la Constitution ». Il est vrai que la crise en Tunisie est aussi économique. Si le pays a reçu quelques appuis ses dernières semaines, notamment de l’Europe, un accord définitif avec le FMI tarde à intervenir.

Des entretiens avec l’Union africaine, il en ressort toutefois que le président a fustigé « certains partis connus » qui n’auraient trouvé comme seul angle d’attaque que de se focaliser sur le taux de participation du premier tour, pour mettre en doute la représentativité de la future assemblée. Alors que le taux de participation « ne se mesure pas uniquement au premier tour, mais pendant les deux tours », aurait-il indiqué. Et le Président, filant la métaphore footballistique au lendemain de la Coupe du Monde, d’ironiser sur ceux qui « proclament un résultat à l’issue de la première mi-temps ». Faisant observer au passage que certains opposants ont aussi affaire aux tribunaux, parfois pour des affaires de corruption.
À ce propos, on apprenait le 20 décembre l’arrestation de l’ancien chef du gouvernement Ali Larayedh, 67 ans, ancien cadre d’Ennahdha. Il est accusé, tout comme le chef du parti Rached Ghannouchi, d’avoir facilité le départ de Tunisiens vers le djihad en Syrie et en Irak. Ce que les intéressés démentent. Le parti Ennahdha accuse le pouvoir tunisien, qualifié d’« autorité putschiste », de procéder à une manœuvre de diversion après l’échec du scrutin législatif.
C’est dans ce contexte que le président doit convaincre les électeurs de 133 circonscriptions – 21 auraient choisi leur représentant dès le premier tour – de retourner aux urnes dans quelques semaines.
@NA