Tunisie : cap sur les élections législatives

Les électeurs ont adopté la nouvelle Constitution de la Tunisie, qui accorde l’essentiel des pouvoirs au président Kaïs Saïed. Ils retourneront aux urnes en décembre pour élire la nouvelle Assemblée des Représentants du peuple.
Par Laurent Allais
Sans surprise, la nouvelle Constitution tunisienne a été adoptée par référendum, le 25 juillet 2022. Selon des chiffres encore provisoires, communiqués par l’instance de surveillance du scrutin, Isie, le « Oui » l’aurait emporté à 94,6% des voix. Et comme attendu, la participation est demeurée faible, de nombreux partis d’opposition appelant au boycott du scrutin. Toutefois, la participation dépasserait 28% des inscrits, soit 2,756 millions d’électeurs, ce qui est un peu plus élevé qu’attendu.
Reste à savoir si les citoyens tunisiens continueront de s’intéresser au destin politique de leur pays, tandis que l’économie plonge chaque jour. Pénurie, inflation qui rend des denrées essentielles hors de portée des ménages, épée de Damoclès de la dette, pressions du FMI…
Ces chiffres, notamment celui de la participation, sont contestés par la coalition d’opposants, le Front du Salut national, qui avait appelé à bouder les urnes. Selon le FSN, qui comprend le parti islamiste Ennahdha, « 75% des Tunisiens ont refusé de donner leur approbation au projet putschiste lancé il y a un an par Kaïs Saïed ».
« Les électeurs étaient au rendez-vous avec l’Histoire et se sont dirigés en nombre très respectable vers les bureaux de vote », a rétorqué le président de l’Isie, Farouk Bouasker.
La communauté internationale s’inquiète. Les États-Unis se demandent si la nouvelle Constitution garantit suffisamment les droits et les libertés en Tunisie. Ce texte « inclut des mécanismes de contrepoids affaiblis, qui pourraient compromettre la protection des droits humains et des libertés fondamentales », a déclaré le porte-parole du Département d’État, Ned Price.
Mêmes inquiétudes du côté de l’Union européenne qui appelle les autorités à « préserver » les libertés fondamentales. Une déclaration des 27 pays de l’Union, publiée par le haut représentant Josep Borell « prend acte » du résultat, mais constate que le référendum a recueilli « une faible participation », tandis que la Constitution nécessite « un large consensus ». L’UE songe en particulier à « toutes les réformes politiques et économiques importantes qu’entreprendra la Tunisie ».
Les pleins pouvoirs, ou presque
Désormais, tout le monde a en tête l’étape suivante, à savoir les élections législatives, prévues pour le 17 décembre 2022. « La liberté d’expression, de la presse, de manifestation, ainsi que les autres libertés fondamentales sont des valeurs essentielles des États démocratiques », fait observer l’Union européenne.
La nouvelle Constitution accorde donc davantage de pouvoirs au chef de l’État. Kaïd Saïed a joué sur le ras-le-bol de nombreux Tunisiens devant la succession de gouvernements, depuis 2014. Qu’ils soient orientés centre droit, dominés par Ennahdah, ou composé de « technocrates », aucun n’a convaincu les citoyens. Après la révolution qui avait renversé Zine el-Abidine Ben Ali, les Tunisiens avaient voulu une Constitution qui limite les pouvoirs du Président en accordant davantage d’autonomie au Parlement. Les voilà faisant machine arrière.
Désormais, le Président peut nommer le chef du gouvernement et les ministres – et les révoquer – sans obtenir l’aval du Parlement. Lequel est, selon le nouveau texte, composé de deux chambres. L’Assemblée des Représentants du peuple est élue au suffrage universel ; sa composition se décidera le 17 décembre. Nouveauté, un Conseil des régions et des districts siégera ; ses membres seront élus au suffrage indirect. Le Président de la république tunisienne, on s’en doute, fixe l’ordre du jour des textes prioritaires que le Parlement aura à examiner. Le Président nomme aussi les magistrats, sur proposition du Conseil supérieur de la magistrature. Et aucun article de la Constitution ne prévoit une procédure de destitution du chef de l’État…
Bref, une Constitution « taillée sur mesure » pour Kaïs Saïed, commente la presse tunisienne, qui n’hésite pas à établir la comparaison avec Ben Ali. Les principaux contre-pouvoirs sont à rechercher du côté de la société civile, de la rue, et surtout du principal syndicat, l’UGTT. Reste à savoir comment Saïs Saïed préparera, le jour venu, sa propre succession, et quel sera le rôle du religieux dans la future Tunisie. Alors qu’on disait que la nouvelle Constitution ne ferait plus référence à l’islam, son article 5, au contraire, affirme que la Tunisie « fait partie de la communauté islamique » et que l’État « doit travailler pour atteindre les objectifs de l’islam ».
Et à court terme, reste à savoir si les citoyens tunisiens continueront de s’intéresser au destin politique de leur pays, tandis que l’économie plonge chaque jour. Pénurie, inflation qui rend des denrées essentielles hors de portée des ménages, épée de Damoclès de la dette, pressions du FMI… La Tunisie est l’un des pays les plus touchés par la crise actuelle.
@NA